Présentation du numéro
Les identités méditerranéennes et leurs recompositions à l’heure de
«
Il y a quelques décennies,
L’objet de cette livraison est de présenter des fragments de
Nous innovons en opérant la partition suivante pour ce dossier thématique. La première partie s’articule explicitement autour de
Tous les contributeurs à ce numéro thématique, pour la plupart issus du pourtour méditerranéen, portent un regard neuf et novateur, celui du XXIe siècle, sur cette aire culturelle. Signe, ô combien emblématique de cette jeunesse et de cette fraîcheur, les contributeurs ont livré des propos empiriques sur le fait migratoire et sur ses prolongements problématiques.
Relier, repousser, dissuader, s’implanter, parcourir, entreprendre, co-développer, toute cette panoplie d’actions a été approchée, dans la plupart des cas, par des enquêtes de terrain. Il y a à la fois au Sud une jeunesse désenchantée rêvant de rejoindre et de fouler le sol de l’Eldorado « nordique » (Touba), il y a ceux qui ont déjà franchi le rebucon et se sont établis durablement, et pour certains fondus dans la société d’accueil, témoignant ainsi d’une indétermination identitaire (Plas), il y a aussi une partie qui rebrousse chemin pour entreprendre dans le pays d’origine, s’appuyant en cela du capital social et familial (Madoui).
Il convient de souligner, toujours dans ce type de rationalité économique, une mondialisation à la sauce méditerranéenne comme en témoigne la mise en avant de l’argument du voisinage, de l’affectivité par les patrons délocalisateurs au Maroc, au côté des arguments classiquement du ressort de la science économique, en passant par le positionnement ambivalent par rapport à la politique d’attraction du capital européen développée par l’État marocain (Labari).
En cela
Plus précisément, ce numéro thématique se compose de quatre volets.
Le premier « D’une rive à l’autre : les identités en question » questionne l’établissement des populations immigrées issue du Sud dans les pays européens. Philippe Plas, dans sa contribution bien documentée, éclaire les enjeux autour desquels s’articule l’intégration des populations issues de l’immigration dans la société française à partir d’une approche socio-historique. Il en arrive à la conclusion d’un double repli identitaire de ces populations qu’il ne dissocie pas des classes populaires : repli dans un passé où l’école assumait encore sa fonction socialisatrice alors qu’aujourd’hui la montée en puissance de l’extrême droite et la stigmatisation récurrente dont elles font l’objet enterraient cet âge d’or de l’intégration. Le second repli a trait à un ailleurs reconstruit sur un mode idéalisant. Cet ailleurs se rapporte aux pays d’origine et à la culture d’origine.
Ainsi
Le compte rendu critique que nous offre Donnaloia sur l’ouvrage dirigé par S. Mazzella (La mondialisation étudiante, le Maghreb entre nord et sud, 2009) entre également de plein fouet dans ce champ d’investigations.
Le deuxième volet « Les identités entrepreneuriales d’ici et de là-bas » propose trois textes d’une teneur différente mais convergents en ce qu’ils questionnent la rationalité économique pour en monter les insuffisances heuristiques. Le premier prend pour objet les patrons français qui ont délocalisé leur unité au Maroc. Ici encore
Le deuxième texte cible les jeunes entrepreneurs issus de l’immigration nord-africaine et qui choisissent de contribuer au développement de leur pays d’origine. Nombre d’entre eux ont été contraints de fonder leur entreprise pour échapper aux aléas du marché du travail hexagonal qui les stigmatise et marginalise. Créer sa propre entreprise ne serait pas seulement un acte individualiste de débrouillardise, mais une initiative altruiste pour co-développer avec la famille restée au pays. Sans entrer ici dans les nuances des catégories arrêtées par M. Madoui, il convient de relever que l’identité de ces entrepreneurs s’inscrit fondamentalement dans une relation filiale avec la dynamique familiale et régionale en s’appuyant sur le réseau associatif. Et l’auteur de soutenir : « Dans un contexte de crise économique et d’exclusion sociale et ethnique, la famille et plus largement la communauté, sont les derniers espaces où l’individu vient non seulement se ressourcer mais également trouver les soutiens matériels nécessaires (mobilisation de l’épargne familiale, emprunt sans intérêt…) ».
La troisième contribution, signée Rabah Nebli, s’appuie sur le cas de
Le texte de Anis Omri et de Mohamed Frikha, s’intéresse à la crise économique et financière qui a ébranlé le monde et dont les conséquences sur les pays africains peuvent être encore désastreuses. Prenant l’économie tunisienne comme exemple, les auteurs en arrivent à la conclusion que la crise actuelle touche déjà et touchera encore les principaux secteurs stratégiques de l’économie tunisienne. D’inspiration économique, la contribution de Mohamed Ben Ali s’engage sur la voie de la comparaison des économies émergeantes (Maroc, Jordanie et Tunisie) quant au régime de change dans les trois pays méditerranéens.
Le troisième volet « Identité, mémoire et revendication en Méditerranée » fait la part belle aux diasporas et ce qu’il est convenu d’appeler les minorités qui engagent aujourd’hui dans le bassin méditerranéen un combat identitaire des plus ardus. L’étude proposée par Stéphanie Pouessel s’appuie sur le cas emblématique des Amazighs, cette population nord-africaine et dont le socle méditerranéen pourrait s’apparenter à un critère fédérateur au-delà des États nationaux et développe aujourd’hui un discours résolument identitaire et de revendications politiques. La question posée dans cette contribution est la suivante : les revendications amazighes ne seraient-elles pas tiraillées entre une hétérogénéité locale, dérivée du pluralisme des particularismes, et une homogénéité globale (transnationale) qui fédère les mouvements berbères et dont le congrès mondial amazigh constitue la vitrine « théorique » ? Drapeau et alphabet tifinagh constituent les signalétiques « fondatrices » de cette identité. Ce qui est intéressant encore dans cette contribution est ce voyage que nous offre l’auteur de l’Algérie (Kabylie) au Maroc en passant par les Touaregs et
Un des autres textes proposés ici : « Européens d’Algérie (« Pieds-noirs ») et algériens nés en France coloniale, la part manquante d’une identité hétérogène », est un témoignage engagé et romancé. Le sujet lui-même se prête à une telle empathie étant donné l’effet génération et la transmission d’une identité « pieds-noirs » qui prolongent et valident cet effet. Colonisation, décolonisation, retrouvailles tant souhaitées, c’est tout ce processus que
Le quatrième volet, « De l’hybridité identitaire en Méditerranée », se penche sur les études de cas fort diversifiés. Le cas de
Dans la même veine, le texte de Claude Llena et Jacques Bertin, placé en annexe, se pense sur l’île de
Nous pouvons consulter et lire également en annexe un article de Rhida Abdmouleh s’interrogeant sur le maintien des guérisseurs au sein du marché thérapeutique tunisien, et ce malgré la précarité de leur statut et la stigmatisation dont ils sont l’objet.
Tout se passe finalement comme si
S’appuyant sur une vision interne à la société marocaine, Mohamed Maayouf développe la question de la revendication d’une identité plurielle sur le plan linguistique dans cette « société composite » : son fond berbère, ses références arabo-islamiques et ses affinités occidentales font de la question linguistique un sujet sensible qui dénote l’ouverture du Maroc à l’extérieur et notamment à son bassin méditerranéen. En somme, c’est à un voyage au sein des structures sociales et mentales du Maroc contemporain que nous convie l’auteur : « Si certains trouvent dans l’engagement islamiste une utopie capable de leur faire oublier les malheurs de leur quotidien précaire, d’autres, fascinés par la culture et le mode de vie occidental, par les paraboles et le monde de
Quelques contributions fort intéressantes complètent et enrichissent la déclinaison des identités multiples dans l’espace méditerranéen. Ainsi l’étude de Hafsi Bedhioufi sur le corps féminin en Tunisie éclaire, à partir de l’exemple des footballeuses notamment, le lourd héritage en matière de perception du beau et du laid ainsi que la place de la virginité dans l’imaginaire collectif musulman. Elle s’appuie pour cela sur l’exégèse islamique, la poésie arabe et la culture proverbiale. Ce qui est intéressant à retenir ici c’est le caractère combattant de cette identité face à des stigmatisations particulièrement lourdes où la division sexuelle du travail est très importante. Et l’auteur de poursuivre sur le culte de la virginité : « Dans l’histoire de
Keltoum Touba, forte de sa double formation juridique et sociologique, propose une synthèse des migrations du Sud vers le Nord de
Deux principales contributions enrichissent ce numéro. La première, proposée par Najib Mouhtadi, pose la question des blocages culturels au développement en partant du cas du Maroc. L’hypothèse centrale de son texte est très wébérienne : l’indigence des valeurs serait un frein au développement économique. Le second texte de Youssef Djedi, de formation plus philosophique, prend précisément pour objet la sociologie religieuse de Max Weber. L’auteur s’est penché méthodiquement sur la façon dont ce dernier a (mal) traité l’islam.
Comme lancé en début de présentation, cette livraison ne se veut en aucun cas une cartographie contemporaine des identités méditerranéennes, mais quelques fragments qui parcourent ou se brassent dans le pourtour de cette aire culturelle.
Bonnes lectures…
Bibliographie sommaire
Braudel F. (1949),
Leca J. (1977), « Pour une analyse comparative des systèmes politiques méditerranéens », Revue française de science politique, 27 (4-5), août-octobre, p.557-581.
Tozy M, Albera D. (dir.), (2005),