Antécédents dans l’étude du religieux au Mexique  

Mots clés
Christianisme, Mexique, religion, religieux,  sociologie

Résumé
Cet article a comme objectif principal la présentation du panorama actuel des études sur le religieux au Mexique. Ce panorama insistera particulièrement sur les analyses de type sociologique parmi lesquelles font défaut des travaux théoriques ou conceptuels pouvant aider à développer des outils adéquats pour réaliser ce type d’analyse.
Selon cet objectif, l’article est divisé en trois sections.  La première aborde les antécédents des études sur le religieux au Mexique. La deuxième aborde la décennie des années quatre-vingts, laquelle peut être considérée comme centrale dans le développement des études sur le religieux. La troisième, enfin, présente les travaux réalisés à partir de 1990 et l’éclatement de la rébellion zapatiste.

Introduction

La perte de la place prépondérante de la  religion en tant qu’élément structurant de la vie sociale semblait être une constante dans le monde occidental et pourtant, nous avons assisté, à partir des années 60, à un repositionnement du religieux comme un des lieux privilégiés du politique, qui lui a redonné un rôle central dans la problématique mondiale actuelle.

En Amérique latine, cette recomposition du religieux passe surtout par une pluralisation où l’Église catholique perd sa situation de quasi-monopole. Dans ce contexte, il faut noter la progression de nouveaux groupes protestants, la revitalisation de religions indigènes ancestrales, les expressions de religiosité présentes dans des ambiances non conventionnelles, l’apparition de nouveaux mouvements religieux et, selon Cristián Parker (1994a), la dissolution du noyau dur du laïcisme et de l’anticléricalisme créole qui se manifeste dans la reconnaissance et le respect du religieux, même au Mexique, un des États les plus laïcs du continent.(1)

Que le Mexique puisse être considéré comme tel peut paraître paradoxal si l’on sait que la religion en général, et la religion catholique en particulier, y a toujours joué un rôle central.

Dans le contexte mexicain, la religiosité est toujours visible malgré un processus de sécularisation institutionnelle (2) encouragé par l’État à partir de la deuxième moitié du dix-neuvième siècle. Ce processus de sécularisation a pris plus d’ampleur parmi les classes moyennes éclairées. Dans le milieu rural, sa progression a été beaucoup moins importante, surtout dans les communautés indigènes, où on peut encore parler de la prééminence du religieux, certains auteurs affirmant même l’existence d’une religiosité présente dans tous les domaines de la vie sociale (Krauze, 1998).

Le monopole religieux du catholicisme a régressé de manière significative, voire pratiquement disparu, faisant place à un processus de recomposition qui s’exprime autant dans la diversité religieuse que dans les différentes positions existant au sein même de l’Église catholique.

Nous avons donc, d’une part, une participation de la hiérarchie catholique dans la vie publique mexicaine et une participation d’acteurs religieux dans le processus d’organisation populaire. Nous assistons, d’autre part, à une multiplication des églises protestantes et à l’apparition de ce qu’on a appelé les nouveaux mouvements religieux qui se caractérisent par une grande variété de formes d’expression de la religiosité et par une très faible institutionnalisation.

Malgré ce contexte complexe et bien qu’on ne puisse pas comprendre la société mexicaine sans tenir compte de sa dimension religieuse, on remarque un nombre relativement restreint de recherches sur la question religieuse. 

Comme un effort dans le comblement de ce vide, cet article a comme objectif principal la présentation du panorama actuel des études existant au Mexique sur le religieux.

1.- Les débuts dans l’analyse du religieux

A propos des études sur le religieux au Mexique, un premier aspect à remarquer, à partir des travaux de Roberto Blancarte (1992), de Rodolfo Casillas (1996) et de Cristian Parker Gumucio (1994a), c’est le fait qu’au Mexique, la recherche sur la religion en général, et la recherche sociologique en particulier, a été très restreinte jusqu’à la fin des années 70.

On peut identifier trois des causes principales de cette situation :
 Premièrement : la position officiellement anticléricale que l’Etat mexicain a maintenu pendant la plus grande partie du XXème siècle, et qui rendait impossible un soutien quelconque à des centres académiques et de recherche s’orientant vers la théologie ou l’étude de la religion.

Deuxièmement : l’adhésion inconsciente des scientifiques sociaux aux thèses de sécularisation qui établissaient une étroite relation entre urbanisation et industrialisation avec une diminution progressive de la pratique religieuse et de la ferveur populaire, ce qui, selon Roberto Blancarte, a suscité un manque d’intérêt pour une problématique qu’on croyait en voie de disparition.

Troisièmement : un traditionalisme marqué de la plupart de la hiérarchie de l’Eglise catholique qui a empêché la recherche sociale dans ses rangs dans la mesure où cela pouvait remettre en question sa façon d’agir.

Par ailleurs, il faut constater que, comme dans pratiquement tout le monde occidental, l’anthropologie, l’histoire et la sociologie se sont orientées depuis leurs débuts vers l’analyse de la problématique du religieux à partir de leurs perspectives particulières.
L’État mexicain a utilisé les études anthropologiques et historiques pour favoriser un sentiment d’identité nationale basé sur une identification avec le passé indigène, ce qui explique leur nombre au détriment de ceux de type sociologique.
Cependant, cette situation tend à disparaître car l’interaction qui commence à régner, dans ce domaine, rend inopérante l’existence des frontières disciplinaires.

A propos de cette interdisciplinarité, Émile Poulat (1998, p. 97) précise qu’elle est une condition indispensable à toute sociologie comparative qui se respecte. C’est suivant cette idée que je présente par la suite quelques antécédents dans l’étude du religieux au Mexique, en privilégiant ceux de type sociologique mais sans établir une différenciation disciplinaire évidente.

Je veux souligner que c’est à partir de l’apparition de la Revue mexicaine de Sociologie qu’ont été publiés des textes visant à analyser des aspects liés à la religion.

Le premier de ces articles est «  Religión y economía en el pensamiento sociológico de Max Weber » écrit  par René Barragán et publié en 1939. Vingt ans après, en 1959, apparaît « Religión e ideal en el pensamiento de Durkheim » de Alain Birou puis l’année suivante « La mentalidad religiosa y su evolución en las  ciudades » de François Houtard.
Par ailleurs, il faut citer, dans les années 60, deux événements marquant la recherche mexicaine sur le religieux. Tout d’abord, la fondation à Cuernavaca (Etat de Morelos) du «Centro Intercultural de Documentación » dirigé par le prêtre autrichien Ivan Illich en 1960, qui, quelques années plus tard, deviendra le « Centro Internacional de Documentación Cristiana (CIDOC) ».

 Un des objectifs de cette institution est alors d’étudier la fonction des idéologies dans les processus sociaux en Amérique latine ; elle a le mérite de commencer à rassembler de manière systématique la documentation existant sur le thème de la religion.

Ce centre, qui a existé pendant quatorze ans, de 1957 à 1971, a publié plusieurs catalogues d’acquisitions sur des travaux à propos de la rénovation  de l’Eglise catholique, un bulletin bi-hebdomadaire, un répertoire bibliographique pour l’étude des églises dans la société latino-américaine (CIDOC, 1971), de la documentation se référant à des alternatives éducatives et des œuvres comme « The formation of the missionary as a technical assistant» (CIF, [s.d.]).

Le deuxième événement est la célébration de la IIème Confédération générale de l’Episcopat  latino-américain à Medellin dont il faut noter comme conséquence, pour le thème qui nous intéresse, l’utilisation d’analyses sociopolitiques sur la réalité de l’Eglise catholique.

On assiste alors, au Mexique, à la naissance d’une version propre de ce qui ailleurs est connu sous le nom de sociologie religieuse ou pastorale, théologie de la libération  ce qui a une répercussion importante pour le développement de la sociologie latino-américaine.
Cette considération se base sur le fait que des auteurs dont la position idéologique est pleinement identifiée avec l’Eglise catholique, soient les pionniers de l’analyse du religieux au Mexique.

Il faut donc souligner que, pour un auteur comme Alberto Methol Ferré (1974, p. 78), la théologie de la libération non seulement adopte des thèmes développés par ce qui est connu sous le nom de sociologie engagée (en particulier la notion de « dépendance » et la lutte de libération des opprimés – à une époque où la sociologie est encore, comme au brésil, perçue comme une discipline subversive) mais aussi influence théologiquement cette science en la réinterprétant dans le langage de la foi. Il ne faut cependant pas oublier que, entre la recherche théologique et la recherche sociologique, il y a davantage une passation de thèmes qu’un ensemble organique.

D’autre part, il faut remarquer, dans le domaine de l’édition, la fondation à Porto Rico de la revue «Cristianismo y Sociedad», point clé de rencontre pour la sociologie de la religion latino-américaine.

Il est possible de soutenir que, pendant les années 70, le développement des études sur le religieux stagne durant cinq ans. Dans ce contexte, la sociologie religieuse constitue l’unique discipline qui se développe à un rythme continu, et la plupart des écrits publiés pendant cette décennie le sont par des religieux ou des laïcs proches de l’Église. Deux exceptions à cette situation sont, en premier lieu, la publication dans la Revue mexicaine de Sociologie, d’une ample bibliographie sur l’Église et le changement social en Amérique latine, par les auteurs Luis Olivos et Oscar Delgado (1970). En deuxième lieu, nous avons la publication de La Iglesia Católica en México. Del Vaticano II a la CEELAM III (1965-1979) par Martín de la Rosa (1979).

C’est le travail de thèse, à l’Université Iberoaméricana, de Manuel González Ramírez, intitulé Aportes a la sociología de la religión (1972) qui marque le début des publications socio-religieuses favorables à la théologie de la libération.
Cependant, c’est surtout à partir de 1976 qu’apparaissent des travaux rédigés pour la plupart par des prêtres ou des religieux abordant cette théologie comme un nouveau sujet d’études. Ces travaux sont : Aportaciones para la historia de la Iglesia en México a partir de 1956 de Jésus García (1976), Cruz y resurrección : presencia y anunciación de una Iglesia nueva (1978) avec la participation de Miguel Concha et De Medellín a Puebla : una década de sangre y esperanza 1968-1979  de Enrique Dussell (1979). Dans la mesure où leurs auteurs sont liés à l’Église catholique, ces travaux peuvent être considérés comme prenant part au développement d’une sociologie religieuse mexicaine, qui participera à l’évolution du christianisme de la libération au Mexique.

2.- La décennie des années quatre-vingts et le développement des études sur le religieux

Selon Rodolfo Casillas, c’est à partir des années 80 que la recherche sur le religieux se développe vraiment. Durant cette décennie, la pluralité religieuse et l’étude de la genèse, des implications et des  conséquences de la pluralité religieuse deviennent un champ spécifique d’étude et les travaux dont le thème principal est le religieux se multiplient de telle manière qu’il existe une publication sur le thème pratiquement chaque année.

Casillas lui-même explique que l’étude de la pluralité religieuse au Mexique   connaît un début tendancieux  puisque c’est à partir d’une demande d’expulsion de l’Institut linguistique d’été en 1979 par le Collège d’ethnologues et d’anthropologues sociaux que la discussion sur les questions religieuses prend de l’ampleur pour atteindre les milieux universitaires, gouvernementaux, des partis politiques, sociaux et chrétiens.
Pour expliquer cette demande d’expulsion, il faut préciser que l’Institut linguistique d’été (Instituto Lingüistico de Verano), institution se croyant financée par les églises protestantes américaines, avait comme objectif principal la traduction de la bible dans les différentes langues indigènes.
 Cet institut a été accusé d’être un instrument de pénétration du gouvernement américain dans le milieu rural mexicain, ce qui n’a jamais été vraiment prouvé.

La discussion que cette exclusion a provoquée n’a malheureusement pas aidé à enrichir le débat autour des questions religieuses et s’est plutôt orientée vers le discrédit  des mouvements religieux chrétiens non catholiques prétextant le fait qu’ils étaient un instrument de pénétration de l’impérialisme américain.
L’incompréhension des raisons internes qui stimulaient la conversion, a donné lieu à une longue série d’explications simplistes attribuant ce processus de changement à des causes externes et, pendant quelques années, un nombre significatif de travaux écrits soit par des prêtres catholiques, soit par des universitaires, se sont employés à disqualifier l’action des groupes chrétiens non catholiques.

Paradoxalement, cette situation a eu l’avantage d’intéresser l’Etat mexicain sur la problématique religieuse et cet intérêt s’est traduit, quelques années plus tard, par le financement de trois études en vue de l’analyser.

Parmi les écrits rédigés par des prêtres, Rodolfo Casillas remarque El protestantismo en México, hechos, interrogantes y retos, « Los nuevos grupos religiosos , fenómeno mexicano », et « Retos del sectarismo », tous du curé italien Flaviano Amatulli (3) et «  La iglesia electrónica »de l’archévêque de Xalapa, Sergio Obeso Rivera (4).
Quant aux travaux d’universitaires, les titres à noter sont : Un evangelio según la clase dominante, de Erwin Rodríguez (5), « El protestantismo en Yucatán. Estructura y función del culto en la sociedad religiosa estudiada » (6), « Inserción y difusión del sectarismo religioso en el campo yucateco » (7) de Patricia Fortuny ; « Enfrentamiento del individuo y del grupo con el fenómeno religioso y los resultados de ese enfrentamiento » » de Carlos Romero P. (8), et « Cambios en los patrones ideológicos en relación con la penetración protestante en X-can, Yucatán » (9) de Rosendo Solís M.

En 1980, la publication par la maison d’édition « Fondo de Cultura Económica », dix ans après l’original, d’une traduction du livre Sociology of Religion (1980) de Roland Robertson qui contient des articles de Berger, Durkheim, Geertz, Marx, Lukmann, Troelttsch, Worsley, Weber, et Wilson, représente un des premiers efforts pour faire connaître l’œuvre de ces auteurs en dehors des cercles académiques spécialisés dans l’étude du religieux.
Un an plus tard, en 1981, est publié un travail d’une centaine de pages abordant le rôle social de l’Eglise catholique dans des situations de conflit, lequel deviendra une référence importante en la matière. Il s’agit de Radiografía de la Iglesia en México de Patricia Arias, Alfonso Castillo et Cecilia López (1981).

Cette même année, un numéro extraordinaire de la Revue mexicaine de Sociologie, constituant le seul volume de cette publication, est consacré intégralement à l’analyse de la problématique religieuse. Deux ans plus tard, fin 1983, a lieu un autre événement important dans l’évolution des études sur le religieux au Mexique. Il s’agit de la réalisation du Symposium Religión y política en México y Estados Unidos organisé par le Centre Mexique-Etats-Unis  de l’Université de Californie à San Diego, l’Université autonome métropolitaine et l’UNAM.
L’intention manifeste de ce symposium est de présenter une vision d’ensemble de la problématique religieuse à ce moment-là au Mexique. La plupart des allocutions  présentées sont publiés dans le livre : Religión y política en México coordonné  par Charles A. Reilly et Martín  de la Rosa,  publié en 1985. Ce livre contient des articles de valeur inégale mais constitue, sans aucun doute, un fait marquant  dans le développement des études sur le religieux au Mexique.

En 1983, également, la Commission d’études de l’Eglise en Amérique latine publie Hacia una Historia Mínima de la Iglesia en México sous la coordination d’Alicia Puente Luterroth. Ce travail est une œuvre hétérogène qui pourrait tout d’abord être classée dans les travaux d’une ligne pastorale. Cependant, la participation d’analystes laïcs comme Rodolfo Casillas, Luis Guzmán, et Marthalena Negrete lui donnent une orientation plus académique.
Trois ans plus tard, est publié dans la collection Biblioteca México : Actualidad  y Perspectivas de la maison d’éditions « Siglo XX I» le livre : La participación de los cristianos en el proceso popular de liberación en México (1968-1983) coordonné par M Miguel Concha Malo, Oscar González Gari, Lino Salas et Jean-Pierre Bastian (1986). Cette publication représente, selon les propres coordonnateurs, une analyse sociopolitique et théologique des églises chrétiennes, en particulier de l’Église catholique qui s’inscrit dans l’étude scientifique des mouvements sociaux au Mexique.

C’est en 1987 que l’Etat mexicain décide d’apporter son soutien  aux études empiriques qui lui fourniront des éléments de décision sur les activités socioreligieuses des groupes chrétiens non catholiques. Les institutions chargées des projets sont alors le CONAFE (Conseil national de Population), le COLEF (Collège de la frontière Nord) et le CIESAS (Centre de recherche et d’études en sciences sociales).
Cette année-là, le travail du CONAFE, une enquête sur « la pénétration de groupes religieux dans les communautés avec des cours communautaires », s’effectue dans vingt Etats du pays. Pour ce travail, on utilise une classification confessionnelle qui identifie : des catholiques, des protestants historiques, des protestants sabbatiques, des adeptes d’autres religions et  sans religion.

Il en résulte un panorama général sur le degré d’expansion des associations pentecôtistes  et para chrétiennes qui, sur les lieux de l’enquête, ont devancé les églises protestantes historiques.
Cette même année 1987 et pendant encore deux ans, le COLEF réalise des études sociologiques dans cinq villes du Nord du Mexique afin d’élaborer un inventaire des organisations protestantes dans cette région du pays. Cette récapitulation prétend comptabiliser et classifier les associations religieuses, établir un registre des activités réalisées par les secteurs sociaux dans lesquels ils opèrent, de la nationalité de leurs ministres de culte, de l’origine des ressources et des matériaux éducatifs, de leur ancienneté et de leurs ramifications.

En 1989, c’est la publication, par le CIESAS en coédition avec le CONAFE et Le Programa Cultural de las Fronteras d’un ensemble de travaux du projet «  religion et société dans le sud-est du Mexique », coordonné par Gilberto Giménez.
En termes généraux, le résultat des recherches du CIESAS, du Collège de la frontière Nord  et du CONAFE est la présentation d’un panorama de croissante pluralité religieuse où l’influence étrangère est quantitativement peu signifiante bien qu’on méconnaisse son importance qualitative. Il existe également un processus de changement culturel dans les communautés avec différents niveaux de conflit social où l’influence du facteur religieux est minime.

D’après Casillas, les études du COLEF et du CIESAS ont également le mérite de former des chercheurs qui se consacrent à analyser la problématique religieuse et à enrichir le panorama des approches théoriques (Casillas, 1996, p. 86-87).

 En ce qui concerne ces approches, il est important de mentionner l’utilisation de concepts classiques des ouvrages de Gramsci, Weber, Durkheim, Troeltsch, Marx et de Bourdieu mais aussi l’introduction de concepts issus des travaux de personnalités comme Peter Berger, Clifford Geertz, Christian Lalive d’Epinay, Thomas Luckmann, H. Portelli, Talcott  Parsons, Peter Worsley et Bryan Wilson dans la classification des associations religieuses, l’évaluation de leur effet culturel, et l’établissement de leur fonction sociale et idéologique et des facteurs d’anomie favorisant la conversion religieuse.

De plus, ces auteurs sont devenus des références bibliographiques presque obligées dans les travaux en la matière, bien qu’il n’y ait pas, selon le même auteur, de garantie quant à l’application réelle de leurs concepts.
Dans la chronologie des événements marquants dans l’étude du religieux, l’acte suivant est la réalisation en 1990 de la première conférence régionale intitulée Religión y Desarrollo en la América Latina convoquée par la Société internationale de la sociologie des religions.

Dans cette conférence, qui a lieu en septembre, participent des auteurs comme Jean Meyer, Jean-Pierre Bastian, Cristina Torales, Manuel Olimón, Enrique Luengo, Eduardo de la Peña et Roberto Blancarte et s’ensuit une publication en 1992 du livre Religiosidad y política en México coordonné par Carlos Martínez Assad (1992), et édité par l’Université Ibéroaméricaine.

Ce livre est une importante compilation  d’articles sur la problématique religieuse. Il inclut des articles d’Otto Maduro, de Rubén Dri, Roberto Blancarte, Manuel Ceballos Ramírez, y d’Enrique Marroquín (10)  qui se trouvent parmi les auteurs les plus importants dans ce domaine au Mexique.
Un an plus tard, en novembre 1993, a lieu un autre événement marquant dans le développement des études sur le religieux. Il s’agit de la réalisation du colloque « Changements d’identité religieuse et sociale au Mexique » organisé par l’Institut de sciences sociales de l’UNAM, qui donne lieu à la publication du livre « Identités religieuses et sociales au Mexique », coordonné par Gilberto Giménez (1996).

L’importance de ce colloque réside dans le fait qu’on y aborde en termes théoriques et à la fois empiriques le phénomène d’expansion de nouveaux mouvements religieux de type  « secte », analysé de façon contrastée avec les processus de modernisation et de sécularisation existant dans les grandes agglomérations urbaines et les zones de grand développement technologique et industriel.
La problématique de ce colloque exige alors de revoir le débat sur la relation entre modernité et religion.
C’est la raison pour laquelle des auteurs comme Danièle Hervieu-Léger et Jean-Paul Willaime sont invités pour présenter des concepts peu connus dans le contexte mexicain. De mon point de vue, cette publication représente la première traduction au Mexique de l’œuvre de ces deux auteurs connus jusque-là par les spécialistes ayant étudié en France mais pas par le public non francophone.

3.- 1994, la rébellion zapatiste et le renouveau des études concernant le religieux

1994 et l’éclatement de la rébellion zapatiste marquent un retour au centre de la vie politique nationale du facteur religieux puisqu’on considère que le diocèse de San Cristobal de Las Casas est au coeur de cette révolte. Cela suscite la multiplication de travaux sur la problématique chiapanèque pour laquelle la question religieuse est incontournable.
A nouveau dans le domaine éditorial, un autre effort, digne d’être mentionné, est celui de la publication en 1996 du livre El pensamiento social de los católicos mexicanos coordonné par Roberto Blancarte (1996). Dix articles rédigés par des auteurs qui  proviennent autant du milieu académique religieux ou d’entreprises abordent, à partir de différentes  perspectives, les idées du milieu catholique sur la question sociale.
C’est aussi à partir de 1997 que commence à être publiée la Revue académique pour l ‘étude des religions, éditée par un groupe d’universitaires réunis dans l’association « Publications pour l’étude scientifique des religions ».

Cette revue n’a édité jusqu’à maintenant que deux numéros ; le premier, en 1997, a pour titre La Luz del mundo : un análisis multidisciplinario de la controversia religiosa que ha impactado a nuestro país et le deuxième, en 1998, s’intitule Chiapas : el factor religioso.

Ce deuxième numéro est le résultat d’un symposium intitulé El mosaico religioso en Chiapas, au cours duquel un groupe de spécialistes s’est consacré à l’analyse du facteur religieux dans la problématique chiapanèque. Il a été organisé par l’Institut national d’anthropologie et d’histoire, l’Association latino-américaine pour l’étude des religions et la Revue académique pour l’étude des religions ainsi que par une convocation  académique.
Enfin, il faut mentionner la publication, en 2000, du livre Samuel Ruiz en San Cristóbal de Jean Meyer, élaboré à la demande de la Commission épiscopale mexicaine. Ce travail a la particularité de situer le travail pastoral du diocèse de San Cristobal de Las Casas dans le contexte général du développement des courants catholiques au Mexique et  constitue un effort de la part des autorités ecclésiastiques, pour comprendre  la situation chiapanèque à partir d’une vision académique.

Quelques considérations finales

Dans la mesure où cet article a pour objectif principal de présenter l’état de la question des études sur le religieux au Mexique, j’ai considéré qu’il fallait présenter un bref passage en revue  de la discussion qui existe sur le thème et certaines définitions qui sont indispensables pour sa compréhension.
Dans ce sens, il faut souligner le fait que le domaine d’étude du religieux au  Mexique s’est étendu à des phénomènes extérieurs au christianisme et que la pluralité commence à être un signe distinctif de l’analyse de la problématique religieuse.
Cependant, les travaux qui ont pour sujet d’étude une des manifestations du christianisme sont toujours à l’heure actuelle les plus nombreux.  On remarque ceux qui tentent d’analyser le processus de sécularisation, ceux qui abordent la relation entre l’Église catholique et l’État mexicain et ceux qui abordent la conflictualité sociale.

Dans cette dernière catégorie, peuvent se situer les études qui analysent le christianisme de la libération. Ce type d’études est remarquable par sa contribution d’un côté au développement des sciences sociales à deux moments importants de son  évolution. Le premier se situe dans les années soixante et commence dans la ville de Cuernavaca où apparaît un mouvement intellectuel lié à l’Église  catholique  et sous les auspices de l’évêque Sergio Mendez Arceo.
 Ce mouvement a été renforcé vers la fin de cette décennie quand les réformes du Concile Vatican II  sont adaptées à la réalité latino-américaine dans  la Conférence générale de l’Épiscopat  à Medellin. Liées à cette adaptation, arrivent à Mexico les idées de la théologie de la libération qui contribuent au développement d’une sociologie religieuse, celle-ci contribuant à son tour à la création d’une sociologie des religions.

D’un autre côté, les analyses sur la Théologie de la libération ont contribué au développement même du Christianisme de la libération car ils ont aidé aux acteurs du mouvement social à réfléchir à la problématique à laquelle ils étaient confrontés.

 Le deuxième moment est l’éclatement de la rébellion zapatiste et le retour du christianisme de la libération à un premier plan de la vie publique nationale puisque le diocèse de San Cristobal a été accusé d’être directement impliqué dans cet événement.
Cette situation d’intérêt renouvelé pour la théologie et le christianisme de la libération a favorisé la multiplication de publications qui essaient d’expliquer la relation entre l’Église catholique et les mouvements sociaux.
En même temps, et malgré la focalisation sur la personne de l’évêque Samuel Ruiz, ce renouveau de l’intérêt pour le religieux a permis l’introduction de nouveaux éléments de débat et la réactualisation de quelques-uns. Parmi ces nouveaux éléments, on peut voir :
Le rôle qu’occupe l’Église catholique dans la société mexicaine actuelle
 Car dans un contexte politique et social où le parti au pouvoir, qui était formellement laïque et historiquement même anticlérical, a été  substitué par un parti traditionnellement favorable au catholicisme, dont une partie de ses membres s’affiche publiquement comme croyants et une autre partie est issue des rangs des organisations liées à l’Église comme la Jeunesse étudiante catholique.
De même, la revalorisation du rôle de l’Église comme facteur de légitimation pourrait être interprétée comme une démonstration d’un processus de perte de repères dans la société mexicaine et d’un désenchantement du politique. ISur ce point, il convient de remarquer que les événements électoraux de l’année 2000, qui ont culminée avec l’élection de Vicente Fox comme président, semblaient aller dans la direction contraire de cette affirmation. Cependant, une fois l’euphorie passée et le nouveau gouvernement confronté à la gestion quotidienne des grands problèmes nationaux, il semble que le processus du désenchantement du politique soit de nouveau d’actualité.

La subsistance du christianisme de la libération
 Sur ce point, il faut remarquer le départ à la retraite de Samuel Ruiz et d’Arturo Lona qui pouvaient être considérés comme les deux évêques qui incarnaient le christianisme de la libération au Mexique. Ce départ laisse un vide extrêmement difficile à combler, lequel fait ressortir des doutes sur l’avenir de l’Église populaire au Mexique.

 

NOTES

1 Parker (1994a) considère que le Mexique, Cuba et Uruguay sont les trois pays les plus laïcistes de l’Amérique latine.
2 La notion de sécularisation institutionnelle est utilisée dans le sens qui lui donne Jean Paul Willaime (1995, p. 95-98).
3 Flaviano Amatulli, El protestantismo en México, hechos, interrogantes y retos, México, Apóstoles de la palabra, s/f., « Los nuevos grupos religiosos, fenómeno mexicano » México, Ponencia presentada en la Asamblea Plenaria sobre las sectas en México, 13-15 de abril, México, mimeo, « Retos del sectarismo”, Complementariedad, Boletín informativo del movimiento « Fe e Iglesia » Año 5, Núm. 17, México.
4 Sergio Obeso Rivera, La Iglesia Electrónica,  Ciudad Victoria, s.f.
5 México, UNAM, 1982.
6 Revista Yucatán : Historia y Economía, Año 5, núm. 25, Mérida, junio de 1981 
7  Revista Yucatán : Historia y Economía, Año 6, núm. 33, Mérida, octubre de 1982,
8 Revista Yucatán : Historia y Economía, Año 5, núm. 28, Mérida, nov-dic. de 1981.
9 Revista Yucatán : Historia y Economía, Año 5, núm. 28, Mérida, nov-dic. de 1981.
10 Rubén Dri, “ Teología de la liberación”, in Charles A. Reilly y Martín de la Rosa (coord.) Religión y política en México, México, Siglo XXI Editores, 1985;Manuel González Ramírez, Aspectos estructurales de la Iglesia católica mexicana  México ,Estudios Sociales, 1972; Otto, Maduro, « La desacralización del marxismo en la Teología de la Liberación »  Cristianismo y Sociedad,  1988, Cuarta entrega, Año XXVI, Tercera Época, No. 98. « Algunas implicaciones teóricas de la Teología de la Liberación en América Latina para la sociología de las religiones » in Carlos Martínez Assad, Religiosidad y política en México, México, Cuadernos de Cultura y Religión, núm 2,  Universidad Iberoamericana, 1992,; Enrique Marroquín, « Los protestantes en Oaxaca : ¿persecución o resistencia cultural ? in in Gilberto Giménez (coordinador) Identidades religiosas y sociales en México, México, IFAL, Instituto de Investigaciones Sociales UNAM, 1996.

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