Lardellier Pascal, Arrêtez de décoder,

éd de L’Hèbe,

collection Paradigme, 2008, 159p.

 

 

Compte rendu de lecture par Georges Bertin.

 

Arrêtez de décoder : un essai décapant et qui vient à point pour dénoncer un certain nombre d’impostures intellectuelles sur fond de société consumériste et spectaculaire.

 

Au-delà des cas examinés par l’auteur nous y avons vu une critique fondée et salutaire sur l’usage de l’emprise hélas encore si courant et pas seulement chez les charlatans de la communication non verbale étudiés dans cet essai, une critique de cette incroyable prétention de pseudo spécialistes à s’ériger en donneurs d’ordres, à prendre possession d’autres êtres humains sous couvert de savoirs vite construits et qui oublient que la Connaissance est d’abord respect de l’autre, compréhension, respect du mystère des êtres, prise en compte de la complexité des situations socio anthropologiques et du tragique de la condition humaine .

 

Oui la question fondamentale à laquelle nous renvoie ce livre est bien celle du tragique du monde, non pas pour l’évacuer de nos vies mais pour « vivre avec » dans le provisoire et la fraternité entre les êtres humains, dans l’indulgence et la communication, pas celle des gourous, prescriptive, mais celle qui laisse le sens ouvert, dans l’inachèvement de nos vies.

 

Pascal Lardellier, professeur de communication à l’Université de Bourgogne, nous livre en effet ici le résultat d’une enquête particulière puisque effectuée sur les contenus livresques d’une production commerciale, celle  d’imposteurs ayant pignon sur rue, psychologues de bazar et marchands du temple, coachs et consultants en quête de lumière au service d’une communication soit disant efficace et opérant à l’encontre de toute vision subtile et sociologique des relations humaines, quand ils négligent les imprévus de tout trajet anthropologique. Soit une série de propositions de fait manichéennes, réductrices, et sectaires.

 

Ceux–ci, les charlatans, ont en effet réussi à créer un système autoréférentiel puisque 90% de ces nouveaux prêtres de la communication n’ont subi aucune validation par la cité savante. Ils s’autorisent, par injonctions totalisantes, à préconiser un arsenal de recettes visant à une normalisation idéologique des comportements et au dressage social, là où la communication est d’abord effort relationnel, doute construit, et encore objet théorique à élucider en interaction constante.

 

Là où, par exemple, l’école de Palo Alto étudie les relations interpersonnelles du point de vue des processus, de la culture, des formes sociales, ces charlatans de la communication nommément désignés, ces gourous, fétichisent toute relation dans un bric à brac psycho/philo/néo comportementaliste, révélant une vacuité sidérale, hélas amplifiée par un marché éditorial florissant puisque ce qui est donné comme simple fait forcément recettes. L’idéologie ultra libérale relaie ce type de discours dont elle tire doublement bénéfices.

 

Il en va ainsi  de la PNL et de l’Analyse Transactionnelle, des morpho bio gestalt  psy…  : observer et calibrer autrui, jouer sur les conformismes au nom d’un déterminisme neurologique présenté comme infaillible. Prose combattante, rhétorique guerrière, immodestie assumée, sont là convoquées singeant un discours scientifique jamais référencé…Avec les « process com », on entre dans des grilles de lecture pragmatique et opérationnelles au risque de simplisme, quand il s’agit rien moins que de régénérer la personnalité de base, de schématiser une psycho pathologie béate, quand l’on invente alors des rapports sociaux factices afin de répondre rapidement aux besoins des clients, lesquels le paient très cher et pas seulement financièrement, dans un mode simpliste de typification normalisante.

Ces typologies proto scientifiques ne produisent qu’auto réalisation, elles en tirent leur principe de validité puisque « çà marche » et qu’autrui devient ainsi un livre ouvert dont on peut capter toutes les modalités de fonctionnement que le soit disant spécialiste va induire à son gré. Que l’on peut agir même à son insu !

Caractérisent notamment ces procédures la haine de tout contexte puisque seul le discours du maître doit être pris en compte afin de permettre une action immédiate, visible et efficace.

Celle-ci est relayée par une rhétorique ultra libérale fondant les rapports humains sur « une compétition généralisée et forcenée » y compris dans leur vie intime, poussant les individus à se dépasser sans cesse, à être performants (et donc productifs) en toute situation, en fait à sortir tout bonnement de leur propre vie, de leurs amours, de leur famille de leurs cellules sociales.

Ces bonimenteurs de la communication confortent le sens commun des réponses toutes faites (chiromancies gestuelles, pseudo sciences légitimées à grands coups d’arguments d’autorité).  Ils ouvrent la voie aux catégorisations du racisme social et au racisme tout court, à la fétichisation de l’individu, comme si toute interaction n’était pas par définition ouverte aléatoire.

Il nous est arrivé personnellement de découvrir que le recours à de tels « allant de soi »  est aussi postulé par des lieux de formation visant à fabriquer des « hommes de métiers » des psychologues ou sociologues « appliqués » oubliant simplement que les démarches inductives font justement appel à la béance de sens, à son ouverture, là où ces gourous prônent la fermeture.

 

C’est la force de cet  essai que d’instruire le procès en charlatanisme du décodage non verbal quand par exemple l’incroyable Jacques Salomé, « pape de l’hygiène de la relation, Gandhi des ménagères, évangélisateur de la petite semaine » sévit, avec l’impact que l’on connaît, développant une psychologie de bazar, une morale à deux sous dans la diabolisation d’autrui, colportant une vision machiste de l’homme ne répugnant pas à utiliser la séduction d’emprise comme outil. Il ne le cède en rien en imposture à Joseph Messinger, gourou opportuniste, lequel « ramène toute vie sociale à venir « aux aventures de  Oui-Oui à la plage ».

 

Pour l’un et l’autre, la décontextualisation est un principe absolu, remettant tout à plat dans une vision essentialiste qui ne fait jamais référence aux mille subtilités de contexte et de culture, de perception et de possibilités ouvertes, oubliant simplement que les individus ne sont pas des robots, qu’ils sont, fort heureusement, doués de capacité de résistance même à leurs psys ! .mais combien auront au bout du compte la force de leur résister ?

 

Pour ces incroyables pseudo scientifiques les êtres humains sont de fait universellement programmés. Il faut donc asséner de façon constante préceptes et injonctions normatives, intolérable entreprise de dressage, de manipulation, quand l’individu est ici considéré comme une mécanique programmée et à déprogrammer, au rebours du vivant.

 

L’un et l’autre jouent sur les peurs et les angoisses des gens qui voient leur existence comme un drame unique porteur d’une vision enfermée et illuminée  des relations entre les personnes. Pourtant, ce qu’ils ignorent, la vie apprend à des observateurs éclairés que rien n’est simple, réducteur à des relations de cause à effet. Elle est porteuse de cette richesse incroyable bien visible chez les artistes, elle nous apprend au jour le jour que le pluralisme des conduites, les identités multiples, la multiréférentialité des comportements psychologiques, culturels et sociaux construisent mieux la personne dans son ouverture et par l’acceptation de la béance de sens dans sa vie et de la différence que sa soumission aux injonctions mercantiles de pseudo thérapeutes inclus dans la clôture qu’eux-mêmes analysent en permanence.

 

Façon simpliste et réductrice d’être au monde chez ceux-ci. Ils évacuent un tragique qui ne peut d’autant plus faire retour qu’il a été refoulé dans des injonctions modélisantes à tendance nombriliste et aux attendus caricaturaux, « votre bonheur est là où je dis car c’est ainsi que la norme que je vous transmets ex cathedra (et que je ne justifierai pas) le définit ». Et jamais ces prescripteurs ne diront les avantages personnels qu’ils y trouvent eux-mêmes sur le plan symbolique, voire financier ou autre, le phénomène d’emprise n’étant jamais loin et l’exploitation du psychisme de l’autre au détour du chemin à des fins souvent inavouables.

 

Il en va de même en formation des adultes quand sous prétexte d’une sous culture managériale, opérationnelle, on passe par pertes et profits toute culture classique, humaniste, pour privilégier outils, procédures et instruments de contrôle, quand, par exemple, la grammaire supposée des gestes remplace la quête du sens…

 

L’intérêt de cet ouvrage outre son ton très libre, ce qui est de nos jours, convenons en, plutôt rare, c’est de montrer que la force persuasive de ces gourous pseudos psys ou spécialistes de communication non verbale procède à la fois d’une mystique et d’une mécanique, ces petits maîtres jouant à toucher directement l’intime de ceux qui s’adressent à eux en visant à « horizontaliser » les questionnements, en évacuant l’existentiel au profit d’un formel de basse cuisine, en réduisant l’être humain à un ensemble de normes apprises, de comportements de surface.

 

 Et l’auteur de poser la question : ces gourous ne sont ils pas porteurs d’une logique foncièrement anti ritualiste quand les comportements de leurs clients sont prescrits, les invitant, comme dans les processus sectaires, à se référer à une autorité surplombante auto proclamée ? quand ils sont conduits à en approuver et adopter toutes les prescriptions suspendant toute distance critique et croyant y trouver le bonheur, pire la domination des autres ?.

 

Nous ne sommes pas loin d’un véritable fascisme quand ces petits maîtres, bien éloignés de l’idéal socratique du « connais toi toi-même » imposent ainsi aux autres, de façon extrême, et  par suggestion, des obligations de comportement transparentes lesquelles reposent quant aux relations interpersonnelles sur un « contrat de défiance » implicite, obligeant à considérer le monde selon des catégories apprises, si ce n’est haineuses pour leurs semblables, et non en travaillant sur le sens.

 

Là encore la parole de ces gourous n’est elle pas divinisée, comme l’avait bien vu Chantal Chawaf[1], « au prix de la perte de son origine biologique et humaine » ? Mais ceci est déjà une autre histoire.

 

GB.



[1] Chawaf Chantal, Le Corps et le verbe, la langue en sens inverse, Presses de la Renaissance, 1992.