Service social, territoires publics, territoires privés, l’exemple des assistants sociaux
Résumé :
Social services, public territories, private territories: the example of the social workers
Summary :
Service social, territoires publics, territoires privés :
l’exemple des assistants sociaux
Les réformes de décentralisation initiées, en France, par la loi de 1982[1], le transfert de compétences et de moyens de l’État vers les départements ont considérablement modifié la mise en œuvre de l’action sociale[2], qu’il s’agisse des cadres de contrainte ou des formes d’exercice et de légitimation professionnelle des travailleurs sociaux (Tymen et Noguès, 1989 ; Chauvière 1999 ; Chopart 2000). Le changement de statut des personnels, devenus salariés de la Fonction publique territoriale après avoir été employés de l’État, s’est accompagné de la nécessité de travailler plus directement avec les élus locaux du Conseil général qui ont vu à la fois augmenter leur pouvoir financier et leurs possibilités de contrôle (De Ridder, 1997). En suscitant une reconfiguration du champ professionnel, la décentralisation a favorisé une redéfinition des compétences et des identités (Aballéa, 1998). Pendant cette même période, les catégorisations en termes de pauvreté, d’exclusion, de précarité (Donzelot, 1994) ont contribué à transformer les attentes à l’égard des travailleurs sociaux. Dans ce contexte, la structuration des services sociaux départementaux est devenue un enjeu politique, gestionnaire et social. Elle suscite de nombreuses questions dont les principales ont trait à la répartition des pouvoirs et des domaines d’intervention (entre l’État et les collectivités territoriales, entre les élus locaux et les salariés de la Fonction publique territoriale, entre les différents métiers du secteur social), aux conceptions du service public et des usagers.
Au cours des phases successives qui ont marqué l’évolution de l’action sociale départementale, la notion de territoire – déclinée dans ses significations politiques, géographiques, symboliques – apparaît comme fondamentale. Elle a pris une importance supplémentaire depuis la mise en place du Revenu minimum d’insertion (RMI) et des politiques de la ville. Elle constitue, de manière générale, un fil conducteur permettant de saisir les transformations des politiques et services publics et d’analyser les recompositions des activités et des identités des salariés (Ion, 2000). Dans cette perspective, le territoire peut être appréhendé à la fois comme un espace de pouvoir et comme un espace approprié par différents groupes sociaux (Di Méo, 1998).
Par ailleurs, notre problématique sur les articulations de plusieurs niveaux territoriaux nourrit une réflexion sur les savoirs et compétences des travailleurs sociaux. Les personnels du secteur social constituent une « entité professionnelle problématique » (Ion, Tricart, 1985), dont les frontières se redessinent en permanence (Bailleau, Le Faucheur, Peyre, 1985) et qui a été déstabilisée depuis les réformes de décentralisation. Cet ensemble incertain a, de surcroît, été bousculé par l’arrivée des nouveaux emplois du secteur social, tels ceux de chefs de projet fréquemment occupés par des diplômés de l’université, qui n’ont pas fréquenté les écoles à vocation professionnelle (écoles d’assistants de service social, écoles d’éducateurs, etc.). Les interrogations sur l’identité professionnelle, sur la nature et la légitimité des savoirs – interrogations récurrentes (Ion, Ravon, 2000) – ont, de ce fait, pris une ampleur supplémentaire depuis les années 1980 et 1990.
En plus des savoirs et des techniques relativement anciens (tels ceux se référant au case work), les pratiques professionnelles s’enrichissent de nouvelles compétences certainement plus difficiles à formaliser et, par conséquent, à faire valoir auprès des employeurs. Cette évolution s’inscrit dans un ensemble de changements qui dépassent très largement la sphère du service social et qui mettent en tension les notions de savoir et de savoir-faire, de qualification et de compétence (Stroobants, 1993). L’une des compétences des travailleurs sociaux consiste à jongler entre plusieurs niveaux territoriaux, à circuler en permanence entre une pluralité d’échelles, entre l’intime et le public, entre le domestique et le politique, entre le territoire familial et le territoire départemental. Cette orientation de la pratique professionnelle est également présente pour d’autres métiers du social, tels ceux de médiateurs (Barthélémy, 2004). L’hétérogénéité des personnels et de leur profil est une caractéristique marquée des professionnels du social (Verdès-Leroux, 1978 ; Ion et Ravon, 2000 ; Valastro, 2004). Notre enquête a mis en évidence des différences que d’autres études ont déjà identifiées (par exemple, entre les assistants sociaux et les conseillères en éducation sociale et familiale, ou entre les puéricultrices et les sages-femmes). Á l’intérieur même de la catégorie des assistants sociaux, il est possible de pointer de nombreuses disparités liées à l’âge, à la période d’entrée dans la fonction, aux idéologies professionnelles, au contenu du travail, à une représentation plutôt « individualisante » ou plutôt « collective » et partenariale du travail social. Les contraintes et les formes de qualification des territoires constituent un point d’entrée supplémentaire pour étudier cette hétérogénéité. Une des formes de légitimation mise en avant par les travailleurs sociaux étant leur capacité à prendre en compte l’imbrication des territoires et à tisser des liens entre les différents niveaux, il convient d’envisager comment ils identifient et qualifient les différents niveaux territoriaux. Nous retiendrons quatre niveaux principaux : le département, subdivision administrative locale du territoire national, est structuré en circonscriptions d’action sociale qui regroupent des secteurs. Chaque assistant social est affecté à un secteur. Les bureaux des travailleurs sociaux, le secrétariat, les salles de réunions sont regroupés à la circonscription. Le dernier niveau que nous souhaitons prendre en compte est le domicile des usagers.
Les territoires des assistants sociaux
Les assistants sociaux : une « entité professionnelle emblématique » ?
Les assistants de service social, appelés plus couramment assistants sociaux, ont été les figures centrales des circonscriptions[3] de service social et de la mise en place de la sectorisation et de la polyvalence. L’évolution de cette profession est étroitement liée aux re-formatages spatiaux et organisationnels que l’action sociale a connu et constitue, de ce point de vue, une « entité emblématique » des rapports entre travail social et territoire. En raison de son ancienneté, du monopole d’exercice dont elle bénéficie, du rôle de ses organisations professionnelles[4], la profession a construit une visibilité et une force qui pèsent tant dans les relations de rivalité avec les autres métiers du social que dans les rapports avec les employeurs. Dans le cadre de la décentralisation, les pratiques et les logiques argumentatives des assistants sociaux sont des révélateurs des nouvelles relations qui se sont installées entre les salariés et les élus.
Sur la base de données de terrain, nous souhaitons montrer comment les territoires du service social départemental sont compris, interprétés et vécus par les assistants sociaux. Les formes d’investissement et d’appropriation du territoire, les contraintes territoriales sont à la fois conditions et objets du travail social. Intervenant dans la construction des identités, mobilisé dans l’explicitation des modes d’intervention, le rapport au territoire apparaît comme un des éléments contraignants et constitutifs des pratiques et discours professionnels. La pluralité des niveaux territoriaux et la diversité des configurations territoriales nous conduisent à analyser comment les assistants sociaux se situent entre les différents niveaux, qu’il s’agisse du département, de la circonscription, du secteur ou du domicile des usagers.
L’emboîtement des niveaux territoriaux
Les principaux niveaux territoriaux font apparaître des subdivisions, des enchevêtrements mais également des oppositions : leur emboîtement est problématique et fait l’objet d’une construction de la part des assistants sociaux. Ainsi, le département, appréhendé dans sa dimension politique, est généralement associé au Conseil général : cette instance est citée quand les assistants sociaux veulent exprimer une revendication sur leurs conditions de travail ou sur l’orientation de la politique sociale. En dehors de ces situations, le département est simplement présenté comme un cadre, comme le contenant dans lequel se développe l’action sociale départementale.
En tant que subdivision du service social départemental et lieu d’implantation des bureaux, des salles de réunion, la circonscription fait l’objet de discours beaucoup plus riches. Les assistants sociaux s’accordent à lui attribuer un statut particulier : c’est le lieu où tout se passe, où tout peut potentiellement se passer. Le travail d’équipe, les idées de projets innovants mais également les conflits entre les personnels ou les décisions de résister aux décisions de l’encadrement viennent s’y inscrire. Les travailleurs sociaux dits de terrain expriment un attachement marqué à la vie en circonscription. Ils rejoignent en cela le point de vue des responsables du service social départemental, qui s’appuient fortement sur cet échelon perçu comme un échelon intermédiaire entre la politique départementale et les actions particulières menées auprès des usagers.
Subdivision du territoire de la circonscription, le secteur est, pour les assistants sociaux, le cadre du travail quotidien et est très fréquemment évoqué, « incarné » au travers des personnes et des familles aidées. Les discours sur ce territoire ont une tonalité spécifique et sont souvent teintés de subjectivité, le secteur étant le lieu d’une appropriation et d’un investissement personnels[5].
L’autonomie traditionnellement défendue par les travailleurs sociaux, et fortement ancrée dans les pratiques et les représentations, se trouve mise en question, ou du moins relativisée, depuis le transfert des compétences de l’État vers les départements (Védélago, Guyot, 1998). Cette évolution traduit la complexité des relations entre le politique et le technique (Ion, 2000). Elle est révélatrice de la tension entre autonomie et contrainte qui caractérise l’activité de nombreux agents des services publics (Jeannot, 1995), et plus particulièrement des travailleurs sociaux. Devenus salariés du Conseil général, les travailleurs sociaux ont des contacts plus fréquents et plus contraignants avec les élus représentant l’institution employeuse. Après une période d’observation, les conseillers généraux ont géré l’héritage de la décentralisation et ont commencé à « demander des comptes » aux travailleurs sociaux employés du Conseil général.
Construit comme un espace d’indépendance vis-à-vis des élus, le secteur est assimilé à un lieu porteur d’autonomie, de responsabilité et d’identité. Il est également perçu comme le « lieu du singulier », marqué par des spécificités, appelant des personnels qui y exercent une compétence particulière, ajustée à ses caractéristiques. Cette compétence serait, pour beaucoup, difficilement objectivable, et par conséquent difficilement évaluable, car elle relèverait de l’adaptation et de l’adéquation, toujours particulière, entre un travailleur social et un milieu. L’accent mis sur la qualité et la singularité fonctionne dans ce cas comme une source d’incertitude et de pouvoir, comme un domaine d’expertise constitué par la relation avec chaque usager ou famille. Fortement investi, le secteur est décrit à partir des populations, des types d’habitats et de densité. Il est construit comme un espace de proximité, dans lequel s’établissent les relations entre le service social départemental et les usagers. Il est à la fois terrain d’application d’une politique sociale décidée à l’échelle départementale et nationale et lieu où s’inscrivent l’existence et la vie privée des personnes aidées.
La géographie de l’intervention sociale doit, enfin, inclure un autre niveau : le domicile des usagers qui est le refuge de la vie privée des personnes, l’espace où se manifeste la logique de proximité caractéristique du système assistanciel et qui est, au moins ponctuellement, un espace de travail pour les assistants sociaux. Le domicile peut, dans ce cas, être compris comme un des niveaux territoriaux de l’action sociale départementale.
Pluralité et mouvance des territoires
Cette perspective amène à se demander ce qui fait territoire pour les acteurs, comment les individus et les groupes produisent, délimitent et redéfinissent en permanence les territoires. Il conviendrait de prendre en considération une pluralité de territoires qui se superposent et s’enchevêtrent, des territoires appropriés diversement par les groupes sociaux qui se croisent dans un même lieu. Le service social départemental offre un angle particulier pour saisir les manières dont se manifestent ces représentations multiples.
Nous retiendrons par ailleurs l’idée de mouvance car les territoires ne constituent pas des objets figés mais se redessinent, en permanence, en fonction des intérêts et des positions des acteurs.
Territoires, points de vue, positions
Les représentations des territoires sont étroitement liées à des pratiques professionnelles et sont révélatrices de rapports de pouvoir qui peuvent se manifester à l’intérieur d’une organisation. Reliés à l’histoire d’un groupe, les discours et les pratiques des territoires peuvent être analysés en relation avec des stratégies d’auto-affirmation sociale, d’explicitation et de justification. Le territoire est non seulement un support physique, politique et spatial mais il est également le support symbolique de logiques argumentatives et de représentations. Il ne peut être appréhendé en dehors des points de vue, construits par les acteurs en fonction de leur parcours, de leurs stratégies, de leur place dans une organisation.
Les conceptions du service social, et plus globalement du service public, les variations de pratiques professionnelles se comprennent en référence aux rapports entretenus avec les territoires. Dans cette logique, la dominante plutôt « rurale » ou plutôt « urbaine » des secteurs des assistants sociaux est un élément très investi de significations, qui participe de la construction et de la légitimation des interventions en direction des usagers.
Le rural et l’urbain : une distinction problématique mais « efficace »
L’enquête de terrain a montré que les oppositions entre les secteurs urbains et ruraux étaient fréquemment mobilisées par les assistants sociaux pour expliciter des actions et dépeindre des conditions de travail. Les recherches menées dans le champ de la sociologie et de la géographie interpellent, à juste titre, sur le flou conceptuel des notions de rural et d’urbain, sur les problèmes de définition et de délimitation que l’usage de ces notions fait émerger. Difficiles à utiliser d’un point de vue théorique, ces notions « fonctionnent » néanmoins dans la pratique et sont utilisées comme cadres de référence et, même, comme notions explicatives par les élus, les cadres de la direction de l’action sociale, les travailleurs sociaux. Elles sont « efficaces » au sens où elles produisent des effets réels et confèrent une signification aux actions. Elles sont, par exemple, utilisées pour penser les différences organisationnelles entre les circonscriptions et pour décrire la variété des idéologies et méthodes professionnelles des travailleurs sociaux. Par ailleurs, l’application de politiques spécifiques telles que le Revenu minimum d’insertion (RMI) ont mis l’accent sur les inégalités entre les zones rurales et les zones urbaines. Cette distinction du rural et de l’urbain est, de manière générale, très présente dans la conception des politiques publiques et dans les projets de réorganisation des services publics.
La répartition spatiale des services publics
Entre concentration et dispersion
Le service social départemental constitue un sujet privilégié pour approfondir les réflexions actuelles sur la réorganisation territoriale des services publics. En effet, on constate aujourd’hui une tension entre deux grands modèles idéaux-typiques renvoyant à des conceptions distinctes des services publics, des populations usagères et de leurs rapports au territoire. Le premier modèle est celui de la concentration spatiale des services et des compétences, un même service pouvant couvrir une aire géographique vaste. Ce modèle est, par exemple, mis en œuvre dans le système hospitalier. Il s’accompagne de la constitution de « pôles de compétences », de « plateaux techniques », généralement dans les zones les plus urbanisées. Un deuxième modèle est celui de la dispersion, de la répartition des services dans un espace donné. L’idée directrice du modèle de la répartition repose sur une valorisation de la proximité, les services publics devant, dans cette perspective, se situer au plus près des usagers et participer à l’animation des espaces ruraux.
Les deux modèles – qui ne sont pas obligatoirement exclusifs l’un de l’autre – reflètent un système de tension entre ce qui est communément appelé le rural et l’urbain et interrogent sur les notions de proximité, de mobilité, d’accessibilité. Ces notions sont solidaires et font aujourd’hui l’objet de politiques spécifiques, comme le montrent les travaux récents sur les politiques temporelles. Elles sont certainement plus prégnantes encore pour le service social qui vise prioritairement des populations appartenant aux franges les plus fragiles des catégories populaires et ayant des possibilités de mobilité moindre que les autres catégories sociales (Orfeuil, 2002). Le modèle de la mobilité, qui s’est largement diffusé dans le monde du travail, inspire également un modèle de comportement social et urbain. La mobilité est à la fois une « fonction urbaine », « une valeur » et « un mode de vie » ; « l’assigné à résidence est exclu » (Hervé, 2001, p 9 et 10). Elle est « de plus en plus perçue, au même titre que l’accès à la formation tout au long de la vie, comme un droit fondamental ». Elle se définit comme « la possibilité d’aller librement d’un lieu à un autre, mais également comme opportunité donnée à chaque citoyen d’accéder aux services publics et privés » (Boulin, Dommergues, Godard, 2001, p 47 et 48).
La réflexion sur la mobilité s’accompagne aujourd’hui d’une réflexion sur l’accessibilité aux services, et plus spécifiquement aux services urbains. Ainsi, ce n’est plus la distance métrique qui structure le rapport à la ville mais la facilité d’accès aux services publics et aux ressources urbaines. Les différences d’accessibilité sont perçues, par les politiques comme par les analystes, comme des sources et des conséquences des inégalités. La séparation entre l’urbain et le rural peut ainsi se décliner en de nombreuses formes de disparités, dont les inégalités de mobilité et d’accessibilité constituent un aspect. Elle est au cœur des réflexions sur la modernisation des services publics et sur les débats relatifs à leur distribution spatiale.
Le fonctionnement du service social départemental présente l’intérêt de refléter, à sa manière, la tension entre les deux grands modèles d’organisation, le modèle de la concentration ou celui de la répartition. Il donne une acuité particulière à la question des relations entre l’urbain et le rural, de nombreux acteurs des départements faisant fonctionner cette distinction : les conseilleurs généraux s’en servent pour qualifier leur canton, les assistants sociaux définissent en partie leur fonction par cet ancrage territorial. Pour ces derniers et pour de nombreux autres personnels sociaux ou socio-médicaux, les modalités d’exercice professionnel en milieu urbain et en milieu rural sont vécues comme radicalement différentes, et presque comme des métiers différents.
Les temps incertains de la mobilité
La rupture entre le rural et l’urbain se manifeste avec une grande visibilité lorsque les assistants sociaux évoquent la question de la mobilité des personnes usagères du service social. Cette question fait émerger une réflexion sur les inscriptions captives des habitants à l’intérieur du logement ou du quartier, sur les moyens mis en œuvre pour combattre ce repli et créer une extériorité. Elle fait l’objet d’un traitement différent en milieu urbain et en milieu rural.
De manière générale, les assistants sociaux considèrent qu’il est préférable d’inciter les usagers à faire les déplacements à l’extérieur de leur domicile, la mobilité étant alors considérée comme un indice de relative autonomie. A l’inverse, « les gens qui ne sortent pas de chez eux » sont fréquemment assimilés à des personnes démunies, fragiles sur les plans social et psychologique. La faculté d’investir des espaces extérieurs au logement constitue un élément d’évaluation important et peut être construite comme un objectif de travail.
Cependant, en milieu rural, les obstacles matériels (distance vis-à-vis de la ville, absence ou rareté des moyens de transport) entravent les possibilités de déplacement des usagers. Les assistants sociaux argumentent l’utilité des visites au domicile des personnes par le fait qu’ils s’inscrivent, de cette manière, dans la logique de répartition et qu’ils amènent le service public au plus proche des usagers. Dans cette situation, se pose le problème de la disponibilité des ressources temporelles des personnels et des moyens mis en œuvre (prêt d’une voiture de service ou financement des trajets effectués avec le véhicule personnel). Les déplacements, qui prennent une place importante dans les emplois du temps, correspondent à des temps incertains qui font partie du temps de travail mais qui ne sont pas occupés par des actes professionnels précis. La reconnaissance de ces temps incertains par les cadres de l’administration territoriale et par les élus du Conseil général est exprimée comme une préoccupation majeure pour les assistants sociaux exerçant en milieu rural. Les crispations autour de cette reconnaissance informent tant sur des conceptions du travail social que sur des représentations des services publics. La question « qui bouge, du service social ou de l’usager ? » recouvre une multitude d’interrogations portant sur les décisions politiques, les types d’intervention des assistants sociaux, le rapport au territoire et les significations qui lui sont associées.
Les modèles de la concentration et de la répartition sont en permanence parlés et retravaillés dans les services sociaux départementaux. Ils sont liés à l’évaluation des charges de travail, la structure de l’activité variant selon la nature des secteurs géographiques : l’analyse quantitative de nos données montre que les assistants sociaux en milieu urbain rencontrent de nombreux usagers mais consacrent peu de temps aux déplacements et aux accompagnements physiques alors les transports mobilisent un temps important sur les secteurs ruraux.
Les interrogations sur les rééquilibrages territoriaux ne font pas l’économie d’une réflexion sur le type d’aide apportée par les assistants sociaux, sur la nature et sur la qualité du service rendu à la population. Les assistants sociaux en milieu urbain parviennent aisément à quantifier leur travail à partir du nombre d’usagers rencontrés alors que ceux exerçant en milieu rural ont plus de problèmes pour faire ressortir la valeur du temps consacré aux déplacements et leur moindre disponibilité pour d’autres tâches.
Se retrouvent ainsi deux rapports au temps qui se confrontent, le temps dense, concentré des secteurs urbains s’opposant au temps passé dans les déplacements en milieu rural, un temps peu visible et peu valorisant. La structure d’opposition plein / vide est, dans ce cas, utilisée comme un principe organisateur du temps et de l’espace : les secteurs urbains sont décrits comme des secteurs pleins (d’usagers, de problèmes sociaux mais également de ressources associatives et partenariales) alors que les secteurs ruraux sont d’abord qualifiés à partir de leurs lacunes.
Service social urbain, service social rural
En milieu urbain, les assistants sociaux décrivent leur secteur en mobilisant un vocabulaire de la densité et de la concentration. Les interventions obéissent elles aussi à une logique de la concentration et tendent à se polariser sur quelques rues, quelques immeubles où l’assistant social connaît « toutes les cages d’escalier ». Riches en usagers, les secteurs urbains sont également décrits comme des espaces riches de services et d’associations – les « structures » selon la terminologie professionnelle. Les assistants sociaux exerçant en milieu urbain disent qu’ils sont bien identifiés par les associations et les partenaires et que le regroupement spatial semble faciliter l’interconnaissance entre les intervenants. Même si elle n’est pas sans poser de problèmes, la concentration spatiale des personnes usagères du service social tend à banaliser ou à dédramatiser le recours à l’assistance sociale. La réticence pour solliciter les services sociaux – souvent relevée par les assistants sociaux en milieu rural – semble s’atténuer en raison de ce qu’il est possible de désigner comme un « mimétisme de voisinage ».
Les assistants sociaux exerçant en ville perçoivent l’espace rural en termes de manques, de « moindre-être » et le dépeignent comme le « rural où il n’y a rien ». Malgré la concentration des problèmes sociaux, les personnels se considèrent alors comme étant « très favorisés » : même s’ils insistent parfois sur la lourdeur de leur secteur, ils expriment leur satisfaction de pouvoir trouver des relais et des possibilités de réorientation dont ne disposent pas leurs collègues affectés sur des zones rurales.
Pour une part, ces derniers ont une appréciation similaire. Ils martèlent – parfois presque sous forme de litanie – le manque d’associations et de services publics : absence de permanence administrative, insuffisance ou absence de structures d’accueil pour la petite enfance, absence de services spécialisés dans le secteur de l’emploi tels que l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE), la mission locale, la Permanence d’accueil d’information et d’orientation (PAIO), insuffisance du dispositif de santé mentale… Ils expliquent que la pauvreté en services médicaux (absence ou trop grand éloignement des médecins spécialistes, des maternités, des sages-femmes libérales) augmente les ré-orientations en direction des médecins généralistes et du personnel de Protection maternelle et infantile (PMI).
Le rôle alors assigné au service social départemental par les personnels est de tenter de combler les manques : le temps consacré aux déplacements et aux visites à domicile se trouve ainsi redéfini comme une dimension fondamentale du service social et de l’égalité d’accès des personnes au service public. Le service social est perçu comme un moyen de remédier à l’absence ou l’insuffisance des autres services publics ou associatifs et, dans certains cas, semble compenser les effets du modèle de la concentration. Lorsque les possibilités de mobilité physique sont réduites, le travail en faveur de l’accessibilité participe de la justification de l’existence du service social rural et de son maintien dans les zones les plus isolées. Les assistants sociaux qui s’interrogent sur la légitimité d’actes professionnels consistant à « faire le taxi » – selon leurs propres termes – demandent, dans le même temps, que ces actes soient reconnus par leur encadrement et par les élus.
Territoires privés, territoires publics
Proximité et intimité : les utilisations des visites à domicile
La question de la domiciliation est constitutive de l’histoire du système d’assistance dans lequel le domicile a représenté un espace de référence conditionnant l’octroi des secours (Castel, 1995 ; Bec, 1998).
Sur les secteurs ruraux les plus reculés, la majorité des usagers est rencontrée à domicile alors que sur les zones les plus urbanisées, les visites à domicile constituent souvent le moyen de rencontre le moins utilisé, les assistants sociaux privilégiant les permanences et les rendez-vous à la circonscription. La visite à domicile n’apparaît nécessaire que lorsque les personnes ne peuvent pas se déplacer ou lorsqu’il semble important de faire une évaluation plus fine d’une famille et de la comprendre dans son environnement familier.
« Alors, au niveau des visites à domicile, moi, je ne vais pas systématiquement à domicile… Pour des familles nouvelles, je ne vais pas à domicile la première fois parce que je trouve que c’est une intrusion dans l’espace intime des personnes et je pense que des fois, ça peut, autant pour certaines personnes cela va permettre effectivement qu’elles soient plus à l’aise, autant pour d’autres ça peut être intrusif […] Donc, des visites, je n’en ai pas énormément et à chaque fois, c’est dans un cadre très particulier. Soit c’est pour compléter l’évaluation où on va avoir besoin de voir comment chacun se situe dans l’espace du logement, l’enfant comment il va se placer ou comment le logement peut être investi » (entretien n°3, assistante sociale, secteur urbain).
« Les visites à domicile, c’est important et nécessaire pour voir l’environnement familial, appréhender la famille. Mais quand on connaît l’environnement, il n’y a pas besoin d’y aller tout le temps, tout le temps. En plus, moi, j’estime que c’est aussi la vie privée des gens. Et quand il n’y a pas de problème à priori, on n’a pas non plus à aller chez eux comme ça » (entretien n°10, assistante sociale, secteur urbain).
Par ailleurs, la question de la confidentialité est fréquemment pointée par les assistants sociaux des zones rurales : ils évoquent l’interconnaissance et l’absence d’anonymat qui, dans les petites communes, ne garantissent pas, à leurs yeux, un respect suffisant de la vie privée des usagers. Considérée comme plus discrète que les permanences en mairie, la visite à domicile devient, dans ce cas, une solution pour rester à l’abri des regards. Vécue par les assistants sociaux des secteurs urbains comme une intrusion dans l’intimité des usagers, la visite à domicile est perçue, en milieu rural, comme un moyen de préserver la vie privée et la confidentialité. On notera que l’interconnaissance est interprétée de manière complètement différente par les assistants sociaux des secteurs ruraux et par ceux des secteurs urbains : « l’interconnaissance des cages d’escalier » est considérée comme un facteur de banalisation du recours aux services sociaux alors que l’interconnaissance en milieu rural est considérée comme un facteur de stigmatisation des usagers et, par conséquent, comme un frein à la sollicitation des services sociaux.
Le rôle structurant de la ville
Les assistants sociaux des secteurs ruraux décrivent leur rôle d’une manière particulière puisqu’ils ne peuvent, disent-ils, se contenter d’apporter une aide classique (prévention, conseils, accès aux droits, secours financiers ou matériels). Ils ont également pour rôle de combler les lacunes du milieu rural, et notamment les lacunes en termes de transport.
« J’ai beaucoup de rendez-vous à domicile, avec des accompagnements physiques parce qu’il y a des gens qui n’ont pas de voiture ou qui ont des problèmes d’alcoolisme ou qui ne s’y retrouve pas ; on les emmène aux impôts, au centre d’alcoologie, faire un bilan de santé à la Sécurité sociale. Les gens sont vite perdus à A. [chef-lieu du département], c’est la grande ville pour eux, beaucoup d’organismes qui les effraient un peu » (entretien n°11, assistante sociale, secteur rural).
« Le problème, c’est que les gens se trouvent loin, loin de tout ça [les services publics ou associatifs], loin de l’ANPE et on a du mal à les sensibiliser… Les gens ont du mal à aller sur A. [chef-lieu du département]. D’abord parce qu’il y a vraiment des angoisses de se perdre, de ne pas trouver l’institution, l’administration qu’ils recherchent etc. On en a quand même qui se déplacent mais il y en a quand même assez peu » (entretien n°14, assistante sociale, secteur rural)
Pour les populations les plus éloignées de l’univers urbain, la ville fait l’objet d’un apprentissage auquel les assistants sociaux participent. L’investissement de la ville prend alors place dans la démarche d’accompagnement des usagers.
« … prendre le temps avec eux, par exemple pour des gens qui vivent en milieu rural, de savoir ce qu’est la ville de A., leur montrer les quartiers, pour démystifier un petit peu » (entretien n°31, assistant social, secteur rural).
« Quelquefois, je fais l’accompagnement des personnes mais ce n’est pas évident. Un accompagnement prend facilement une demi-journée, voire les deux tiers de la journée. Il faut que j’aille chercher les personnes, que je les emmène, que je les ramène chez elles. En général, on rediscute, on revient au domicile, on explique tout ce que l’on vient de faire, ce qui vient de se passer et après je rentre » (entretien n°15, assistante sociale, secteur rural).
Dans ce contexte, l’intervention sociale se situe comme une action de réparation, destinée aux « exclus de la mobilité ». Le rapport au « terrain » et l’immersion dans un milieu ont été des sources de valorisation pour les assistants sociaux et éducateurs qui ont exercé dans les années 1970. Ces pratiques, qui ont perdu de leur légitimité à mesure que les fonctions d’expertise et de coordination devenaient plus importantes, se trouvent requalifiées par les assistants sociaux sur la base d’une argumentation où se croisent les questions de la proximité et de l’accessibilité, des besoins des usagers et de leur rapport à la ville.
Les problèmes relatifs au repli des usagers sur leur domicile, à la faiblesse de leurs contacts avec l’extérieur ne sont pas traités de la même manière selon les types de secteurs. Sur les secteurs ruraux, l’absence de sorties et de liens avec l’extérieur de la maison sont appréhendés avec un certain fatalisme : compte tenu du manque de transports et de services, les assistants sociaux pensent qu’ils ne peuvent pas offrir de solutions très satisfaisantes et apportent une aide ponctuelle en effectuant des accompagnements physiques. Les assistants sociaux exerçant en ville tiennent un autre discours. Ils sont, par exemple, très attentifs à l’isolement des femmes, chefs de famille monoparentale, ne travaillant pas, vivant en habitat collectif et ont mis en place des actions individuelles et collectives à destination de ce public. Les moyens utilisés vont de la négociation du choix des lieux de rencontre entre l’assistant social et l’usager – selon, par exemple, le modèle de l’alternance, une rencontre sur deux se déroulant au domicile et l’autre se déroulant à la circonscription – à la mise en place de stages d’insertion sociale ou de réunions d’information. La participation aux actions collectives est considérée comme « la première chose que peuvent faire les gens qui ont du mal à faire quelque chose » (entretien n°32, assistante sociale, secteur urbain). Le repli sur le domicile est, dans ce cas, repéré et traité comme un dysfonctionnement. Pour les assistants sociaux des secteurs urbains, la vie en ville comprend nécessairement des « sorties », une ouverture sur l’extérieur et suppose un usage de la ville. Lorsque cet usage est absent ou considéré comme trop faible, il est intégré dans la définition des objectifs de travail.
A la forte valorisation de l’espace public comme espace de socialisation et vecteur d’intégration, s’ajoute la conviction que les problèmes sociaux doivent être préférentiellement traités dans des lieux administratifs et publics, notamment dans les bureaux de la circonscription, emblème matériel du service social départemental. La visite au domicile qui est le lieu du privé par excellence, est utilisée en dernier recours. La mobilité – que l’on peut dans ce cas définir comme une maîtrise du territoire urbain et comme une capacité à circuler à l’intérieur de ce territoire – est construite par les assistants sociaux comme une compétence et comme un signe de bonne volonté des usagers.
Conclusion
« Intervenir, c’est aussi mettre en tension » (Bertin, 2004, p.6)
Conception du service public, rapport au domicile et à l’intime semblent être étroitement liés, l’action sociale présentant cette particularité de mailler en permanence le public et le privé. Dans la perspective de se situer au plus près, géographiquement, de la vie des personnes, le service social départemental que nous avons étudié reste régi par une logique de la répartition, même si certaines fonctions (comme le suivi socio-éducatif des enfants pris en charge par l’aide sociale à l’enfance) font l’objet de projets de centralisation. Sur les secteurs ruraux les moins peuplés, la charge de travail des personnels tend à s’affaiblir mais la présence du service social n’y est pas pour autant remise en cause. L’idéologie professionnelle des travailleurs sociaux dits de terrain et d’encadrement comme la demande des conseillers généraux des cantons ruraux incitent à occuper les espaces ruraux : l’idée que l’ensemble du territoire départemental doit être « couvert » demeure prédominante pour tous, y compris pour les élus des cantons urbains. D’autres départements ont connu des réorganisations articulant autrement le service public et les secteurs ruraux et privilégiant de manière beaucoup plus marquée le modèle de la concentration. Ainsi, des départements limitrophes déclinent de façon différenciée la tension entre le modèle de la concentration et celui de la répartition. Quelles que soient ses applications sur le terrain, cette tension est inscrite dans les pratiques professionnelles des travailleurs sociaux et dans les logiques de justification qu’ils mettent en œuvre.
Références bibliographiques
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[1] En France, la politique de décentralisation a connu deux grandes étapes : les lois de 1982 et 1983 qui posent les bases de la décentralisation et la réforme constitutionnelle de 2003. La décentralisation se traduit par une redistribution des pouvoirs, des compétences, des moyens financiers et humains de l’État vers les collectivités locales (régions et départements). L’action sociale a été un des grands secteurs visés par la décentralisation : autrefois exercées par l’État, de nombreuses compétences ont été transférées aux départements dont l’instance politique est le Conseil général. Le président du Conseil général est le chef de l’administration départementale et, par conséquent, du service social départemental. Dans cette organisation, les personnels politiques (les conseilleurs généraux) se trouvent donc être en situation de pouvoir vis-à-vis des personnels techniques dont les travailleurs sociaux font partie.
[2] On définira l’action sociale comme se situant à la fois à l’intersection et dans le prolongement des systèmes assurantiels et assistanciels (Autès, 1999).
[3] L’organisation en circonscription, qui fait suite à la réforme de 1964, a été l’étape majeure de territorialisation du travail social en France.
[4] Le diplôme d’État d’assistant de service social est créé en 1932, l’ANAS (Association nationale des assistantes sociales) est créée en 1944. La loi du 8 avril 1946 donne un cadre législatif à la profession, (Le Tallec, 2003).
[5] Tous les personnels ne sont pas sectorisés : les éducateurs de prévention, les conseillères en éducation sociale et familiale ou les sages-femmes sont affectés à l’ensemble de la circonscription. Mais même pour ces catégories, le secteur reste un cadre pertinent de référence.