Esprit critique > Hiver 2006



















 

 

 

 

Rien ne me destinait à des études universitaires qui me
conduiraient à la préparation d’un doctorat. Mes premières années en
enseignement secondaire ont été plutôt médiocres, incitant mes professeurs
à me destiner à un métier que je refusais. Il est vrai que cela prit du
temps, et que c’est au seuil de la cinquantaine que
j’atteindrai peut-être mon but.

 

Revisitant la chronologie des événements qui ont jalonné
ces parcours tant professionnel que de chercheur pour rédiger ce texte, il
m’apparaît comme une évidence que c’est à la faveur de
rencontres qu’ils se sont construits.

 

1ère rencontre ou la révélation d’une
vocation 

 

Dès l’enfance, j’ai eu pour projet de suivre
les pas de ma mère et devenir infirmière. Sans doute la littérature du Dr
SCHWEITZER n’y était pas étrangère, reliée à l’admiration vouée
à celle qui m’avait donné la vie. Mais c’était sans compter avec
une première rencontre, durant mes années lycée, qui a remis en question la
destinée que je m’étais fixée. La découverte des missions de
l’assistante sociale du lycée dont la personnalité, les qualités
humaines m’émouvaient a forcé ce destin, et décidé de mon orientation
professionnelle. Et en 1979, lorsque je me suis présentée au diplôme
d’Etat d’assistant de service social, les épreuves restaient
très scolaires, basées sur la restitution de connaissances (objet
d’un rabâchage où la réflexion ne trouvait pas place). Le mémoire
n’avait pas fait son entrée et avec lui la formation des assistants
sociaux à la démarche de recherche.

 

2ème rencontre ou la parole d’un
oncle convaincu et convaincant

 

Engagée dans la vie professionnelle, j’ai éprouvé
quelques années plus tard le besoin de reprendre un cursus qui compléterait
ma formation initiale. Dans sa continuité, j’envisageais la
préparation d’un DSTS (diplôme supérieur en travail social), mais
tout en m’interrogeant sur ce que cela m’apporterait, en terme
de valeur ajoutée. Questionnant un oncle, fort investi dans les formations
supérieures en travail social, il a parlé DSTS, mais également DHEPS
(diplôme des hautes études en pratiques sociales), et l’originalité
de cette formation, faisant germer en moi une curiosité. Attentive à ses
propos, cette formation par la recherche – et à la recherche – dans un
cadre universitaire semblait répondre à mes attentes. Car, si ces 2
diplômes présentent des similitudes quant aux objectifs de la formation,
j’ai pressenti que le DHEPS, préparé dans un collège coopératif [1],
m’ouvrirait à des champs professionnels plus diversifiés et
j’avais envie de ces rencontres. Par ailleurs, la philosophie de
cette formation me séduisait : l’ouvrir à des professionnels ou
des responsables associatifs, porteurs d’un projet de recherche en
lien direct avec leur activité, quel que soit le niveau d’études
préalable. Se sont ouvertes trois années besogneuses, au cours desquelles
il fallait tout apprendre, tenter de comprendre, s’approprier des
savoirs nouveaux, être présent sur tous les fronts : apports
théoriques, complexité de pensée de certains auteurs, méthodologie de
recherche, expérimentation, réalisation du mémoire… et encore :
mettre en relation la théorie et la pratique, conceptualiser, construire
une problématique, s’obliger à la clarification toujours, et aller
ainsi au bout de sa réflexion. Accepter aussi d’être bousculée par
« le coopérateur de recherche » (qui à cette époque ne donnait
pas cher de mon parcours de chercheur, comme il me le confiera quelques
années plus tard) qui a su faire preuve d’une patience infinie, et de
s’exposer à la critique lors des échanges internes à notre promotion.
Etre en activité professionnelle tout en étant mère et épouse, et également
étudiante, ne pouvait se mener de front sans une indispensable solidarité
familiale, un soutien de tous les instants de l’entourage qui a dû
lui aussi consentir de nombreux sacrifices. Le DHEPS m’a permis de
faire mes premiers pas de chercheur, d’acquérir les fondements de la
démarche, auxquelles les formations antérieures ne m’avaient pas
préparées, voire m’avaient éloignée. Mon enthousiasme reste intact
lorsque je repense à la richesse des échanges entre les étudiants et avec
les enseignants, pour la plupart convaincus par les théories de H. DESROCHEi, volontaires pour nous accompagner
dans cette aventure, et former ces étudiants tardifs, avides de comprendre,
mais si maladroits dans leur raisonnement. Quel luxe aussi que d’être
pris en charge par une spécialiste de la documentation qui nous livra les
clés de la démarche documentaire, la richesse et la diversité des sources,
leur classement, les méthodes et outils si nécessaires lors de
l’élaboration de toute recherche. Je ne suis pas sûre que les jeunes
étudiants, en formation initiale, soient à ce point accompagnés dans
l’acquisition des savoirs. Pou le mémoire de DHEPS, j’ai choisi
de réfléchir à la position de l’assistante sociale scolaire dans son
système, si inconfortable quelquefois, à la fois dans et hors institution.
La référence au concept de marginal sécant a éclairé ma réflexion théorique
me permettant par la suite de mieux me situer professionnellement vis-à-vis
des autres acteurs de l’institution et de valoriser mes fonctions.

 

3ème rencontre : découvrir une
société et tenter de la comprendre

 

Un projet familial me conduit aux Antilles françaises de
1996 à 2004. Je découvre une société éloignée de mes repères
d’occidentale qui a son histoire, ses valeurs, sa culture, et
qu’il me faut mieux connaître. Par curiosité et intérêt personnel
d’une part, mais aussi car j’y travaille et que
l’accompagnement social des populations passe, me semble-t-il, par
une plus grande compréhension des réalités auxquelles elles sont
confrontées. C’est dans ce contexte que j’entreprends la
préparation d’un DEA en anthropo-sociologie
à l’université Antilles-Guyane, de
Pointe-à-Pitre, inscription rendue possible par la détention du DHEPS. En
abordant cette formation universitaire, je poursuivais 2 objectifs :
m’approprier des apports théoriques relatifs aux populations
caribéennes et contribuer à une réflexion autour de problématiques sociales
que les assistants sociaux sont amenés à accompagner, à savoir : les
maternités adolescentes et l’absentéisme scolaire.

 

Nouvelle étape de mon parcours résolument tournée vers
la recherche. Car j’aurai pu me contenter des lectures scientifiques
et romanesques entreprises pour alimenter le besoin de connaissance du
monde caribéen, confortablement installée sur une plage, à l’ombre des
cocotiers. Mais je suis convaincue à présent que la recherche peut se
comparer à de la « compulsion », et que lorsque un questionnement
surgit, c’est par la démarche scientifique que nous le raisonnons.
J’intègre le CERC (Centre d’études et de recherche caribéen)
pur produit de l’université et de ses conceptions du savoir, de sa
suprématie. Ici, on théorise dans la rupture épistémologique. Cela ne
m’empêchera pas, en praxéologue convaincue, d’introduire ce
concept dans ma démarche de recherche, forte des acquis du DHEPS. Position
inconfortable d’une étudiante qui prépare un diplôme et qui se
positionne à contre-courant d’un formatage universitaire qui fait
bien peu de cas de la recherche-action et des professionnels qui entendent
interroger leurs pratiques. Pas facile non plus d’être la seule
blanche, européenne, par exemple lors d’un séminaire sur la question
de l’identité en société antillo-guyanaise,
témoin d’une culture qui continue de souffrir de la colonisation
imposée par les occidentaux, particulièrement la France, de la violence
exercée sur les ancêtres. Il est nécessaire d’aborder la question
identitaire dans une démarche intellectuelle pour se dégager un peu des
chaînes de la culpabilité ressentie à ce moment là. Prendre du recul,
embrasser l’ensemble des dimensions d’une problématique,
c’est aussi à ce raisonnement que nous nous formons au cours de ces
années.

 

Dernière rencontre avec un directeur de thèse qui me
donne ma chance

 

C’est ainsi que j’en arrive à la dernière
étape de mon parcours. Le DEA constituait le préalable à la poursuite en
thèse d’anthropologie, accompagnée par un directeur intéressé à la
fois par mon thème de recherche et par mon parcours. Le terrain
guadeloupéen en constitue le cadre, et la sexualité des adolescents
l’essence.

 

Un ego qui se renforce malgré un environnement sourd
et aveugle :

 

Une des missions assignée à l’université concerne
la valorisation de la recherche, sa publication. Pour ma part, j’ai
souvent fait l’expérience, pour moi comme pour des collègues, du
désintérêt de nos services employeurs pour les travaux réalisés au cours
des cursus. Il aurait été enrichissant lors de la finalisation de mes
mémoires de recherche d’en restituer le contenu aux collègues,
puisque mes préoccupations étaient en lien avec mon activité : rares
invitations à partager, aucune invitation à diffuser. Il y a sans doute
matière à réfléchir à des stratégies de valorisation des recherches au sein
des services employeurs. Le congé formation est une possibilité ouverte aux
agents de la Fonction publique, qui souhaitent entreprendre – ou
poursuivre – une formation. Ce n’est ni l’intérêt pour la
recherche envisagée, ni le niveau de qualification qui en découlerait qui
m’ont permis d’obtenir un congé formation, réduit à quelques
mois. Pourtant, la sexualité des adolescents et ses conséquences en terme
de maternités précoces, d’interruptions volontaires de grossesses
font partie des préoccupations déclarées par les pouvoirs publics et les
services et associations concernés. Alors comment comprendre ce décalage
entre préoccupation politique, souci de protéger une population et
désintérêt pour un travail susceptible de nourrir la réflexion en vue de
l’action ?

 

La satisfaction est à trouver en soi, à déceler dans les
propos de l’entourage familial et amical, et ressentir de la fierté
au vu du chemin parcouru.

 

Notes

 

[1] Les collèges coopératifs ont été initiés par le
Professeur Henri Desroches, alors Directeur à l’Ecole des Hautes
Etudes à Paris ; ils fonctionnent en convention avec une université et
délivrent un diplôme qui, sous certaines conditions, peut être homologué
comme une Maîtrise.

 

Notice bibliographique

 

Bocquet, Dany. « Annexe – Témoignage de chercheur,
ou les tribulations d’une assistante sociale au pays de la
recherche », Esprit critique,
Hiver 2006 – Vol.08, No.01, ISSN 1705-1045, consulté sur Internet: http://www.espritcritique.fr

 

 

 

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Revue internationale de
sociologie et de sciences sociales Esprit critique

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