Résumé : 

Il semblerait que le passage d’une orientation basée sur le conseil à celle d’une éducation à l’orientation relevant de l’apprentissage scolaire favorise l’émergence de nouvelles modalités d’orientation. Alors que le conseil en orientation est une pratique psychologique généralement de face-à-face consistant à aider un élève à trouver les meilleures solutions à son devenir scolaire et professionnel, l’éducation à l’orientation est une pratique pédagogique dont la progression tout au long de la scolarité vise à donner à l’ensemble des élèves des compétences pour être à même de choisir et de s’orienter tout au long de leur vie (Paul et Suleman, 2005).

Après avoir précisé les objectifs et les finalités de l’orientation, nous présentons leur évolution dans le contexte français, puis les principales variations des processus d’orientation selon différents pays (Europe, Amérique du Nord). Enfin, nous interrogerons la pertinence du modèle individualiste de l’orientation encouragé par les instances de l’Union européenne.  

Mots-clés : Orientation scolaire, insertion professionnelle, éducation à l’orientation, inégalités scolaires, échec scolaire.   

Vers de nouvelles modalités de l’orientation scolaire en France et ailleurs   

Objectifs et finalités de l’orientation  

Aussi ancienne que le conseil en orientation (début du XXe siècle), l’éducation en orientation est initiée par Frank Parsons qui conçoit dans son ouvrage Choosing a vocation (1909) des exercices afin d’aider les consultants à se préparer à faire des choix professionnels en développant des habilités d’analyse, de sélection de l’information, de synthèse et de comparaison. Cependant, l’éducation en orientation va seulement se développer dans les années 1970 (Herr, 1972 ; Super, 1975 ; Pelletier et al., 1974 ; Pelletier et Bujold, 1984) du fait d’un contexte propice reposant sur les facteurs suivants : la primauté de la réussite individuelle (amenant l’individu à être directement responsable de sa construction personnelle) ; la transformation de l’organisation du travail (qualification des emplois à partir des compétences) ; la mondialisation de l’économie et du marché du travail ; et enfin, le rôle de l’école dans la socialisation et l’éducation des jeunes (Guichard, 2003).

Le développement des pratiques éducatives en orientation s’explique par ces facteurs contextuels et vise à répondre à des questions qui relèvent du social. Selon les pays, ces pratiques se différencient par leurs objectifs pédagogiques et par leurs finalités politiques, sociales ou économiques, mais ces dernières ne sont généralement pas clairement définies (l’absence de consensus semble prévaloir), ce qui rend difficile leur articulation avec les premiers.

Ainsi, au début du XXe siècle en France, les pratiques en orientation renvoient à des valeurs qui reposent sur le modèle de la « Cité juste » de Platon (livres II et VII de La République) : il s’agit de réaliser le bonheur social en construisant une société juste où chaque personne pourrait se satisfaire de la place qu’elle occupe correspondant à ses aptitudes ou à ses talents (Toulouse, 1903 ; Binet, 1908). Dans les années 1950, l’idée de « permettre à l’élève de répondre de manière plus adaptée aux problèmes que se pose la répartition des apprentis dans un établissement de formation professionnelle » (Léon, 1957, p.55) vise à amener les élèves à choisir des formations pour lesquelles la demande est insuffisante.

Actuellement, les objectifs pédagogiques que l’on retrouve le plus couramment relèvent du développement d’attitudes générales considérées comme pertinentes pour s’orienter tout au long de la vie ou celui d’habilités cognitives estimées indispensables pour être en mesure d’effectuer des choix quant à son orientation, avec toujours l’idée sous-jacente de découvrir des formations ou des professions qui pourraient convenir à l’individu.  

Selon les pays ou, plus exactement, suivant les orientations politiques du moment, les finalités récurrentes divergent sensiblement et ne sont pas toujours placées dans le même ordre de priorité : réduire les inégalités sociales (« contrarier » les destins sociaux pour une société plus juste), « façonner » un citoyen (améliorer la cohésion sociale au sein de la Nation), construire une vision « réaliste » du travail et du marché de l’emploi (amener les élèves à choisir des filières de formation que spontanément ils rejetteraient afin de les préparer à la flexibilité), favoriser une insertion sociale et professionnelle réussie par un développement individuel efficient (construction de soi et responsabilisation de l’individu favorisant des attitudes individualistes (stratégies consuméristes)) (Baillon, 1982 ; Dumora, 1990 ; Zarka, 2000).

Ainsi, un même objectif (comme la lutte contre les préjugés ou les stéréotypes sur les professions) peut correspondre à différentes finalités, parfois opposées (accepter la flexibilité de l’emploi et réduire les inégalités sociales). Ces dernières années, les rhétoriques des organismes internationaux (FMI, Banque mondiale, OCDE…) attribuent une place de plus en plus importante aux finalités économiques (en occultant les finalités sociales et/ou égalitaires), mais il semble inconcevable de pouvoir les considérer comme une fin en soi.    

L’orientation scolaire en France  

En France, depuis les Compagnons de l’Université Nouvelle au Plan Langevin-Wallon, l’idéal de l’égalité de chances à l’école a consisté à garder le plus longtemps possible les jeunes dans un tronc commun de formation générale (Tanguy, 1986). Cette conception a remis en cause un autre modèle de démocratisation qui s’appuyait sur l’expérience ouvrière et la formation professionnelle, éventuellement en alternance (Brucy et Troger, 2000 ; Casella, 1999 ; Thivend, 1997). Avec le Plan Langevin-Wallon, cette inflexion du sens social de l’orientation s’est appuyée sur une psychologie instrumentée visant à déceler chez les enfants d’origine populaire les compétences qui leur permettraient d’accéder aux études longues. Ainsi, suite à sa thèse sur l’enfant turbulent, Henri Wallon va mettre en exergue l'interdépendance des facteurs biologiques (maturation du système nerveux) et sociaux dans le développement psychique de l’enfant dans différents ouvrages (Wallon, 1941 ; 1942 ; 1945).

L’idée d’un repérage des capacités indépendamment des contextes sociaux va cependant être questionnée par Pierre Naville dès 1945, puis elle sera infirmée par la sociologie des années 1960. Naville considère en effet que l’orientation professionnelle étant déterminée par la structure des rapports de production, ne pourrait se modifier seulement si cette dernière était elle-même transformée (Naville, 1972). Cette orientation psychologisante est également repensée dans les années 1950 par Antoine Léon qui montre tout l’intérêt d’une approche historique dans les sciences de l’éducation. Il élabore une psychopédagogie de l'orientation en affirmant le caractère historique et évolutif de l'individu :  

« L’approche historique des faits éducatifs représente un instrument indispensable d’analyse des situations présentes, grâce au souci de relativiser – sans verser dans le pyrrhonisme ou le relativisme incohérent – les problèmes actuels et à la préoccupation d’éclairer les comportements des hommes et le fonctionnement des institutions en leur restituant leur dimension temporelle. De plus, en postulant l’ambiguïté de toute innovation, en soulignant les conflits qui ponctuent tout processus évolutif, en introduisant l’exigence du long terme dans l’évaluation des effets de l’éducation, et en s’ouvrant aux inévitables phénomènes de retournement, l’approche historique du fait éducatif peut, d’une certaine manière, être considérée comme une phase préliminaire de l’action » (Léon, 1957).

Ainsi, la spécificité française de l’histoire de l’orientation durant le XXe siècle a contribué à ancrer le travail et la formation des professionnels de l’orientation dans le champ de la psychologie. Celui-ci s’est progressivement ouvert à d’autres champs disciplinaires (sociologie, histoire), puis sa compétence a été fortement remise en question suite à la création du collège unique dans les années 1970 qui rendit inopérants les outils qui permettaient jusqu’à lors de mesurer les inégalités. En effet, dans ce nouveau contexte de l’école unique, l’orientation vers les cursus professionnels dépend à la fois des résultats scolaires, de l’origine sociale et des attentes familiales. Elle se situe entre le modèle de la transmission / reproduction pour les professions indépendantes (agriculteurs, artisans, commerçants) et celui de la relégation pour les élèves en échec scolaire, l’entre-deux étant fonction de la hiérarchisation sociale (Grelet, 2005).

Ainsi, si l’orientation en tant que procédure de détection des prédispositions psychologiques pour telle ou telle filière devient scientifiquement obsolète, elle relève, comme chaque moment d’évaluation, d’un arbitraire où l’opération de tri lèse avant tout les élèves issus de milieux sociaux et culturels défavorisés, c’est-à-dire les plus éloignés de ceux qui sont légitimés par l’école (Bourdieu et Passeron, 1970). Dans ces milieux défavorisés, la réussite scolaire est avant tout considérée comme une question de don ou d’aptitude, ce qui amène les parents et leurs enfants à accepter plus facilement les redoublements ou les orientations dans les filières les moins prestigieuses, décisions souvent entérinées et même parfois directement proposées par les acteurs du système d’orientation. À compétences égales, les élèves d’origine sociale modeste sont orientés d’une manière moins avantageuse pour leur avenir. Pour accéder aux filières les plus prometteuses en rapport avec les positions professionnelles, ces élèves (à commencer par les filles) doivent faire preuve de plus de performances que les autres (Duru-Bellat, 1988 ; Duru-Bellat et Mingat, 1988).

Jusqu’à présent en France, les critères scolaires – et dans une certaine mesure disciplinaires – lors des conseils de classe ont un poids important dans les décisions d’affectation, tandis que la Loi d’orientation de 1989, centrée sur le projet personnel de l’élève, ne permet guère son élaboration et sa prise en considération (Hénoque et Legrand, 2004 ; Legrand, 2005). Les inégalités de réussite précoces et cumulatives sont renforcées par les stratégies familiales en matière de choix d’établissement, d’option et d’orientation, tandis que l’école les renforce par son mode de fonctionnement, les contenus qu’elle propose et les jugements sociaux aux fondements de ses décisions d’orientation (Duru-Bellat, 2006, p. 38).  

La démocratisation du primaire puis du secondaire a contribué au passage d’un système d’enseignement séparé en deux cursus responsable des inégalités sociales (Baudelot et Establet, 1971) à un système unique dont la sélection serait plus « méritocratique » qu’économique (Merle, 2002). La démocratisation de l’accès au baccalauréat et au supérieur a conduit à une élévation du niveau général de formation, mais la diversité des filières, séries et options a favorisé des inégalités sociales d’accès aux différents cursus, notamment avec la filière technologique (BTS, IUT) et les Classes de préparation aux grandes écoles (CPGE) donnant accès aux « Écoles ».

La distinction entre les grandes écoles et l’université est une originalité française. Dans de nombreux pays, il existe des formations professionnelles courtes dans le supérieur en dehors des universités, tandis que les formations les plus prestigieuses sont dispensées par les universités alors qu’elles le sont par les grandes écoles en France, ces dernières recevant les meilleurs élèves et les moyens les plus importants. Le libre accès à l’université est également une singularité française puisque dans la plupart des autres pays, la sélection dans la plus grande partie des filières s’effectue au niveau de l’établissement selon sa capacité d’accueil et parfois en fonction de critères nationaux.  

En distinguant l’enfant de l’élève, il semblerait que les instituteurs arrivent mieux que les enseignants du secondaire à préserver l’égalité des enfants face aux inégalités des élèves. Cette voie est privilégiée dans certains pays, notamment scandinaves. Il existe toujours un domaine d’activité dans lequel un élève peut se réaliser, ce qui lui permet d’être valorisé et de ne pas se sentir exclu. Cette dimension éthique, au-delà de l’instruction et de la compétition, permettrait de reconnaître chaque élève dans sa singularité et de le traiter de manière égalitaire, quelles que soient ses performances scolaires, ce qui impliquerait de remplacer le principe d’égalité méritocratique des chances par celui de l’égalité individuelle des chances (Dubet, 2004). Cependant, les inégalités sociales à niveau scolaire donné perdurent par le « jeu » des orientations différentes. Une distinction basée sur des choix inégaux contribue alors à légitimer en partie les inégalités sociales. Ainsi, si les élèves de milieux sociaux défavorisés – à résultats scolaires équivalents – ont des aspirations scolaires ou professionnelles moindres que les autres, c’est parce qu’ils sont scolarisés dans des établissements typés socialement. Aux inégalités de réussite viennent s’ajouter des inégalités de « choix » conduisant – à résultats scolaires équivalents – les élèves d’origine sociale défavorisée à « choisir » (ou plus exactement à « être orientés » vers) les filières, les séries et les options les moins rentables.

Dans certains cursus, comme la médecine, le processus de sélection se base avant tout sur les mathématiques et les sciences dures, alors que la logique de formation professionnelle nécessiterait plus de diversité, basée sur l’apport des sciences humaines et de la psychologie. Cette ouverture à des qualités autres qu’académiques (travail en équipe, montage de projet, prise d’initiative, confiance en soi…) impliquerait des dispositifs pédagogiques nouveaux qui relèvent de l’interdisciplinarité et de contacts réguliers avec le monde du travail. Dans d’autres filières, nous constatons que les apprentis considèrent positivement cette dernière relation : ils se sentent davantage responsables, prêts à affronter la vie réelle, souvent plus matures que les autres élèves du même âge qui restent dans l’enceinte de l’école (Moreau, 2005).

Le système scolaire français a développé par ailleurs l’originalité d’une formation professionnelle dispensée essentiellement dans les établissements scolaires (cela concerne quatre jeunes sur cinq). Dans les autres pays, cette formation professionnelle est effectuée dans les entreprises, mais varie selon l’âge. Aux États-Unis et au Japon, elle commence vers 18 ans après une formation initiale longue. En Allemagne, elle a lieu à la sortie du primaire pour une partie des élèves ou après le premier cycle du secondaire pour les autres, tout en étant organisée et prise en charge conjointement par les entreprises et le système scolaire.

Les lycéens et les étudiants sont de plus en plus nombreux à rechercher des « petits boulots » pour se construire une expérience professionnelle et pas uniquement pour des raisons financières. Ils y cherchent des éléments qu’ils ne trouvent pas dans leur vie scolaire ordinaire afin de se confronter à des opportunités leur donnant la possibilité de se construire une place dans le monde réel, de bénéficier ainsi d’expériences formatives (création d’un groupe de musique, volontariat international, activités artistiques…) qui les préparent à leur vie professionnelle à venir (Baillon, 1994). Faut-il encourager le développement de ces formations informelles sur la vie réelle à côté de la forme scolaire ou faudrait-il ouvrir cette dernière à des savoirs professionnels, sociaux et culturels ? Devant l’élargissement des connaissances et des compétences sociales, les curricula et le découpage disciplinaire des savoirs doivent-ils encore exister dans l’enseignement obligatoire ? Les systèmes scolaires qui ont répondu par la négative présentent des résultats supérieurs à ceux de la France tout en ayant réduit les inégalités (Dubet, 2004, p.62-63).

Actuellement, toute sortie du système scolaire français est quasi-définitive et les parcours atypiques ne sont guère tolérés. Pourtant, dans d’autres pays comme la Suisse, le Canada et les pays scandinaves où les réorientations sont possibles, les élèves socialement éloignés de la culture scolaire peuvent partir et revenir à l’école après avoir « goûté » à quelques expériences professionnelles, tandis que les étudiants âgés et ceux qui ont déjà travaillé y sont bien plus nombreux. Cependant, si les pays scandinaves ont réduit les inégalités sociales à l’école, c’est d’une part parce qu’ils disposent d’un système scolaire moins différencié que dans les autres pays, et d’autre part parce qu’il y a eu une volonté de réduire les inégalités dans leur société de manière plus générale (Erikson et Jonsson, 2000). Il semble que le fait de donner plus de souplesse aux parcours scolaires, qu’ils soient rapides ou lents, contribue à réduire les inégalités.   

Variation des processus d’orientation selon les pays  

Dans la plupart des pays industrialisés, l’enjeu de l’orientation revient à choisir une formation selon différents critères : les résultats scolaires, l’architecture du système scolaire, les procédures de répartition des élèves, les attentes personnelles et professionnelles (Guichard et Huteau, 2005). Selon les États, les questions d’orientation scolaire ne sont pas toujours les mêmes du fait de différences relatives à l’architecture des dispositifs scolaires et des procédures mises en œuvre pour répartir les élèves dans les différentes voies : examens d’entrée ou de dossier, épreuves normalisées portant sur les connaissances, notes et/ou appréciations des enseignants.   

Pays européens  

Nous retrouvons quatre grands types d’organisation de l’enseignement en Europe. En France, en Grande-Bretagne et en Italie, on observe une coupure nette dans l’organisation de l’enseignement obligatoire entre le primaire et le premier cycle de l’enseignement secondaire. En Suisse, en Belgique et aux Pays-Bas, il existe seulement une filière générale et une (Belgique et Pays-Bas) ou deux (Suisse) filières professionnelles. Dans certains pays comme l’Allemagne ou l’Autriche, il existe plusieurs filières correspondant à des niveaux scolaires différents. Dans d’autres États, comme les pays scandinaves ou le Portugal, il n’y a pas de coupure entre le primaire et le secondaire puisque tous les élèves d’une classe d’âge suivent une même scolarité dans un même établissement, le plus souvent durant neuf années. Dans ces pays, le redoublement n’existe quasiment pas (il est souvent interdit) et les élèves en difficulté bénéficient d’un suivi individualisé.

En Europe, les systèmes scolaires et d’orientation des pays scandinaves semblent plus performants et plus justes que les autres. Le niveau scolaire moyen des élèves de 15 ans en Finlande et en Suède est supérieur à celui des collégiens français et l’écart entre les élèves les meilleurs et les moins bons y est moins important. Les écarts sociaux sont davantage marqués en Allemagne et en Autriche (où il existe des filières précoces) qu’en Suède (où le premier cycle secondaire est indifférencié). Avec une dépense globale d’éducation comparable à celle de la France (7 % du PIB), les taux d’encadrement des enseignants et des conseillers d’orientation sont plus importants en Finlande (absence de « vie scolaire » et des corps d’inspection, limitation de l’administration centrale, décentralisation plus poussée), ce qui laisse supposer que les moyens sont distribués de manière plus efficiente. Les performances des élèves sont également bien meilleures, comme le révèlent les comparaisons internationales. Ainsi, dans l’enquête PISA 2000, les élèves Finlandais sont classés 1er sur 43 pays dans le domaine de la lecture, 3e en sciences et 4e en mathématiques, puis 1er dans ces trois matières en 2003 (2e concernant la résolution de problèmes). Les différences entre les genres et l’impact des disparités sociales sur les performances des élèves (2e après l’Islande) sont moins fortes en Finlande que dans les autres pays : le quart des élèves les plus défavorisés se trouve en mathématiques au-dessus de la moyenne des pays de l’OCDE, tandis que la proportion des élèves les plus faibles dans cette matière est de 6 % contre 21 % en moyenne dans les pays de l’OCDE. Les différences entre les établissements sont également les moins marquées (2e après l’Islande). Les élèves affichent une forte confiance en eux, dans leur potentiel d’apprentissage et dans leurs compétences et sont moins anxieux en mathématiques que les autres élèves des pays de l’OCDE. Par ailleurs, les écarts relatifs à l’orientation sont plus faibles en Angleterre qu’en France (du fait de l’importance accordée aux résultats scolaires).

Il existe de nombreux dispositifs d’orientation en Europe. Cependant, depuis quelques années, les structures spécialisées agissant sans relation avec les établissements (surtout présentes dans les anciens pays d’Europe de l’Est (Bulgarie, Slovaquie) ainsi que les modèles d’orientation où les enseignants organisaient directement les pratiques d’information et d’orientation (souvent dans les pays d’Europe du Nord comme le Danemark) cèdent la place à des partenariats entre professionnels de l’orientation et établissements / enseignants. Ces derniers concernent la plupart des pays d’Europe de l’Ouest (Grande-Bretagne, France, Belgique, Italie, Allemagne, Portugal, etc.).    

États-Unis  

Aux États-Unis, le système d’orientation vise à limiter le décrochage et à favoriser une meilleure réussite des élèves pour les amener à accéder aux universités, si possibles les meilleures (mais de nombreux élèves sont laissés au bord de la route). Le développement des pratiques d’aide à l’orientation, relevant des domaines de l’animation, de la formation et du conseil, vise à limiter le décrochage et à favoriser une meilleure réussite des élèves. Les activités de conseils scolaires ou universitaires consistent notamment à fournir des renseignements sur les caractéristiques des différents établissements d’enseignement supérieur et à s’assurer que les étudiants ont choisi les bonnes options ou ont suffisamment d’unités pour obtenir leur diplôme. Elles se focalisent principalement sur les progrès de l’élève dans le secondaire en vue de l’accès à l’université, visent l’amélioration de l’idée qu’il se fait de lui-même s’il présente des problèmes cognitifs, de capacité ou de comportement (Trusty, 1996). Cependant, elles demeurent peu efficaces, chaque conseiller ayant à charge 500 à 1 000 élèves selon les établissements.

L’évaluation des élèves par le Scholastic Aptitude Test (SAT), le National Assessment of Educational Progress (NAEP), mais aussi d’autres tests commerciaux basés sur les standards, détermine les orientations de l’enseignement secondaire et donc les moyens d’accès au supérieur. Ces tests commerciaux favorisent l’orientation des élèves dans des parcours différenciés, notamment en leur permettant de changer de classe ou d’école. Ils peuvent varier selon les États et les Districts qui conservent une relative autonomie en matière de politique éducative. Les enseignants préparent assidûment leurs élèves à réussir ces tests qui servent également à classer les écoles selon les taux de réussite (Meunier, 2008).

Dans la plupart des universités américaines, les étudiants bénéficient de deux types de service dont les activités sont coordonnées. Dans les Counseling Centers, la demande s’exprime sous la forme d’une difficulté personnelle ou familiale, tandis que les Success Centers répondent à une demande d’aide pour faire face à des difficultés d’apprentissage ou à des choix d’orientation. Les étudiants des universités d’élite (Ivy leagues) – pouvant être comparées aux Grandes écoles en France et aux universités impériales au Japon (Murdoch, 2002) – bénéficient des meilleurs services d’orientation : guides comparant et classifiant les universités, conseillers d’orientation privés, expérience de leurs parents, développement de l’étudiant visant l’aider à faire face la vie en internat, séminaires, activités internes et externes au programme, vie associative, etc. (Ratcliff, 1995). Cette approche en termes de développement de différentes options est le plus souvent inexistante dans les autres universités. Les élèves du secondaire qui ne s’orientent pas vers l’université, notamment ceux qui vont expérimenter les établissements d’enseignement professionnel pour adultes, n’en bénéficient pas non plus et ne sont généralement pas formés à l’orientation active. Avec l’intégration du conseil professionnel dans les établissements d’enseignement, l’objectif initial d’information des élèves sur les options professionnelles est le plus souvent remplacé par des activités de conseil scolaire et souvent psychologique. Le lien entre scolarité et avenir professionnel n’est alors pas maintenu, ce qui implique des « ambitions mal dirigées » (Schneider et Stevenson, 1999) chez les jeunes, c’est-à-dire des objectifs scolaires et professionnels ambitieux dépourvus du projet éducatif nécessaire à sa réalisation.    

Au Canada (Québec)  

L’approche orientante du Canada (Québec), qui relève de l’éducation à l’orientation, influence depuis quelques années les instances européennes. Issu du concept américain de « career education » (Hoyt, 1975 ; 1984) et instauré officiellement dans le système éducatif québécois en 2000, il commence à être expérimenté dans plusieurs pays de l’Union européenne (Italie, Espagne, France). Il considère que l’ensemble de la scolarité, dès le primaire et à l’intérieur de chaque discipline doit concourir à l'orientation et que la réussite scolaire des élèves est liée à leur motivation en rapport avec l’insertion professionnelle. Il a été diffusé en France depuis 2003 dans l’académie de Montpellier (Ferré, 2005) qui a accueilli en 2007 un projet européen Leonardo monté par la Région de Taranto en Italie en relation avec la Catalogne en Espagne.

Dans la province du Québec au Canada, la réforme éducative de 2000 considère l’orientation comme l’un des cinq domaines généraux de l’éducation (MEQ, 2002). Elle officialise l’approche orientante qui remplace l’éducation au choix de carrière. Elle a été développée à partir des années 1990 par l’Ordre des conseillers et conseillères d’orientation et des psycho-éducateurs et pyscho-éducatrices du Québec puis par l’Association québécoise d’information scolaire et professionnelle.

« Une approche orientante est en fait une démarche concertée entre une équipe-école et ses partenaires, dans le cadre de laquelle on fixe des objectifs et met en place des services (individuels et collectifs), des outils et des activités pédagogiques visant à accompagner l’élève dans le développement de son identité et dans son cheminement vocationnel. Il s’agit donc d’activités et de services intégrés au plan de réussite et au projet éducatif d’un établissement et non d’un simple cumul d’actions isolées engageant peu l’équipe-école » (MEQ, 2002, p. 18).

L’approche orientante considère que les bases requises à la préparation d’un projet de vie doivent être acquises dès le primaire, ce qui implique d’attribuer à l’école une vocation d’orientation pour permettre aux jeunes d’apprendre à planifier leur vie personnelle et professionnelle durant leur scolarité. Contrairement à l’éducation au choix de carrière, l’approche orientante se veut multidimensionnelle (développements professionnel, social et citoyen), participative (concertation des acteurs scolaires, professionnels et familiaux) et réflexive (mobilisation de l’élève autour d’un projet, intégration des perspectives professionnelles dans les disciplines, activités parascolaires). Elle vise le développement de l’élève

« dans toutes les dimensions de sa personne en l’invitant à s’engager activement dans sa démarche d’apprentissage et d’orientation et ce, grâce aux multiples expériences vécues lors de l’application du principe d’infusion (intégration de notions relatives à la carrière et au développement de carrière dans toutes les activités scolaires et parascolaires) et du principe de collaboration (engagement concerté de tous les partenaires éducatifs dans la formation et l’orientation des élèves) » (Gingras, 2007).

Suite à la réforme éducative de 2000, les services d’orientation scolaire et professionnelle du Québec ont pour objectif d’amener tous les acteurs scolaires à accompagner les élèves à se découvrir et à les aider à construire un projet de vie afin de faciliter leur future insertion socioprofessionnelle. Ces services sont intégrés aux écoles et agissent dans quatre domaines : la vie scolaire (développement de l’autonomie, des relations sociales, du sens des responsabilités et de la dimension morale de l’élève) ; le soutien scolaire (assurer à l’élève les meilleures conditions d’apprentissage) ; la promotion et la prévention (offrir à l’élève un environnement favorable à des habitudes de vie et à des compétences qui vont l’influencer positivement) ; l’orientation scolaire et professionnelle.

Dans cette perspective, l’école doit permettre à chaque élève de développer et de valoriser ses compétences tout en comprenant les relations entre ses apprentissages scolaires et le monde du travail. Il s’agit à la fois d’intégrer les perspectives professionnelles dans les matières enseignées, de promouvoir la concertation des acteurs de l’école, du monde du travail et des familles, de motiver chaque élève afin qu’il puisse se mobiliser dans le cadre d’un projet vocationnel.

« L’approche orientante consiste essentiellement à faire se rencontrer compétences transversales et compétences vocationnelles » (Pelletier, 2004, p.81).

Un projet personnel d’orientation a été mis en place dans les curricula à partir de 2003 pour les collégiens et 2007 pour les lycéens : chaque élève est amené à réaliser une démarche exploratoire d’orientation axée sur l’expérimentation concrète et à se situer par rapport à elle. Il peut utiliser le « Répertoire PPO » conçu à cet effet (résultant d’un partenariat entre le ministère de l’Éducation, du loisir et du sport et l’université de Laval). Près de 100 heures sont consacrées au PPO durant l’année scolaire.  

Selon les pays et plus largement les régions (régionalisation et/ou décentralisation), les pratiques relevant de l’orientation sont multiples et diffèrent selon qu’il s’agit de conseils et donc d’une approche psychologique (en récession ou généralement complétée par un apprentissage), d’éducation à l’orientation (approche pédagogique) ou d’expérimentation (approche réflexive).

Certaines approches que l’on retrouve au Danemark, en Allemagne en Autriche ou au Canada (Québec) consistent plus spécifiquement à amener les élèves à constituer des dossiers dans lesquels ils vont consigner leurs connaissances et leurs expériences tout au long de leur scolarité afin de mieux gérer leur apprentissage en matière d’orientation et être en mesure de le mobiliser par rapport à leur projet professionnel. D’autres approches sont davantage ciblées sur des cours à l’orientation avec une participation conjointe des enseignants et des conseillers d’orientation (Suède, Finlande). Certaines relèvent de la décision des enseignants et de leur capacité à faire intervenir des partenaires extérieurs (Italie, Espagne). D’autres consistent à répartir – avec plus ou moins de succès – les rôles entre des prestataires extérieurs de l’orientation et les enseignants (Angleterre). Certaines se basent sur les relations entre l’école et le monde du travail (Allemagne). D’autres, enfin, se focalisent plus directement sur les processus de transition (Suisse). Des expérimentations relatives à l’orientation sont par ailleurs régulièrement développées dans différents pays sur des groupes spécifiques, tout en adaptant et/ou en repensant les attributions des conseillers d’orientation.

Ainsi, au lieu de suivre systématiquement la voie de « l’université pour tous », des projets et des programmes initiés aux États-Unis proposent d’autres alternatives aux élèves en matière de conseil et d’orientation en les mettant directement en contact avec le monde du travail, en leur donnant la possibilité d’envisager différentes options scolaires et professionnelles et en les aidant à planifier leur avenir. Cependant, ces projets ne sont pas encore bien acceptés par les établissements secondaires qui continuent, pour la plupart, à privilégier l’orientation vers l’université. 

De ces différences d’organisation des procédures et des services d’orientation nous pouvons constater que si le conseil en orientation perdure encore dans quelques pays, l’éducation à l’orientation est en train de se généraliser dans la majorité d’entre eux. Le modèle québécois d’approche orientante a été décliné dans différents pays européens et vient renforcer cette homogénéisation en matière d’objectifs, mais avec des finalités différentes selon les contextes historiques, socioculturels et économique de chaque pays.    

Perspectives de l’orientation dans l’Union européenne  

Dans l’Union européenne, quels que soient les dispositifs, 14 millions de jeunes quittent les systèmes scolaires initiaux sans perspective d'études ou d'emploi. Il apparaît que les dispositifs de formation préfigurent les limites et les ouvertures dans les processus de mobilité professionnelle, certains pouvant même engendrer une dégradation progressive de l’employabilité et mener à une situation de chômage chronique (Garcia et Merino, 2002). Par ailleurs, les itinéraires de formation sont souvent constitués de réajustements continus, de fragmentations, de phases d’attentes, ce qui implique généralement plusieurs choix professionnels provisoires (Padiglia, 2007).  

Suite au Conseil européen de Lisbonne de mars 2000 – qui définit une stratégie jusqu’en 2010 (programme « Éducation et formation 2010 ») visant à répondre aux défis de la mondialisation – l’Union européenne s’est engagée à réformer sa politique d’éducation et de formation en donnant une place centrale à l’orientation. Il est précisé qu’elle doit s’adapter aux besoins des économies et des sociétés de la connaissance impliquant un changement accéléré des besoins de compétences, des parcours professionnels variés et des systèmes apprenants diversifiés et flexibles. Le développement de politiques nationales d’orientation tout au long de la vie est prôné depuis la conférence de Jyväskylä (Finlande) en 2006 et un Réseau européen pour le développement des politiques d’orientation tout au long de la vie a été mis en place avec l’objectif de mutualiser les connaissances et les expériences dans ce domaine.

L’orientation y est présentée comme une alternative positive devant les difficultés de la sélection permettant de mieux conjuguer des objectifs de performance économique et d’égalité sociale. Cette rhétorique est reprise par les États membres en fonction de leur histoire et de leur culture scolaire et professionnelle. Dans une résolution du Conseil de l’Union européenne de 2004, une définition commune est proposée :

« L’orientation se rapporte à une série d’activités qui permettent aux citoyens, à tout âge et à tout moment de leur vie, de déterminer leurs capacités, leurs compétences et leurs intérêts, de prendre des décisions en matière d’éducation, de formation et d’emploi et de gérer leurs parcours de vie personnelle dans l’éducation et la formation, au travail et dans d’autres cadres où il est possible d’acquérir et/ou d’utiliser ces compétences ».

Il est considéré que l’orientation vise à la fois l’amélioration des systèmes éducatifs et celle des rapports entre éducation et vie professionnelle. Elle se présente comme un moyen pour réduire l’échec scolaire et la déscolarisation, aider les élèves / étudiants à faire des choix appropriés entre les disciplines et les cursus. Elle consiste également à préparer les jeunes au monde travail par des enseignements, à les aider à développer certaines compétences (curriculum vitae, entretiens) leur permettant de mieux gérer leurs transitions, à bénéficier de contacts (apprentissage, stages) avec les professionnels, à promouvoir les compétences transversales et l’esprit d’entreprise et à les encourager à se former dans les domaines où une pénurie a été constatée. 

Actuellement, dans la plupart des pays européens, l’orientation est davantage considérée comme une activité pédagogique (éducation à l’orientation) que psychologique (conseil en orientation). Généralement, il s’agit de proposer des informations et une aide individuelle ou collective pour faciliter la prise de décision relative aux cursus scolaires et professionnels afin de mieux gérer sa trajectoire professionnelle. Les activités, qui se déroulent aussi bien en groupe qu’individuellement, peuvent être proposées dans les établissements scolaires, les universités, les organismes de formation, les services publics de l’emploi, des prestataires privés ou des associations. Hormis la délivrance d’informations, ils proposent des outils d’évaluation et d’auto-évaluation, des conseils, des formations à la recherche d’emploi, des programmes d’éducation à l’orientation… qui peuvent parfois s’effectuer à distance (par téléphone ou Internet).

Alors que traditionnellement, l’orientation est principalement focalisée sur la période de transition après la scolarité obligatoire, elle concerne de plus en plus l’ensemble des cursus scolaires et de formation et vise moins à accompagner / entériner des choix sociaux qu’à inculquer des compétences cognitives et des attitudes mobilisables tout au long de la vie active. Selon Webb (2006), l’orientation serait plus efficace quand elle délivre une information variée relative aux parcours envisageables, un accompagnement des élèves basé sur les situations concrètes, une préparation à la prise de décision en testant les possibilités avant de s’engager, et une possibilité de combiner différentes options tout en facilitant les déplacements des élèves.

Dans l’Union européenne et plus généralement dans les pays de l’OCDE, la compétence au choix et à l’orientation figure désormais dans les compétences clés à maîtriser durant la scolarité obligatoire afin que chaque individu tout au long de sa vie soit capable d’analyser une situation, faire le bilan de ses compétences, mobiliser les ressources de formation afin de s’adapter et changer de métier ou de région. Il apparaît cependant que les modalités de formation concernant la formation à l’orientation ainsi que les ressources réelles dont disposent les individus pour accomplir ce travail varient selon les pays.

Si les variables classiques, telles que l’origine sociale, le genre, l’âge, l’origine ethnique, l’estime de soi et l’auto-évaluation de ses compétences ont une responsabilité importante dans les inégalités de parcours et les choix scolaires à compétences scolaires équivalentes au niveau de l’individu, d’autres facteurs explicatifs, liés à la famille et à l’environnement (quartier, établissement, classe) ou aux contextes d’apprentissage (rôle des enseignants, influence du groupe des pairs), les complètent ou parfois les relativisent (Thrupp et al., 2002 ; Wilkinson et al., 1999).

Si les systèmes scolaires démocratiques tendent à s’approcher d’un idéal d’égalité des chances, ils n’y parviennent pas car ils ne peuvent pas se protéger de l’influence des inégalités sociales sur les inégalités scolaires : l’égalité des chances ne produit pas une égalité de résultats. Cependant, le meilleur moyen pour créer l’égalité des chances demeure de réduire les inégalités sociales (Dubet, 2004, p.22).  

Néanmoins, l’idéal d’égalité des résultats tend à remplacer celui de l’égalité des chances dans de nombreux pays. Des objectifs d’apprentissage communs à tous les élèves (socles de compétences), quel que soit l’établissement fréquenté, sont définis dans toutes les disciplines scolaires. Ce principe des « socles » relève de la pensée de Walzer (1997) plaidant pour un socle inconditionnel de savoirs que tous les élèves devraient maîtriser à la fin de la scolarité obligatoire. Ce tronc commun vise à favoriser l’acquisition des bases nécessaires à la citoyenneté avec une atténuation partielle des mécanismes de sélection (organisation de « cycles d’apprentissage ») et l’interdiction du redoublement. Cependant, cette politique d’égalité de traitement (tronc commun ou transmission des compétences de base) est mise en place dans des environnements sociaux et pédagogiques qui tendent à accroître les inégalités de résultats en limitant la possibilité de transformer les ressources éducatives en apprentissages effectifs.

Durant le cursus scolaire, l’origine sociale apparaît de plus en plus importante dans le clivage des populations, tandis que la méritocratie s’accentue. La préparation de l’enfant à tirer profit de son milieu social à l’école, la mise en place d’inégalités sociales de réussite pour augmenter sa valeur scolaire et de stratégies sociales lors des choix d’orientation, favorisent fortement sa carrière scolaire, comme dans le système français (Prost, 1996). Il est donc normal que les parents les plus avertis cherchent à faire bénéficier leur progéniture des meilleures conditions d’enseignement, c’est-à-dire des contextes et plus précisément des écoles et des enseignants qui permettent de faire la différence. Le simple fait de fréquenter tel établissement ou telle classe va influencer le destin scolaire de l’élève (Ringer et al., 2003). La scolarisation dans un environnement scolaire difficile limite le développement des compétences individuelles des élèves et influence leurs « préférences adaptatives » (Sen, 2000).

Ce phénomène s’est renforcé dans de nombreux pays (comme la Belgique francophone) suite aux recommandations internationales (Ball, 2003) visant à transformer les modes de régulation des systèmes éducatifs au nom de l’efficacité et de la performance. L’accountability (rendre des comptes) qui en résulte tend à renforcer le lien entre ressources et fonctionnements (Robeyns, 2005), conformément à la théorie du capital humain (Becker, 1964). Entre la volonté de connaître réellement les apprentissages des élèves et celle de rendre compte par l’évaluation externe, la politique d’égalisation des acquis de base demeure lacunaire du fait de l’absence d’instruments de mesure sur les savoirs acquis par les élèves et les ressources scolaires mobilisées dans le cadre de leurs apprentissages (Verhoeven et al., 2007). La régulation par la combinaison d’un principe de libre choix scolaire et du financement des établissements par rapport au nombre d’élèves inscrits favorise une logique d’interdépendance compétitive entre les écoles et contribue à renforcer les inégalités entre établissements (Dupriez et Cornet, 2005). Cette régulation par le « marché scolaire » entraîne une irréversibilité des parcours scolaires qui amène les élèves à fréquenter des établissements ne pouvant pas contrôler la composition de leur public et donc qui acceptent les « mauvais » élèves envoyés par d’autres. Les élèves qui fréquentent ces établissements dès le début de leur scolarisation ou suite à une « orientation » peuvent difficilement les quitter pour suivre une scolarisation dans des contextes scolaires plus performants. Ces « carrières scolaires négatives » (Andreo, 2005) liées à l’asymétrie des flux enferment progressivement les élèves dans des parcours de plus en plus désavantageux. Ces disparités dans les parcours sont généralement renforcées par les processus d’orientation scolaire.

Par ailleurs, le critère d’évaluation des élèves est toujours local et donc fluctuant : c’est l’établissement et la classe qui déterminent ce qu’est un élève moyen. Le même élève pourra être considéré faible dans un établissement, moyen ou bon dans un autre (Cousin, 1993). Mais s’il est facile de distinguer les « bons » et les « mauvais » élèves, les jugements que les enseignants, le chef d’établissement et/ou les conseillers d’orientation portent sur les élèves un peu en dessous de la moyenne sont largement discutables (Van Zanten, 2001 ; Berthelot, 1993). Il est vrai que la croyance dans le mérite est répandue chez les enseignants en tant qu’anciens bons élèves et qu’il demeure difficile de mettre en cause l’objectivité du concours qui les a fait ce qu’ils sont (Dubet, 2004, p.32).   

Vers un modèle individualiste de l’orientation ?  

Comment éviter que les modalités d’orientation soient moins tributaires des critères académiques, moins irréversibles et moins dramatiques ? Comment amener un nombre de jeunes de plus en plus important à ne plus considérer l’obtention d’une bonne orientation comme l’objectif essentiel de la scolarisation ? Comment passer d’une logique de classement actuelle (où des jeunes inégaux socialement accèdent à des emplois inégaux économiquement) à une logique de choix entre des emplois diversifiés ? Comment éviter que la hiérarchisation des emplois ne soit plus uniquement tributaire de critères scolaires ? Est-il possible de concevoir une orientation qui intègre les qualités et les préférences individuelles ?

William Julius Wilson préconise la mise en place d’une politique d’affirmative opportunity où il s’agit de prendre en considération les différences entre les élèves à partir de leur histoire singulière et de leur projet personnel. Au lieu d’effectuer une discrimination positive sur l’ensemble d’un établissement, d’une classe ou de groupes ethniques, elle pourrait concerner chaque individu porteur de handicaps et d’inégalités socioculturelles (Wilson, 1999). C’est donc au niveau individuel qu’un projet de formation et de vie pourrait être défini selon le désir, la volonté et les capacités de chacun. À partir du choix de l’élève exprimé, non plus dans le cadre du conseil en orientation, mais d’une éducation en orientation (de type « approche orientante »), le système éducatif serait alors davantage en mesure de répondre spécifiquement à ses besoins en lui offrant les soutiens pédagogiques et économiques visant à compenser les inégalités dont il est l’objet (Sen, 2000).

Dans la plupart des pays, la compétence au choix et à l’orientation figure maintenant dans le socle commun à maîtriser durant la scolarité obligatoire. Cette éducation à l’orientation a pour objectif de permettre à chaque élève d’effectuer des choix et de pouvoir s’orienter dans les « marchés » scolaires et professionnels tout au long de sa vie. Elle vise à accompagner le changement de carrière, la mobilité géographique et le retour à la formation à partir de compétences qui permettent à l’acteur social d’analyser une situation, de mobiliser des ressources et de prendre des décisions.

Cependant, les dispositifs de formation concernant l’éducation à l’orientation ainsi que les ressources qui sont effectivement mobilisées à cette fin varient selon les pays et parfois les régions. Les finalités des pratiques éducatives en orientation doivent faire face et répondre autant que possible aux problèmes soulevés par les crises contemporaines, et de l’école et du monde du travail. L’examen de ces systèmes d’orientation nous conduit à penser qu’accepter des cursus de formation qui ne soient pas linéaires, le droit à la rupture et au changement dans un système éducatif lisible pour tous visant à intégrer et non pas à exclure, permettrait de réduire les inégalités tout en rendant plus performant le système éducatif.

Néanmoins, il semble que le modèle individualiste de l’orientation puisse conduire à certains effets pervers devant la plénitude de sa réalisation. En effet, en aidant un jeune à déterminer ce qu’il veut être et à le devenir, le « bien commun » ou plus simplement l’« humanité » de chacun pourrait être écarté. La question centrale de l’éducation à l’orientation pourrait alors être : comment permettre à chaque individu de se réaliser pleinement dans le cadre d’une perspective humaniste ? Le cas échéant, l’enfermement identitaire de l’individu pourrait le conduire à rejeter ou à détruire ce qu’il perçoit comme un obstacle à sa pleine réalisation. Il serait donc profitable et pour l’individu et pour la société d’intégrer dans l’éducation à l’orientation une dimension morale de nature humaniste sans exclure pour autant les formes identitaires singulières (Guichard et Huteau, 2001).    

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