Résumé :

L’objectif de cette étude est de rendre compte de l’horizon économique des entrepreneurs tunisiens dans un contexte marqué par l’aiguisement de la concurrence tant à l’échelle nationale qu’à l’échelle internationale. L’itinéraire entrepreneurial de ces acteurs économiques porte le timbre non seulement des stratégies qu’ils emploient pour réussir dans leur vie professionnelle mais aussi des circonstances historiques qui sont à l’origine de leur émergence.
Le fait entrepreneurial est ici envisagé comme un fait de groupe ou de communauté. On a pu déceler dans le contexte tunisien plusieurs communautés génératrices d’initiatives privées dont les plus réputées sont celles de Sfax et du Sahel. Face à la mondialisation, pour préserver leurs intérêts, ces deux groupes recourent à des stratégies multiples et différentes.

Mots clés : Entrepreneur, acteur social, communauté, mutation sociale, mondialisation

  

 

Entrepreneurs, mutations de sociétés et mondialisation : Le cas de la Tunisie

 

 

 Certes en Tunisie, le tissu industriel est fortement diversifié ; les industriels sont présents, dans presque toutes les activités manufacturières, mais les entreprises qu’ils ont créées sont des PME familiales dépourvues d’expérience, de professionnalisme et de ressources et produisent dans des secteurs relativement encombrés[1]. De surcroît, ces PME sont pour la plupart, tournées vers le marché local. Bien évidemment, aucun de ces éléments ne favorise apparemment un esprit de solidarité collective très développé.

Or, au cours de ces dernières décennies, sous l’influence grandissante de la Banque mondiale (BM) et du Fonds monétaire international (FMI), l’Etat semble avoir préféré adopter de nouvelles politiques économiques favorisant non seulement l’initiative privée mais aussi le capital international (démantèlement de la douane, libéralisation des échanges, des investissements et des prix). Des termes comme le libre échange et la privatisation deviennent alors les leitmotiv de la rhétorique et parfois même de la politique. Et cause ou effet, ce changement dans la rhétorique a coïncidé avec l’émergence dans ce pays d’un entrepreneuriat. En effet, le nombre de ceux qui ont préféré s’installer à leur propre compte est passé de 525 800 en 1994 à 575 900 en 2004, soit 20,3 % de la population active (Recensement de la population, 2004).

Il est vrai que le monde d’aujourd’hui est fortement marqué par la consolidation des interdépendances et par une prédisposition à l’uniformisation des pratiques et des modèles sociaux à l’échelle de la planète tout entière. Ce processus nommé aujourd’hui la mondialisation suggère que les phénomènes économiques, politiques et sociaux ne puissent être étudiés en vase clos, indépendamment de leur insertion dans un système monde qui, contrairement à autrefois s’étend à l’ensemble du globe au point qu’il n’est plus permis de faire la distinction entre l’interne et l’externe, le national et l’international.

Évidemment, la mondialisation est un processus irréversible, mais force est de constater que le comportement économique des entrepreneurs tunisiens révèle encore la marque de leur culture d’origine. Le postulat culturaliste d’un acteur économique relativement déterminé par sa culture de base retrouve ici sa pertinence, puisqu’il s’agit d’un contexte sociétal où les différences et les conflits culturels ne sont pas toujours sans intérêt. En d’autres termes, les entrepreneurs tunisiens nés dans un contexte radicalement nouveau marqué par l’aiguisement de la concurrence économique et de la compétition sociale tant sur le plan national que sur le plan international seraient-ils en mesure de relever le défi en prenant des risques sur le terrain de la construction industrielle, en dépit de leurs faiblesses structurelles ? Est-il question d’un acteur social autonome ou au contraire d’un ensemble hétéroclite d’hommes d’affaires qui acceptent passivement les initiatives économiques décidées par la bourgeoisie métropolitaine avec la connivence de l’Etat local ?

 

 

La notion d’entrepreneur dans un contexte non occidental

 

L’entrepreneur constitue l’unité principale de notre étude, il convient ainsi de tenter de définir cette notion qui semble être sujette à controverses et susceptible de plusieurs interprétations. L’entrepreneur tunisien, comme l’ont bien fait remarquer, de nombreux chercheurs vigilants, est un homme impliqué, le plus souvent, dans une PME de type familial, présumant un type de gestion direct. Il est ainsi envisagé d’aborder l’entrepreneuriat dans le contexte tunisien, selon les dynamiques familiales, communautaires, extracommunautaires et en termes de réseaux sociaux.

Dans ce contexte, l’acte d’entreprendre ne se définit ni selon la taille de l’entreprise, ni selon les secteurs d’activités. Pour appréhender ce phénomène scientifiquement, il faudrait le considérer sur le triple plan économique, social et individuel[2]. En d’autres termes, l’acte d’entreprendre dont il est ici question pourrait être envisagé à travers une triple logique d’action sociale :

La première fait référence à la notion de rationalité économique : l'individu crée une entreprise dans une logique de conduite rationnelle visant à saisir une opportunité. Il faut rappeler que cet acte s’inscrit toutefois dans un univers plus vaste que l’entreprise ou les strictes relations interpersonnelles de l’entrepreneur. Il mobilise des ressources hors production et se nourrit des valeurs traditionnelles et d’appartenance à un milieu.

La seconde logique fait référence à la notion de socialisation : l'individu crée et dirige une entreprise dans une logique de reproduction d’un modèle familial. Est alors reconnu comme patron celui qui s’avère capable de prendre en charge ses proches, de leur permettre d’améliorer leur statut social. Dans un tel contexte, pouvoir et statut sont considérés comme naturels. Ils sont le propre du patron et n’ont pas de lien avec la qualité de son travail ; tout comme le père reste le père, même lorsqu’il ne s’acquitte pas bien de ses tâches. Dans cette situation, c’est le management subjectif qui « marche le mieux » ; entreprendre, c’est donc savoir mobiliser tout le groupe pour pouvoir faire face ensemble à des contraintes et des enjeux bien distincts.

La troisième logique fait référence à la notion d’éthique personnelle : l'individu crée une entreprise dans une logique de construction de soi en réalisant un projet personnel qui donne du sens à son travail et à son existence. Sur ce plan aussi, les comportements semblent être marqués par une éthique qui glorifie l’individu audacieux, ambitieux et travailleur surtout lorsqu’il se met au service de la collectivité. Les entretiens révèlent aussi que certains entrepreneurs se croient investis d’une volonté divine. Le succès est appréhendé comme une sorte de grâce céleste[3].

 

 

Discours de la mÉthode

 

En adoptant une approche sociologique conciliant macro et micro sociologie, nous nous sommes référés aussi bien au structuralisme génétique qu’à l’interactionnisme pour pouvoir détecter les différentes tendances des entrepreneurs tunisiens dans leurs rapports à l’environnement dans ses multiples dimensions. Compte tenu de la complexité du phénomène, au lieu de traiter les structures comme des faits, nous avons tenté de comprendre comment les acteurs créent le social.

 

Ce travail se situe dans le prolongement de nos études antérieures portant sur La Politique économique tunisienne et l’émergence des entrepreneurs des industries manufacturières. Mais, compte tenu de l’enchevêtrement des rapports sociaux, nous avons jugé plus adéquat de recourir, cette fois-ci, à la démarche qualitative. Et ce en raison également de l’impossibilité de nous procurer les listes de la population-mère et du fait que les listes mises à notre disposition par les responsables de certains organismes officiels, sont non actualisées. Nous avons choisi un échantillon de plus de 50 cas d’entrepreneurs sfaxiens et de 40 cas d’entrepreneurs sahéliens. La constitution de cet échantillon est guidée par la volonté de couvrir tout le tissu entrepreneurial communautaire dans les différents types qui le constituent. Des entretiens ont été menés à Tunis, Sfax, Sousse, Ksar Hillel et Monastir, dans les secteurs d’activité suivants : le textile, l’agro-alimentaire, l’ameublement, l’électromécanique, l’industrie chimique et les industries manufacturières diverses. Ces entretiens ont été conduits à partir du canevas suivant :

– Création de l’entreprise

– Apprentissage, formation et trajectoire

– Les relations du travail

– Le thème de l’entreprise familiale

– Les rapports à l’Etat et à l’administration

– La mondialisation et l’insertion internationale

– L’appartenance régionale et nationale.

– La concurrence et les stratégies de maintien.

 

A la lumière de ce qui a été précédemment avancé pour définir l’objectif de notre étude, nous avons formulé deux hypothèses de recherche :

1. Dans certaines régions de Tunisie, en particulier à Sfax, le projet entrepreneurial individuel est le plus souvent un projet familial qui fait mobiliser pour sa construction non seulement la famille, mais la communauté tout entière. Si les familles sfaxiennes semblent réussir dans le domaine entrepreneurial, c’est grâce à leurs réseaux de relations communautaires (cas de figure de l’acteur socialisé) ;

2. Dans certaines régions du littoral, et en particulier le Sahel, l’Etat semble avoir favorisé le développement d’une logique de pouvoir politique ; logique distributive reposant non sur des critères de compétence, de professionnalisme et d’efficacité, mais plutôt des critères d’allégeance (cas de figure de l’acteur raisonnable).

 

 

Horizon Économique et mutations sociales

 

Nous sommes sans doute aujourd'hui à un moment de mutations du capitalisme qui présente toutes les caractéristiques de ce qu'on a appelé une période de déstructuration créatrice, et qui a eu des effets contrastés non seulement sur les travailleurs qui étaient intégrés dans le régime antérieur des régulations de la société salariale mais aussi sur les entrepreneurs.

 

Les transformations des alliances au pouvoir

 

Les groupes menacés

 

Les entrepreneurs anciens gros artisans et négociants

Il s’agit d’une catégorie sociale qui se définit par la prépondérance de l’exercice d’activités liées au commerce, au négoce, à l’artisanat et même l’agriculture. La création des unités industrielles de cette catégorie d’entrepreneurs remonte, le plus souvent à la première moitié du siècle précédent (Denieuil, 1994).

Ces entrepreneurs doivent donc leur ascencion autant à leurs pères ou leurs grands-pères qu’à eux-mêmes ou à une série de facteurs liés à l’évolution de la Tunisie vers le libéralisme économique. Par ailleurs, ce groupe est actuellement très divisé : certains de ses membres inscrits depuis une longue date dans le développement économique de leur région ou de leur pays tentent la réorganisation de leur patrimoine, tout en essayant de garder une place de choix dans la production locale, voire nationale. Ces entrepreneurs sont très conscients de leur incapacité à faire face à la concurrence internationale, c’est peut-être pourquoi ils ne cessent de demander au gouvernement d’être prudent dans sa libéralisation des importations et dans sa politique d’échange.

Mais, certains entrepreneurs issus de cette même catégorie sont actuellement dans une situation relativement bonne, font valoir la maîtrise du métier, l’expérience professionnelle et l’entretien de relations et de contacts avec des personnes d’influence ou tout simplement avec des personnes qui peuvent servir. Ces entrepreneurs espèrent évidemment passer le cap et transmettre leur patrimoine économique dans les meilleures conditions possibles à leurs enfants.

 

 

Les entrepreneurs issus de la Fonction publique

Au cours des trois dernières décennies, on a assisté à l’apparition de nouveaux types d’entrepreneurs. Il s’agit d’abord de fonctionnaires ayant décidé de se lancer à leur propre compte dans le secteur industriel, après avoir exercé dans la Fonction publique. Les entretiens que nous avons eus avec eux nous ont révélé leur connaissance quasi-parfaite des rouages de l’Administration publique. Cette expérience aurait été à l’origine de leur passage du secteur public au secteur privé. Ces entrepreneurs continuent d’avoir de bonnes relations avec l’Administration ; leur stratégie économique semble être fondée, non sur la prise de risque mais plutôt sur des sentiers battus. Beaucoup d’entre eux avouent n’avoir pu engager leurs premières productions que grâce à la complaisance de grosses commandes faites au départ par un ami ou un parent, un frère, un camarade de classe ou un ancien collègue, directeur d’une entreprise publique.

Une partie de ces entrepreneurs est aujourd’hui menacée de disparition suite à l’allègement de l’appareil administratif dû au désengagement de l’Etat (redéploiement de l’Etat avec abandon de certains secteurs et allègement de la réglementation signifiant la diminution d’opportunités d’enrichissement). Ces entrepreneurs ont encore cependant la possibilité d’utiliser leur pouvoir étatique pour préparer leur reconversion dans d’autres secteurs : commerce international ou spéculation immobilière (Krichène, 1992).

 

Les groupes renforcés

 

La bourgeoisie marchande : le temps de l’exploration

Plusieurs chercheurs se sont intéressés à la bourgeoisie marchande tunisienne, en particulier sous l’angle de la capacité (ou de l’incapacité) des capitalistes marchands à se lancer dans l’aventure industrielle, Azzam Mahjoub et Mahmoud Ben Romdhane récusent non sans raison l’emploi du concept de bourgeoisie compradore à propos de la bourgeoisie tunisienne, car ce concept évoque, à leurs yeux, essentiellement une fonction commerciale et d’intermédiation dans les transactions internationales. Les évolutions qui affectent l’économie internationale, selon les mêmes auteurs ont favorisé la reconversion de certaines fractions bourgeoises qui ont tendance à être identifiées en se référant plus au critère de la production qu’à celui du commerce.

Tel semble être le cas de certains entrepreneurs originaires de la ville de Sfax. Par tradition, ces entrepreneurs ont entamé leur ascension sociale à partir d’un capital accumulé dans le commerce ou le négoce. Enrichis par des transactions sur des produits agricoles, ces entrepreneurs ont été incités à prolonger leur activité de négoce en activité de fabrication avec l’accroissement de la population urbaine et les besoins qui lui sont corrélatifs. Les chaussures, l’alimentation sont ainsi leur domaine, et leur succès est assuré car ils sont – depuis longtemps – les seuls à bien connaître les circuits commerciaux. Il va de soi que ces entrepreneurs se situent pour la plupart dans une logique de continuité, d’ailleurs même leurs projets industriels ne sont en réalité qu’une extension sous une forme industrielle de leur activité initiale.

Les chercheurs tunisiens économistes, gestionnaires, géographes et sociologues mènent des réflexions qui semblent reconnaître tous ou presque que la contribution du secteur privé au développement économique du pays n’est pas à la mesure de la générosité de l’Etat. Le caractère dominant des initiatives privées reste spéculatif, parasitaire, donc faiblement productif. Mais la crise actuelle pourrait être bénéfique si elle permettait des remises en cause favorables à l’élimination progressive de mauvaises traditions anti-économiques. En effet, les entrepreneurs tunisiens commencent à se poser des questions nouvelles en s’interrogeant sur leur statut. De nouveaux profils semblent se dessiner, mais tant que le secteur privé ne s’assume pas en tant que tel à travers l’élargissement de sa marge d’autonomie, il ne pourra jamais devenir un agent du développement fort, imaginatif et créateur de richesse.

 

Les nouveaux entrepreneurs d’origine rurale

Le temps de renforcement des assises financières 

Il s’agit de grands propriétaires fonciers qui ont voulu non seulement prendre en charge la commercialisation de leur production, mais aussi diversifier les sources de leurs revenus en réalisant des investissements dans l’industrie agro-alimentaire. Ces entrepreneurs ne sont plus menacés comme ils semblaient l’être, il y a quinze ans, car leur production agricole est désormais davantage mise en avant que la justice sociale. Il leur suffit par un processus de modernisation réel de passer de la catégorie de grands propriétaires à la catégorie d’entrepreneurs agricoles pour obtenir non seulement l’acceptation, mais encore le soutien d’organismes internationaux.

On pourrait situer l’apparition de ces entrepreneurs dans le domaine industriel au début des années 1970 et ils ont vu leur nombre s’accroître au cours des années 1980, mais on n’a pas constaté chez la plupart d’entre eux un désir immense de profiter de la politique d’ouverture prônée par l’Etat ; ils n’ont profité que de manière très partielle de la délocalisation et du partenariat. La dynamique manifestée par ce groupe d’entrepreneurs d’origine rurale, qu’ils soient hommes ou femmes dans le secteur de l’industrie agro-alimentaire montre qu’ils se conduisent, de plus en plus, en capitalistes, leur volonté de réaliser des profits élevés les conduit à concurrencer les capitalistes citadins, dans le domaine des activités spéculatives (l’immobilier, en particulier).

 

Les entrepreneurs issus de l’émigration

Il s’agit d’entrepreneurs ayant vécu pour la plupart en Europe et plus particulièrement en France, en Allemagne et en Belgique durant une période allant de cinq à huit ans, dans le but de préparer un diplôme supérieur. Lors de leur séjour en Europe et parallèlement à leurs études supérieures, certains d’entre eux ont participé à des activités syndicales et associatives. Ainsi, ils ont su établir des relations avec des personnes d’influence.

Historiquement, l’apparition de ce groupe d’entrepreneurs pourrait être située vers la fin des années 1980. Ces entrepreneurs dirigent aujourd’hui des sociétés mixtes spécialisées dans la sous-traitance internationale. Cette nouvelle génération d’entreprises a connu un essor considérable depuis l’accord de partenariat signé par le gouvernement tunisien et la communauté européenne le 17.07. 1995 (Cassarino, 1998). Ces entrepreneurs voient dans la politique d’ouverture sur le marché international prônée par l’Etat et dans son désengagement vis-à-vis de la vie économique l’expression d’une certaine assimilation par les pouvoirs publics des règles du jeu économique. Mais, ils estiment nécessaire de faire accompagner cette situation par des actions d’envergure permettant la restructuration des relations de travail et la mise en œuvre d’arrangements institutionnels durables entre partenaires sociaux.

Bref, il s’agit de redéfinir pour eux, le statut du travailleur. Le manque de compétitivité qui caractérise, selon eux, la plupart des entreprises tunisiennes serait le résultat d’une faible productivité de la main-d’œuvre. Dans ces conditions, l’entrepreneur tunisien est nécessairement favorable à une nouvelle législation du travail qui soit beaucoup plus simple que celle qui est actuellement en vigueur.

Toutefois, il faut bien remarquer que ces entrepreneurs qui travaillent pour l’exportation ne sont pas à l’abri des aléas du marché international. Le secteur exportateur n’est pas homogène, les exportateurs de produits de base, à titre d’exemple, sont menacés par la concurrence, le ralentissement de la consommation et le progrès technologique ; ce n’est que quand ils bénéficieront d’avantages comparatifs considérables que leur position sera renforcée.

 

Les mutations dans les couches inférieures des entrepreneurs tunisiens

 

Des mutations considérables sont aussi en cours dans les couches inférieures des entrepreneurs avec un certain nombre de groupes clairement en difficulté, alors que d’autres sont dans une situation ambiguë variant selon les circonstances et les caractéristiques locales entre l’amélioration et l’aggravation de leur condition.

 

Groupes en difficulté

* Les artisans et les petits industriels à marché local

Parler des artisans et des petits industriels, c’est parler en réalité d’un monde insaisissable. Ces entrepreneurs ne constituent pas un groupe homogène. Bien au contraire, c’est un groupe très différencié. Et de surcroît, ces petits entrepreneurs sont d’une logique difficile à cerner qui met au défi économistes et anthropologues à la fois. En effet, le but de la production dans ce secteur n’est pas toujours l’accumulation illimitée, ni la production pour la production. Et même s’ils utilisent dans leurs transactions des ressorts semblables à ceux de l’économie capitaliste tels que le salariat, par exemple, ils empruntent le plus souvent des circuits et des réseaux qui ne relèvent pas de l’économique stricto sensu, mais où s’entrelacent toutes sortes de relations d’affinité et où la parenté opère souvent avec une force structurante.

Les unités de production fondées par ces entrepreneurs sont généralement des micro-entreprises. La dimension réduite de ces unités et la nature des activités qu’on y exerce comme la menuiserie, la confection, le tissage ou encore la fabrication de chaussures expliquent la faible technologie utilisée ; dans chaque unité de production prise à part, on n’emploie pas plus de 4 ou 5 machines. D’où donc l’usage intensif de la main-d’œuvre. En outre, ces micro-entreprises sont familiales. La plupart des recrutés sont des apprentis ou des ouvriers d’un niveau d’instruction très bas, ne dépassant pas dans les meilleurs des cas la première ou la deuxième année de l’enseignement secondaire. On fait donc travailler une population qui ne peut guère être embauchée par les PME modernes (Charmes, 1987)

A la différence des autres entrepreneurs, les petits industriels se consacrent individuellement à l’entretien de nombreux aspects de l’organisation du travail de leurs entreprises : l’approvisionnement en matières premières, le contrôle du procès de la production, la commercialisation des produits et la gestion quotidienne du personnel. Il se développe ainsi chez eux un esprit d'autogestion qui a souvent pour aboutissement une certaine passion d’être maître de son entreprise et parfois même une certaine suspicion vis-à-vis des interventions de l’Etat.

 

Les groupes en situation ambiguë

* Les entrepreneurs anciens ouvriers

Il s’agit d’anciens ouvriers ou agents de maîtrise de formation, le plus souvent autodidactes et formés sur le tas. On pourrait situer leur apparition vers le milieu des années 1970, période relativement prospère.

Ces entrepreneurs se situent dans une logique de création et d’innovation ; ils font prévaloir leur savoir-faire et leur parfaite connaissance du milieu industriel dans lequel ils opèrent. Ainsi par exemple ne pouvant acheter la matière première importée, ils recourent au circuit local. L’investissement réalisé par ces entrepreneurs est modeste et quand il s’accroît, c’est par le lancement de petites affaires entre parents, beaucoup plus que par l’intensification ou la modernisation de l’atelier initial. Ces entrepreneurs se plaignent de l’administration qu’ils trouvent agressive et minutieuse.

Par ailleurs, ces groupes plus actifs dans le secteur non structuré ont vu augmenter leur potentiel de main-d’œuvre et de clientèle du fait de la crise de l’emploi et parfois de la production. Ils ont ainsi profité de la tendance à la déréglementation et du pari sur la souplesse et la flexibilité pour développer leurs activités dans des créneaux favorisés par la conjoncture.

Toutefois, le temps de ces entrepreneurs reste marqué par l’incertitude. En effet, non organisés et n’ayant pas les moyens économiques et financiers pour faire face à la concurrence des « grands », ils expriment individuellement leurs craintes. Régler des problèmes au jour le jour par la force des choses comporte des limites. Certains d’entre eux sont conscients qu’on peut résoudre, effectivement, une partie des problèmes qui se posent en faisant appel à la solidarité du groupe, aux relations, à l’astuce et à un grand sens de la débrouillardise (Koubaa, 1991).

L’investissement réalisé par ces entrepreneurs est modeste et quand il s’accroît, c’est par le lancement de petites affaires entre parents, beaucoup plus que par l’intensification ou la modernisation de l’atelier initial.

Ces entrepreneurs se plaignent de l’Administration qu’ils trouvent tracassière et tatillonne. Ils ont cependant profité de la tendance à la déréglementation et d’une plus grande flexibilité pour développer leurs activités dans des créneaux favorisés par la conjoncture.

 

 

Entrepreneurs, structures communautaires et mondialisation

 

Les entretiens ainsi que la mise en évidence de la dimension historique et sociologique du processus de structuration de cette catégorie sociale, celle des entrepreneurs, nous ont permis d’identifier, dans le cas tunisien, plusieurs communautés génératrices d’initiatives privées pour des raisons différentes, dont les plus importantes sont celles de Sfax, du Sahel.

Le fait entrepreneurial ne peut-être donc envisagé, dans cette situation que comme un fait de communauté. Dans son célèbre ouvrage Communauté et Société, le sociologue allemand Ferdinand Tönnies considère la communauté comme étant une collectivité, dans laquelle se développent des liens de solidarité fondés sur une forte identité, un sentiment d’appartenance et l’acceptation de règles de conduite particulières[4].

Le mode d’entrepreneuriat communautaire prend principalement la forme d’une mobilisation d’un capital de relations sociales familiales et économiques au sein de la communauté, pour l’établissement et le développement des affaires. Les réseaux familiaux ont, semble-t-il, parfois, servi pour mener à bien certains types d’activités économiques que la communauté contrôle grâce à l’exploitation d’un savoir-faire spécifique. Les valeurs qui continuent d’imprégner les entrepreneurs sont encore des valeurs traditionnelles beaucoup plus proches de celles du monde rural que de celles du monde urbain. Ces valeurs incitent à l’adaptation, la cohésion sociale et la solidarité familiale.

Les deux communautés répertoriées – de Sfax et du Sahel – réagissent pourtant différemment à la mondialisation, les sfaxiens semblant être relativement plus combatifs. Nous allons tenter dans la suite du texte de comprendre ce phénomène.

 

La résistance timide face à la mondialisation

 

Historiquement, Sfax est une ville commerciale, le processus de formation des structures économiques et sociales de la bourgeoisie tunisienne montre que la richesse et la puissance de certaines familles sfaxiennes ne datent pas d’aujourd’hui. Aux ΧVIIIe et XIXe siècles, celles-ci avaient entamé leur ascension sociale en exploitant des opportunités offertes tant sur le plan local que sur le plan international. (Zouari, 1990), Mais c’est surtout dans le domaine du commerce, de l’artisanat et de la spéculation que ces familles ont utilisé leur talent. La logique du prestige prédomine sur la logique d’investissement.

Sfax n’a connu l’industrialisation qu’à la fin des années 1960. La mainmise de l’Etat sur l’agriculture et le commerce dans le cadre de sa politique de collectivisation a poussé un bon nombre d’artisans, de commerçants et de négoces à investir leurs capitaux dans les industries manufacturières. C’est dans ce secteur que les entrepreneurs sfaxiens ont trouvé refuge.

Le tissu entrepreneurial sfaxien est aujourd’hui fortement diversifié. Cette diversité révèle bien évidemment la dimension historique et sociologique du processus de structuration d’un entrepreneuriat qui ne manque manifestement pas d’originalité.

Par ailleurs, comme les entrepreneurs sfaxiens sont pour la plupart issus d’un milieu artisanal ou ouvrier ou encore technicien et de ce fait organiquement liés à l’industrie et disposant ainsi forcément d’un savoir-faire et d’une maîtrise au moindre détail de ce secteur, leur regard est nécessairement focalisé sur l’organisation technique du travail en vue d’augmenter la productivité. Apparemment, leur souci majeur, c’est l’efficacité et l’efficience (Nabli, 1999, p.364-369). Ils disposent par conséquent, chose qui semble être confirmée par les études de Pierre Noël Denieuil, d’un système d’action leur permettant de résister aux modifications de l’organisation économique internationale.

La reproduction de ce système se fait par démultiplication croissante des entreprises. Cette démultiplication repose sur des mécanismes sociaux qui en font un creuset de l’esprit d’entreprise. Le patron qui possède le secret de la profession finit le plus souvent par livrer ce secret à son apprenti, mais pas avant que celui-ci ne fasse preuve de docilité et de loyauté à son égard. Parallèlement à l’apprentissage du métier et à mesure que l’apprenti évolue dans cette logique de loyauté, le patron se permet de le charger de multiples activités non productives : l’approvisionnement en matières premières, la commercialisation des produits et la mise en œuvre de ressources personnelles. Bien évidemment, ces activités permettront à l’apprenti de connaître le milieu des fournisseurs, des sous-traitants et des réseaux de clientèle. Ce qui lui facilitera plus tard, quand il aura maîtrisé son métier, la mise à son compte. Dans ce cas de figure, le lancement du projet s’effectue souvent grâce au fonds d’aide familial (Denieuil, 1994, p.153-154).

La reproduction d’un tel système par démultiplication n’est pas l’apanage du secteur non structuré. Ce système réapparaît sous d’autres formes par l’agrandissement des PME et par leur extension. Les industriels sfaxiens essaient de développer entre eux des relations d’entraide et de coopération, qu’ils soient à Sfax ou ailleurs, même à l’étranger, ils font des échanges de compétences, de pièces et de produits. Les réseaux sociaux apparaissent comme fonds d’aide (Denieuil, 1994, p.154).

Dans la même perspective que celle de Denieuil, d’autres analystes (comme Bouchrara, 1987 ; Becattini, 1992 ; Marouani, 1994) estiment que la vivacité des liens familiaux ancestraux a aussi des aspects positifs: là où elle est préservée, elle permet de transmettre des savoirs-faire d’une génération à l’autre et de perpétuer des liens de solidarité ancestraux au sein de la communauté locale.

 Or, nous estimons, en toute modestie, et en dépit de ces petites réussites, que l’Anthropologie économique se doit de rompre avec cette approche de type «culturaliste » qui exalte systématiquement les savoirs et les pratiques populaires faisant croire ainsi pouvoir explorer les ressources cognitives et pragmatiques des acteurs, aussi apparemment démunis soient-ils. En anthropologie, plus que jamais, il y a lieu de souligner le caractère transactionnel de beaucoup de consensus et de normes qui sont négociés, au moins informellement ou de façon latente.

Il est incontestable que dans le contexte sfaxien, les unités économiques, outre les emplois crées ont eu des effets induits positifs sur l’ensemble du tissu économique qu’elles ont stimulé à partir d’une production desservant des aires de marché variées allant du local au national et atteignant de plus en plus les marchés extra-nationaux. Cependant, toute médaille ayant son revers, la localisation de ces unités pose problème puisque les 179 ha aménagés par l’AFI (l’Agence foncière industrielle) s’étendent en partie en zone centrale essentiellement sur les ailes littorales nord et sud de Sfax qui accueillent à elles seules les ¾ de ces unités. Une telle configuration spatiale engendre maintes craintes environnementales (par les pollutions engendrées), paysagères (liées à l’incompatibilité fonctionnelle), de transport par la difficulté d’accessibilité et de fluidité de la circulation.

Ceci dit, le mouvement d’essaimage en matière de création d’activité qui a toujours fait la gloire de Sfax, considéré comme étant l’expression irréfutable du dynamisme économique de ses habitants, s’avère aujourd’hui compromettant pour Sfax et sa région.

Effectivement, les craintes environnementales ont été préjudiciables à la mobilisation des investissements aussi bien nationaux que ceux des étrangers dans le gouvernorat de Sfax et plus précisément dans le Grand Sfax malgré son dynamisme. L’ensemble de ces éléments explique, au moins en partie, la régression relative de l’économie sfaxienne, déjà annoncée par le SDATN (Schéma Directeur d’Aménagement du Territoire National) qui, pour 1995, positionne Sfax au 7e rang au regard de son taux d’industrialisation : 4,3 % après Monastir (11%), Ben Arous (7,7 %), Sousse (6,5 %), Nabeul (4,7 %), Bizerte (4,5 %) et Tunis (4,4 %), (SDGS, op. cit, p. 55 et 56. )

De surcroît, on ne peut pas parler des entrepreneurs sfaxiens sans évoquer les difficultés actuelles que connaissent certains d’entre eux, ceux qui travaillent dans la production des cosmétiques (Les Mzious), les meubles (Les Akrouts), la dinanderie (Les Kallels), l'agro-alimentaire (Les Affès) ou encore la laine. Ces signes d’épuisement montrent que ces différentes activités s’expliquent, d’abord, par le maintien de méthodes de production dépassées, ensuite par le fait que la concurrence n’est plus aujourd’hui interne entre les sfaxiens, comme auparavant, mais se fait avec le capital international par l’intermédiaire des produits importés. En outre, par certains de ses aspects, cette organisation du travail n’est pas irréprochable, surtout lorsque l’on pense aux conditions de travail des ouvriers et des apprentis.

On peut également s’interroger sur le sens à accorder au deuxième cas de figure concernant la démultiplication des entreprises. En effet, sur le plan fiscal, en particulier, on a pu constater que certains entrepreneurs pour éviter de passer à la tranche supérieure d’impôts, morcellent leur activité et adoptent une stratégie multiforme quant à l’allocation de leurs ressources. Il n’est donc pas rare qu’une PME puisse devenir une société mère pour de petites affaires commerciales et/ou industrielles, dont l’existence ne s’explique que par la volonté de leur dirigeant de payer moins d’impôts. Mais il est vrai aussi que certains entrepreneurs évitent de s’exposer, c’est-à-dire de concentrer leur patrimoine dans un espace localisé. Cela peut entraîner des problèmes inextricables. Morcellement et stratégie multiforme sont donc deux aspects qui permettent, d’ores et déjà aux entrepreneurs sfaxiens et tunisiens en général d’être insaisissables.

Des contraintes sociales peuvent également circonscrire les comportements et favoriser des choix considérés, dans d’autres circonstances, comme non rationnels : la stratégie de diversification peut ainsi résulter de la répartition du capital et des bénéfices entre différents membres de la famille ou encore du manque de confiance dans les sous-traitants potentiels ou du choix de l’intégration verticale (yaourt, pot de yaourt et emballage par exemple). L’éclatement du patrimoine – ce que Denieuil nomme « La démultiplication des unités de production » – procède de la décision de ne pas changer de modes de fonctionnement, de ne pas briser la logique des ressources « souterraines » ou informelles, de ne pas remettre en cause les modes de faire.

La volonté des entrepreneurs de rester dans des structures familiales et de ne pas ouvrir ni le capital ni les comptes s’explique moins par des contraintes politiques que par des facteurs humains, tels que le souci de garder le contrôle d’une affaire créée de toutes pièces, la peur de la transparence et du regard extérieur, la préférence pour des bricolages, des arrangements, des ruses avec le fisc ou toute autre autorité administrative. Il est plus facile de « tricher » avec et entre petites structures qu’au sein d’un grand groupe surveillé et soumis à des techniques de gestion autrement plus rigoureuses (Tangeaoui, 1993, p. 17-18).

Les conséquences néfastes immédiates d’une stratégie qui témoigne d’un esprit trop étroit sont multiples : le morcellement d’un patrimoine pourrait être provoqué par l’investissement, par exemple, d’une partie du capital dans des activités souterraines favorisant des évolutions sociales et économiques positives (création d’emplois plus au moins durables, subsistance de familles entières, hausse de l’argent qui circule au détriment de l’argent gelé). L’expérience prouve, cependant, que la dynamique économique à laquelle donne lieu ce type de stratégie est fragile. Ne serait-ce que parce que l’entrepreneur sfaxien est souvent un homme qui s’occupe de tout : administration, comptabilité, etc. Se consacrer sous cet angle à plusieurs activités et à plusieurs affaires, peut aboutir à un éclatement de l’acte entrepreneurial et de son efficacité. Le travail et le capital sont, dans ces conditions, en miettes ; en outre, la rentabilité du second reste, dans une certaine mesure, à démontrer.

Enfin, et là réside une des difficultés majeures connues par ces entrepreneurs consiste en l’absence de concordance entre la logique économique et la logique politique. En effet, le fait qu’un entrepreneur donne une dimension éclatée à son patrimoine peut se justifier par le fait que politiquement, il serait préférable de ne pas se mettre trop en évidence ; tout comportement ostentatoire est en réalité banni. Une logique capitaliste libérale et une logique bureaucratique peuvent donc entrer en conflit dans la mesure où les principes qui structurent l’une et l’autre sont bien différents. Dans ces conditions, il est bien normal que l’ascension sociale de ces acteurs sociaux ne soit faite que d’une manière « éclatée et souterraine » (Tangeaoui, 1993).

Or, la stratégie entrepreneuriale qui semble se développer dans les pays industrialisés va plus dans le sens de « l’intégration » que de « l’éclatement ». Ainsi, ce qui caractérise une entreprise intégrée c’est, entre autres, la possibilité qu’ont ses dirigeants de traiter, en un minimum de temps, des problèmes techniques et financiers complexes, et tirer un profit optimal des moyens dont ils disposent. Le chef d’entreprise n’est plus un monarque absolu, il est situé dans un réseau de groupes qui cherchent à peser sur les décisions en fonction des intérêts de leurs membres ou du secteur de production qu’ils assurent. L’image de l’entreprise comme un ensemble fortement intégré et conduit au feu de l’action comme un régiment est de plus en plus remplacée par celle d’un tout formé de sous-ensembles relativement autonomes, dont les intérêts sont toujours partiellement en conflit.

Il reste cependant que, dans l’ensemble, la croissance économique, dans le cadre d’une économie mondialisée, n’est plus recherchée en elle-même. Sa dimension qualitative est désormais prise en compte. Il importe de produire plus mais aussi de produire mieux, et cette croissance devrait résulter du dynamisme des acteurs économiques. A ceux-ci d’entreprendre, à l’Etat de les y aider et aux consommateurs de disposer. L’arbitre dans ce domine devrait être le marché. Son instrument de régulation : la loi de l’offre et de la demande. Faut-il rappeler cependant qu’il ne s’agit là que d’orientations générales ; autrement dit, la dimension qualitative de la croissance dont il est ici question, ne s’inscrit que dans le cadre d’un projet social qui en est à ses premiers balbutiements (Zghal, 1995).

Pour les entrepreneurs sfaxiens, ces orientations comportent des signes positifs indéniables qui correspondent à leurs attentes ; mais le fait qu’elles puissent donner lieu à une dynamique économique relative ne signifie pas que la modernisation politique soit une affaire réglée. Ils constatent que l’esprit de pouvoir est toujours prépondérant et que les structures politiques actuelles peuvent ne pas s’articuler avec une logique économique rationnelle et autonome. Pour eux également, et cela doit être souligné, la remise en cause actuelle du rôle de l’Etat-Patron s’explique moins par l’adhésion à une philosophie politique nouvelle que par l’épineux problème du manque de ressources auquel l’Etat est confronté. A un moment où les contraintes sociales pèsent de plus en plus sur le destin du pays, les pouvoirs publics sont, selon eux, plus que jamais disposés à encourager toute évolution qui puisse leur permettre de dégager de nouvelles ressources. A bien des égards ce diagnostic est difficilement récusable.

L’idée de l’internationalisation comme réaction aux immixtions du pouvoir central repose sur l’hypothèse que les partenaires étrangers sont à même de protéger l’entreprise tunisienne et de résister aux velléités de contrôle politique, de clientélisme et de prédation. Ce qui est loin d’être le cas, les entreprises étrangères peuvent même être plus vulnérables que les entreprises tunisiennes, si elles ne font pas partie de grands groupes internationaux aux pouvoirs de négociation importants. Peu insérées dans le tissu social tunisien, leur savoir-faire est moindre pour se prémunir de l’appétit grandissant de certains affairistes. Elles peuvent être amenées à compenser ce déficit en utilisant des intermédiaires, pas toujours fiables.

La dernière stratégie adoptée par les entrepreneurs tunisiens et en particulier les sfaxiens pour se prémunir de l’immixtion politique serait -selon le témoignage de nombreux observateurs vigilants – celle de la grève des investissements. Le taux d’investissement privé en Tunisie tourne autour de 13 % depuis deux décennies, alors que dans les pays émergents, il atteint 25 %. En réalité, les statistiques suggèrent moins une grève des investissements que leur très léger ralentissement, le taux d’investissement privé est passé de 13,5 % du PIB entre 1970 et 2000 à 13 % entre 1990 et 2000. Elles montrent surtout que les investissements se font peu dans l’industrie et dans les secteurs ouverts à la concurrence.

En raison des charges fiscales qui ne cessent d’augmenter et de la faible compétitivité internationale de leurs entreprises, les entrepreneurs sfaxiens se tournent, en toute logique économique et financière, vers les secteurs protégés (agro-alimentaire, services) ou défiscalisés (agriculture), vers les industries de montage et de biens non échangeables (matériaux de construction, céramique, verre) et vers des rentes (construction, immobilier). Quant au ralentissement de la croissance, il s’explique aisément par le contexte économique de la Tunisie : les incertitudes nées de la libéralisation des échanges, en particulier avec l’Europe, sont nombreuses. En plus, la situation bancaire, profondément affectée par l’ampleur des impayés, pèse lourdement sur la rentabilité des investissements tandis que le retard technologique et la faible attractivité de la région tout entière compromettent toute possibilité de redressement de la situation.

Au-delà de ces menaces qui pèsent sur certains secteurs de l’entrepreneuriat sfaxien, considéré dans sa globalité, cet entrepreneuriat semblerait faire preuve d’une certaine vitalité tout à fait remarquable, mais nous demeurons sceptique quant à son avenir, en ces temps de croissance incertaine au Nord, et de difficultés de développement au Sud.

 

S’il en est ainsi pour les sfaxiens, qu’en est-il pour leurs concitoyens sahéliens qui ne se réfèrent quant à eux toujours qu’à une logique beaucoup plus de réseau que de communauté ?

 

La fuite devant le capital international

 

Historiquement, le Sahel tunisien est une région de bourgades villageoises vivant de l’agriculture et de l’artisanat. Le géographe Hafedh Sethom rapporte dans un ouvrage consacré à la Tunisie (Etudes régionales) qu’une enquête réalisée en 1953 par les autorités coloniales a recensé prés de 8 000 artisans au Sahel sur quelques 23 000 entreprises et que l’artisanat du tissage et de l’habillement représentait de loin le secteur le plus important, celui qui occupait plus de la moitié des artisans et plaçait le Sahel en tête de toutes les régions d’artisanat textile de la Tunisie (Sethom, 1974, p.207 et 315).

A la veille de l’indépendance du pays, l’économie sahélienne était subdivisible en deux secteurs : le premier était d’autosubsistance alors que le second était d’accumulation capitaliste.

L'économie d'autosubsistance permettait d’intégrer tous ceux qui travaillaient surtout pour leur survie comme les petits artisans ou les petits paysans ou encore les petits commerçants. Bien entendu, ceux-ci ne travaillaient pas pour l’accumulation d’un capital, c’était vraiment, pour eux, une chose hors de leur portée. Leur objectif était évidemment le maintien du statu quo ; la reproduction simple de leurs moyens de subsistance. Dans ce contexte, la parenté en général et la famille en particulier, ne pouvaient que prendre beaucoup d’importance, eu égard au fait qu’elles offraient dans ce cadre la possibilité de réaliser et la production et la consommation des biens. Le recours à la main-d’œuvre étrangère n’était toléré qu’en cas de besoin. Il y avait beaucoup d’interpénétration entre le monde du travail et celui de la famille. En outre, l’autorité des corporations était acceptée, surtout dans le secteur artisanal. Quant aux paysans et aux commerçants, ils auraient subi le diktat du Palais Beylical.

Cette économie comprenait à l’époque deux catégories d’entrepreneurs :

– La première catégorie était composée de tous les propriétaires de pieds d’oliviers ayant réussi à accumuler des richesses financières grâce au surplus tiré de l’exercice de leur activité d’arboriculteurs et de la cueillette des olives. Ces entrepreneurs ont même commencé à construire leurs huileries depuis la colonisation. L’indépendance proclamée, encouragés par la nouvelle législation, ils se sont mis à promouvoir des PME dans des secteurs aussi variés comme l’industrie agro-alimentaire ou l’ameublement ou encore les industries manufacturières diverses et même le bâtiment. Tel est le cas semble-t-il de l’entrepreneur Gloulou, l’un des entrepreneurs les plus réputés du Sahel qui, pour se convertir en industriel, a commencé par vendre une partie du patrimoine hérité de son père (quelques pieds d’oliviers et quelques têtes de moutons). C’est ainsi semble-t-il qu’il avait réussi – avec ses frères – à fonder leur première manufacture de carrelage. Ayant vu la demande de ses produits s’accroître, Gloulou n’avait pas hésité à promouvoir son entreprise de bâtiment et à investir dans la construction d’hôtels. Il va de soi que les entreprises promues sont, pour la plupart, des entreprises familiales. Gloulou n’aurait pas gagné le pari si la famille ne s’était pas engagée avec lui dans cette expérience économique.

– La deuxième catégorie comprenait avant l’indépendance du pays, des entrepreneurs originaires d’Italie et d’autres tunisiens mais de confession juive. Les juifs sahéliens de l’époque avaient un rôle de grande importance ; c’étaient, eux qui faisaient l’intermédiaire entre le monde rural et le monde urbain dans cette partie du pays. Grâce à eux, les ponts ont été établis entre les différentes parties de cette mosaïque. Mais les juifs du Sahel avaient aussi l’habilité d’exploiter les moments de crise (sécheresse, inondations, criquets) à leur avantage. C’était pour eux le moment opportun, l’occasion ou jamais pour obliger leurs clients à leur concéder une partie sinon la totalité de leur patrimoine, étant dans l’incapacité de rembourser leurs dettes.

Toutefois, selon le témoignage de nombreux observateurs, la pratique de l’usure n’était pas l’apanage des juifs, certains musulmans ont préféré transgresser l’interdit religieux plutôt que de ne pas saisir une telle opportunité de gain facile. D’ailleurs, lorsque les juifs ont fui le pays vers la France et Israël, on n’a pas vu cette pratique de l’usure disparaître, bien au contraire, elle s’est renforcée ; elle a été reprise par certains riches Moknis. Ironie de l’histoire, les moknis furent historiquement victimes de cette pratique.

Aujourd’hui, de nombreux entrepreneurs sahéliens continuent de s’adonner à la pluri-activité : ils font des investissements dans plusieurs branches économiques, ils exercent dans le commerce et détiennent un patrimoine immobilier qu’ils louent. La notion de rente est très enracinée dans la mentalité sahélienne et constitue une arme de valeur pour faire face aux fluctuations du marché.

Il importe aussi de rappeler que l’industrialisation n’a commencé véritablement dans la région du Sahel, qu’à la fin des années 1960 et au début des années 1970. Cette industrialisation n’aurait pas pu être réalisée et prendre de l’ampleur sans le soutien primordial des pouvoirs publics. En effet, les premières grandes unités industrielles dans la région (Les Tissages de Ksar-Hellal, 1959 ; La Sogitex de Sousse, 1962 ; La Sogitex de Monastir, 1965 ; La Sogitex de Moknine, 1969) sont toutes publiques et elles ont été réalisées presque toutes dans le textile. Sous l’impulsion de l’Etat et à partir du milieu des années 1960, l’initiative privée a commencé à s’intéresser presque exclusivement au tissage. Ainsi, elle a pu créer quelques unités industrielles comme « Le progrès industriel » de Ksar Hellal ou « La Sgebol » de Ksibet EL Médiouni.

Dès le début des années 1970, l’Etat a décidé de renoncer à son rôle d’investisseur direct et il n’a épargné aucun effort pour doter la région d’une infrastructure de base moderne, dans le but d’y orienter les investisseurs tunisiens et étrangers. Par la loi d’avril 1972, puis la loi d’août 1974, beaucoup d’avantages et d’exonérations sont accordés aux projets à vocation exportatrice et générateurs de devises : subventions d’investissement, prise en charge des travaux d’infrastructure et réduction des droits d’enregistrement ainsi que des impôts sur les revenus.

L’industrialisation privée qui s’est développée au Sahel en particulier et en Tunisie, en général, dans les années 1970 et 1980, s’est massivement effectuée dans le cadre de substitution aux importations. On s’est mis à fabriquer localement des produits – essentiellement des biens de consommation courante – qui étaient jusque là importés. Dès qu’un produit de substitution était lancé sur le marché intérieur, des mesures étaient prises automatiquement à un niveau central qui fermait les frontières devant la concurrence étrangère. Le protectionnisme douanier pouvait prendre l’une des trois formes suivantes : la prohibition pure et simple de toute importation d’un bien produit nationalement ; l’établissement de quota résiduel d’importation, lorsque la production nationale n’était pas en mesure de répondre à la totalité de la demande intérieure ; des droits de douane excessifs qui se traduisaient par une interdiction de fait de la concurrence étrangère.

Le protectionnisme, en maintenant artificiellement les entreprises tunisiennes à l’écart des flux d’échanges internationaux, à l’écart de la compétition, les condamnait par la force des choses à la stagnation. Et depuis le milieu des années 1980, de nombreux créneaux ont pu être alors réalisés au Sahel dans le cadre de l’exportation. Le Sahel réalise aujourd’hui les taux les plus élevés d’industrialisation : avec 11 % et 7,7 %, Monastir et Sousse occupent respectivement la première et la troisième places à l’échelle nationale.

Enfin, et c’est le fait le plus saillant de l’entrepreneuriat sahélien, la Technostructure issue elle-même du Sahel, désireuse de conserver tout le pouvoir, a encouragé de nombreux fonctionnaires de la région à se convertir en industriels, en leur accordant des dotations remboursables sur 12 ans et avec un délai de grâce de 5 ans, ainsi qu’une aide sous forme de crédit remboursable sur 10 ans. Il en résulte un entrepreneuriat dont l’avenir n’est pas tributaire de ce qu’il fait sur le plan professionnel, mais plutôt de l’étendue et de la solidité de ses relations politiques (Denieuil et al., 1994, p. 146-147, 167-168).

Il paraît que, dans le cas où l’Etat semblerait être l’agent central de captation et de distribution des ressources rentières (Etat rentier), la légitimité étatique tend à être achetée par la redistribution de la rente sous forme de subventions, de la gratuité des services publics, de mesures protectionnistes, d’emplois réservés, d’exemption d'impôts dont bénéficient les groupes sociaux définis comme inclus[5].

Les entrepreneurs sahéliens sont issus pour la plupart d’un milieu petit bourgeois à la fois traditionnel et moderne. La frange issue de la petite bourgeoisie traditionnelle, après avoir réussi à accumuler un capital soit dans le commerce, soit dans la sylviculture, s’est lancée dans la petite industrie de montage ou de transformation. Quant à la frange issue de la petite bourgeoisie moderne, très proche des sphères du pouvoir, elle a toujours bénéficié du soutien de l’Etat. Mais, étant peu initiée à l’aventure entrepreneuriale, son avenir semble dépendre beaucoup plus de l'amplitude et de la solidité de ses relations politiques que de ce qu’elle fait sur le plan professionnel.

Il s’avère donc que la dynamique socio-économique du Sahel – qui semble être à la fois complexe et enchevêtrée – dénote de l’interpénétration de plusieurs éléments, les uns endogènes comme l’Etat et les acteurs économiques locaux et les autres exogènes comme le capital étranger et certaines institutions internationales, à l’exemple de la Banque mondiale (BM) ou le Fonds monétaire international (FMI).

De toutes les façons, le bilan de plus de quatre décennies d’expérience économique reste mitigé. Pour mieux comprendre cette situation, il faudrait, à notre sens, relever les choix que ces entrepreneurs opèrent le plus souvent et le mode de gestion qu’ils adoptent.

En effet, quand il s’agit du projet d’investissement, il est peu fréquent que sa conception soit fondée sur une étude scientifique de sa faisabilité. Il faut signaler que l’étude du marché et des possibilités d’écoulement offertes à l’entreprise dont on envisage la création reste sommaire lorsqu’elle fait l’objet d’une approche par le promoteur. Ainsi, il n’est nullement étonnant de voir l’entrepreneur prendre la décision de créer son entreprise par mimétisme ; il lui suffit de voir quelqu’un réussir pour le copier aussitôt après. Les chances de réussite sont généralement estimées en fonction du succès qu’ont connu les affaires évoluant dans la même branche d’activité.

Dans ces conditions, il est bien normal que les prévisions concernant la rentabilité attendue du projet soient marquées par un optimisme béat. Quant au sujet du mode de gestion en vigueur, il faut bien remarquer que le chef d’entreprise est le personnage clé de l’entreprise ; il est souvent impliqué dans un style de gestion direct et personnalisé qui l’empêche évidemment de déployer une stratégie entrepreneuriale accumulatrice de capital et génératrice d’une vision à long et à moyen termes ; il sera alors contraint de se contenter de la gestion du quotidien.

Il est également utile de noter que le problème du fonds de roulement reste pour ces entrepreneurs une de leurs préoccupations majeures. Etant dans l’incapacité d’acquérir une mentalité managériale, ils font le plus souvent des investissements inopportuns et surdimensionnés par rapport à la taille et aux possibilités de développement de l’entreprise. Pire encore, certains de ces entrepreneurs se permettent de faire des retraits de fonds de l’entreprise pour leurs besoins personnels, bien au-delà d’une simple rémunération normale du capital investi.

De fait, rien ne garantit qu’une stratégie de promotion des exportations soit moins sujette aux activités de recherche de rente qu’un régime de substitution d’importations.

Certes, le processus de libéralisation politique a contribué à soumettre davantage la politique économique aux débats et aux contrôles publics, via la couverture médiatique et le contrôle parlementaire. L’accroissement de l’intérêt de la population a renforcé le rôle des associations du secteur privé, notamment les Chambres du commerce et de l’industrie (CCI) ainsi que l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (UTICA). Toutefois, les activités de ces associations, particulièrement prégnantes au Sahel montrent que les pressions qu’elles exercent en faveur d’intérêts commerciaux s’accompagnent souvent de demandes de mesures protectionnistes. D’un autre côté, malgré les pressions et les négociations, la libéralisation de l’économie – caractérisée par la vente de biens publics et la montée de nouveaux investisseurs privés – donne à l’Etat de nouvelles possibilités de népotisme et encourage le système de réseaux informels. C’est en particulier dans le domaine des télécommunications (domaine hautement rentable) que le débat relativement récent sur le mode de privatisation du secteur, et essentiellement de la Société Tunisie Télécoms a montré que de nombreux intérêts étaient en jeu.

Dans un contexte de faiblesse institutionnelle des services publics et des procédures, les systèmes de réseaux représentent une stratégie rationnelle et efficace pour les acteurs impliqués.

Des hommes d’affaires éminents se servent alors de leurs relations de longue date avec des hommes politiques et des hauts fonctionnaires pour préserver leurs privilèges. En bref, loin de mettre en danger les relations anciennes entre le secteur public et le secteur privé, le processus de privatisation et de libéralisation leur a ouvert de nouvelles possibilités de coopération et a, en même temps, procuré au régime de nouvelles occasions de népotisme.

Certes, il serait injuste de mettre tous les entrepreneurs sahéliens dans la même orientation, mais pour un grand nombre d’entre eux, le comportement économique se résume en un simple calcul mathématique des gains et des pertes dans la situation présente à l’évidence décourageante.

 

 

Conclusion

 

A la lumière de ce qui précède, il s’avère que l’on est loin du renversement de la situation : l’acteur économique tunisien d’aujourd’hui – qu’il soit sahélien ou même sfaxien – continue d’appréhender le monde économique à la manière de son ancêtre l’artisan ou le commerçant, voire le rentier. On est encore loin du modèle de la gestion rationnelle de l’entreprise qui laisse présupposer le calcul rationnel, la quête de l’efficacité, l’efficience et la compétence, à la base de toute initiative économique. On ne peut construire une économie solide en s’appuyant sur l’Etat ou par le bricolage.

En attendant un lendemain meilleur, dans le cadre d’une « économie rentière », l’important autant pour le sahélien que pour le sfaxien serait de bien considérer les revenus extérieurs non liés à la production qui continuent de susciter des comportements rentiers défavorables à l’orientation productive. Ainsi, l’enjeu ne serait pas l’efficacité de la production mais le contrôle de la rente et de sa circulation. L’essentiel consisterait à se placer dans le circuit de la rente, et non pas dans la participation à des activités productives.

Assurer la bonne gouvernance des institutions publiques semblerait être aujourd’hui, selon le témoignage de certains de nos interviewés, une urgence pour pouvoir extirper un mal endémique qui ne cesse de ronger ces institutions au point de leur faire perdre toute crédibilité auprès des masses les plus large de la société. Apparemment, les habitudes qui caractérisent certains cadres administratifs sont plus que jamais dépourvues de morale et tendent à privilégier le culte de l’argent et du gain facile. L’Etat se doit sans doute d’être ferme et cela pourrait se traduire par l’institution du culte du mérite et de la compétence à travers des procédures transparentes d’accès au processus de prise de décision.

  

 

Références bibliographiques

Balandier Georges, 1986, Sens et puissance, PUF, Paris,
Bchir Abdelkhalek, 1994, « Le profil socio-historique de Sfax. Quelques pistes de réflexions », Post-face in Pierre Noël Denieuil, Abdelkhalek Bchir, Stanislas Hutin et Pierre Lenel, La PME tunisienne, Paris, CNRS.
Becattini George, 1989, Les districts industriels, La flexibilité en Italie, Paris, Syros.
Ben Arab L., 2003, Développement industriel dans le gouvernorat de Sfax : Situation actuelle et perspectives ; Atelier de la commission socio-économique, SDGS, 26 avril, (Rapport de synthèse, SDGS, 2004).
Cassarino Jean Pierre, 1998, Les entrepreneurs privés tunisiens et leur expérience migratoire passée en Europe. La formation de réseau, Correspondances de IRMC, Tunis.
Charmes Jacques, 1987, « Secteur non structuré, politique économique et structuration sociale », in Tunisie au présent, Paris Edition du CNRS.
Denieuil Pierre Noël, 1992, Les entrepreneurs du développement, l’Harmattan, Paris.
Denieuil Pierre Noël, 2001, Les Femmes entrepreneurs en Tunisie, Paroles et portraits, CREDIF, Tunis.
Denieuil Pierre Noël, Bchir Abdelkhalek, Hutin Stanisias et Lenel Pierre, 1994, La PME tunisienne, Paris, CNRS.
Jaulin Robert, 1972, La paix blanche, Introduction à l’ethnocide, Paris, Edition du Seuil.
Koubaa Z, 1991, « Le Secteur Informel à Sfax : Approche monographique et régionale », In Secteur informel et développement, Analyse multidimensionnelle, Association de Recherche pour le Développement Economique et Social et Fondation
Krichene Aziz, 1992, Le Syndrome Bourguiba, CERES Production, Tunis.
Marouani A., 1994, « Dynamique urbaine et développement économique : le cas de la médina de Sfax », Mondes en développement, tome 22, n°85, p.83-97.
Nabli Rabah, 1999, La politique économique tunisienne et l’émergence des entrepreneurs des industries manufacturières, Thèse de doctorat en Sociologie, soutenue à la Faculté des Sciences Humaines et Sociales de Tunis, 544 p.
Paradeise Catherine, 1990, « Les théories de l’acteur », Cahiers français, n°247 Juillet septembre.
Recensement de la population tunisienne (2005) 2004, INS, Tunis.
République de Tunisie: Mise à jour de l’évaluation du secteur privé, Banque mondiale.
Schumpeter Joseph, 1935, La théorie de l’évolution économique, Dalloz, Paris.
Schumpeter Joseph, 1979, Capitalisme, socialisme et démocratie, Payot, Paris.
Sethom Hafedh, 1974, Etudes régionales, CDU, Tunis.
Tangeaoui Saïd, 1993, Les entrepreneurs marocains, Editeur Karthala, Paris.
Tönnies Ferdinand, 1977, Communauté et société, tr au fr. CEPL, Paris.
Weber Max, 1964, L’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme, Paris, Plon.
Zghal R., 1995, « Pour une restructuration de l’entreprise : Changements environnementaux et défis majeurs », in Monde du travail et emploi/Enjeux technologiques et mondialisation, Actes de colloque, Bizerte, 21,22 et 23 juillet, Cahier n°2.
Zouari A., 1977, Les relations commerciales entre Sfax et Le Levant, Thèse de doctorat de 3ème Cycle, Université d’Aix-en-Provence ; INA, Tunis, 1990.



[1] Selon les statistiques de La Caisse nationale de Sécurité sociale (CNSS, 2001), on distingue en Tunisie cinq catégories d’entreprises :

– La première catégorie comprend toutes les entreprises qui emploient chacune moins de 10 personnes et qui représentent pourtant 84,3 % du tissu entrepreneurial,

– La deuxième catégorie comprend les entreprises qui emploient chacune entre 10 et 49 personnes. Ces entreprises représentent 11, 3 % du tissu entrepreneurial,

– La troisième catégorie comprend quant à elle, les entreprises de taille moyenne qui emploient chacune entre 50 et 99 personnes et qui ne représentent que 2,0 % du tissu entrepreneurial,

– La quatrième catégorie comprend les entreprises qui emploient chacune entre 100 et 199 personnes et qui ne représentent que 1,3 % du tissu entrepreneurial,

– Enfin, la cinquième et dernière catégorie comprend toutes les entreprises qui emploient chacune plus de 200 personnes et qui ne représentent que 1,2 % seulement du tissu entrepreneurial. (Rapport de la Banque mondiale, n°25456 TUN, volume 2, annexe 8/ p. 158).
[2] Il s’agit ici, d’une conception anthropologique de l’entreprendre qui fait intégrer, à la fois, les motivations stratégiques de l’acteur, les éléments symboliques que pourrait supposer son action ainsi que le contexte dans lequel cette action est inscrite. Cette conception est très proche de celle développée par Denieuil notamment dans son ouvrage Les Femmes entrepreneurs en Tunisie (Paroles et Portraits) Crédif, Tunis, 2001, p. 28-32.
[3]  Néanmoins, dans le contexte d’une société où ses membres continuent de se la représenter comme un ordre, ce que l’on fait demeure au moins en partie le résultat d’intériorisations antérieures. Pour rendre compte de cette situation si complexe, Pierre Bourdieu propose le concept d’habitus, « système acquis de schèmes générateurs », d’actions dont l’acteur « possède inégalement le sens », et qui opère selon des modalités qui varient entre « rituel et stratégie ». L’habitus est une prédisposition et non un conditionnement à engendrer des actions sans les déterminer qui tendent à reproduire (ne reproduisent pas nécessairement) le système des conditions objectives dont il est le produit. C’est peut-être pourquoi ce mouvement de va et vient entre deux schémas théoriques opposés, en l’occurrence la sociologie de l’action et la sociologie structurale, nous semble être légitime, pour rendre compte de la dynamique sociale d’une société en mutation, marquée par une tension entre l’ordre et le changement, les structures et la volonté de changement, observée aussi bien chez certains individus que chez certains groupes. Jeter un regard sur les origines sociales des acteurs serait donc indispensable pour apporter un éclairage sur leur comportement.
[4] Il importe d’ajouter que Tönnies semble opposer la communauté fondée sur les liens de sang, une tradition et un héritage à la société fondée, quant à elle, sur les relations contractuelles et utilitaires.
[5]  La pertinence du concept d’Etat rentier tient à la stricte définition des rentes comme revenus externes. Les réflexions sur les économies rentières ont débordé – semble-t-il – le cas particulier des Etats producteurs de pétrole pour proposer le même modèle analytique, celui du système rentier, à d’autres Etats, comme ceux de l’Afrique du nord (Tunisie, Algérie, Maroc, Egypte) qui perçoivent des ressources exogènes aussi importantes que les transferts de migrants, l’aide internationale et les crédits octroyés par certaines institutions financières internationales.