La conception nationale politico-administrative  binaire im-migrations/ insertion masque la réalité ternaire trans-migrations/mobilités/territoires transnationaux qu’observent des chercheurs. Comment, dans la cécité des États, se construisent des territoires transfrontaliers, transnationaux, transrégionaux, trans-locaux, supports aux fluidités des circulations des nomades des mondialisations par le bas ? Comment apparaissent de nouveaux cosmopolitismes de collaboration en circulation ? Comment se réagencent les relations entre « anciens immigrants » et actuels transmigrants ? Entre autorités politico-administratives et minorités locales « travaillées » par les nouveaux nomades ?

Date limite d’envoi des articles : 31 octobre 2021 à sylvie.chiousse@univ-amu.fr et nouvelespritcritique1@gmail.com.

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(n.b. les notions de transmigrants et de nomades sont synonymes dans le texte suivant)

Confortés par le statut de présence éphémère des transmigrants-nomades, les États voient d’autant moins ces flux d’étrangers de passage : le temps d’un visa touristique national (trois mois) ou dit « de Schengen » (six mois).

Indispensable cosmopolitisme de collaboration. G. Simmel et F. Braudel l’avaient déjà signalé, par des approches sur l’irruption de l’étranger dans la ville et sur les circulations permettant cette irruption : les associations cosmopolites entre étrangers décuplaient leur pouvoir de transformation des espaces urbains.  Les nomades contemporains ont repris ce savoir être en mobilité : par exemple Moyen-orientaux , Caucasiens, Ukrainiens arrivés en ethnies dans divers ports de la mer Noire et repartant, chargés de produits électroniques du Sud Est asiatique (SEa), passed free tax by Dubaï, en petits groupes cosmopolites d’origine, de religions, vers la Bulgarie et les routes balkaniques puis européennes. Réapprovisionnés en cours de route, évitant les mégapoles et leurs marchés souterrains et les grandes vitrines des distributeurs légaux, sur injonction de leurs commanditaires commerciaux des grandes marques du SEa. Ce poor to poor, assorti d’un peer to peer, (‘entre experts’, entendez entre jeunes communautaires sédentaires, informés par Google de la diversité de ces produits et opérant comme des intermédiaires locaux de reventes), permet de comprendre la possession de produits électroniques, hors de coûts dans les réseaux de distributions officiels, par des populations à faibles revenus, bien des prix des reventes neuves taxless s’établissant entre 35 et 40 % des coûts officiels …

Ces nouvelles proximités entre nomades transnationaux et « minorités enclavées » changent les dépendances sociales et politiques locales. Les cosmopolitismes de rivalités ou de rejets de diverses minorités clientélisées par les autorités politiques locales, évoluant sous l’influence des cosmopolitismes de collaboration des nomades. Perpignan offre un exemple de ces transformations : en 2005, alors qu’une rixe oppose dans un premier temps des adolescents Gitans et Marocains, puis les communautés gitanes et maghrébines présentes dans le quartier St Jacques, le Maire, appliquant sa gestion de « l’Archipel perpignanais » organise une manifestation de rue avec des caciques Gitans et les autorités religieuses Marocaines. En face se forme une contre-manifestation de jeunes Gitans et Marocains qui « caillassent » les notables… « Ce sont les nouveaux commerçants en fourgons » disent les associations culturelles marocaines implantées dans ce quartier depuis autant d’années que les associés cultuels qui défilent avec la municipalité. L’apparition d’un troisième acteur collectif pratiquant un cosmopolitisme de collaboration avec des Gitans est actée. Il s’agit des transmigrants commerçants et de leurs associés locaux et de route, Gitans, et Algériens. Ces derniers, résidents de l’Oranais, agrégés aux circulants marocains à partir d’Alicante ; les Gitans associés aux deux populations circulantes à partir du partage de marchandises SEa achetées en commun au port de Valencia, puis faisant route commune par Barcelone-La Mina, Perpignan, Béziers, Montpellier, Nîmes et Arles…

La parole, l’honneur et leur gardien, ciments éthiques des territoires des circulations et de leurs réseaux : tout au long du territoire de circulation des commerçants nomades apparaissent des régulateurs à l’honnêteté éprouvée : ils résident dans des quartiers urbains aussi bien que dans des villages ; ce sont les « notaires informels », nomades connus et sédentarisés qui veillent au respect des paroles données dans ces économies fluides. Respect du pacte de refus des échanges criminels pour s’en tenir en cas d’arrestation, au délit douanier et donc ces régulateurs éthiques doivent présenter la capacité d’intervention auprès des diverses autorités pour, en cas d’arrestation, dépénaliser les commerçants nomades, transmigrants, vers le délit douanier. Il ne s’agit pas de profils religieux mais d’anciens commerçants. On les trouve de Casablanca à l’Espagne, surtout levantine, au Sud français et à l’Italie de Gênes, La Spezia, Imperia, Bari, Brindisi, Tarente, puis au port de Durrës et Shkodra, en Albanie, Tetovo et Skopje en Macédoine du Nord, puis dans plusieurs villages entre Sofia et les ports de Burgas-Varna, sur la mer Noire. Leur autorité s’impose aux diverses composantes de la communauté nomade transnationale requise par la « mondialisation par le bas ».

Intrication et diversité des flux nomades : les lieux frontaliers ne sont plus, pour certains, des barrières entre univers sociaux, juridiques différents : négociés par les transmigrants en « espaces de mœurs transfrontaliers » ou « moral area transfrontalière ». La notion de moral area proposée dès les années 1920 par la première École de Chicago, et plus précisément par Robert Ezra Park établissait l’existence et l’apparition nocturne de territoires urbains recomposant les relations fonctionnelles diurnes, en proximités de désirs : ces territoires éphémères nocturnes et mobiles disparaissaient dès la reprise des activités diurnes… l’argent accumulé la nuit apparaissait aux guichets bancaires le jour, seule véritable continuité. Cette intuition fut reprise dans les différentes Écoles de Chicago et, en 1983 puis en 1997, Ulf Hannerz affirma que cette notion, régulièrement dé- puis re-construite, était centrale dans les continuités de ces Écoles. Nous avons proposé de la réactualiser, de la reconstruire, pour comprendre les mutations d’espaces transfrontaliers favorables aux circulations transnationales des échanges souterrains, grâce, par exemple, à l’association de camionneurs internationaux…

Expansion et adaptation des parcours et logistiques. Les parcours, articulant mondialisation du « made in SEa » et immense marché des pauvres, sont polymorphes. C’est ainsi que pendant la longue interruption des passages frontaliers, due aux confinements, les circulations transnationales renoncèrent à leur continuité pour élargir leurs zones nationales de distribution : recrutement de jeunes des « ghettos » qui se mirent en marche et redéploiement des logistiques navales qui, de livraisons, par les Émirats, à cinq ports nord-méditerranéens, multiplièrent les cabotages vers des ports secondaires de ce même espace nord-méditerranéen.