Le problème du praticien-chercheur, de la formation de professionnels par la recherche s’inscrit dans la problématique plus vaste de « l’ouverture culturelle », du mouvement « d’hybridation culturelle »[1], analysée par le Professeur Canclini, N.G. de l’Université Istapalapa de Mexico. Toute pratique sociale partagée par un groupe ethnique, linguistique, professionnel produit une culture particulière qui a tendance à se durcir en identité protectrice ; mais, entrant en contact avec d’autres cultures, elle a besoin de se recomposer en créant un « hybride », une entité nouvelle, avec des traits d’union.
Le praticien-chercheur s’est constitué en réunissant deux cultures que beaucoup veulent encore séparer : une culture professionnelle issue des pratiques d’un métier et une culture scientifique élaborée par les chercheurs. L’hybridation n’était pas évidente, la fidélité à deux univers, la composition de l’action et de la pensée. Les pionniers ont dû batailler ferme, dans un combat singulier, à l’issue incertaine, au risque d’être rejeté souvent par les deux camps.
Il est temps maintenant de repérer ceux qui ont imaginé des formations hybrides se donnant pour objectif de construire dans le même temps un praticien d’une profession ou d’un art et un chercheur sur cette profession et cet art. Tel est le but de ce numéro de sociologie critique : présenter des dispositifs de formation professionnelle par la recherche ou des recherches sur ce thème ; apporter des témoignages, des tentatives, des analyses, des appréciations de formateurs, de chercheurs, de formés dans des champs variés : l’éducation, le travail social et sanitaire, le sport, les beaux arts, l’intervention psychosociologique.
A l’initiative des chercheurs, la France, en 2004, s’est mobilisée pour repenser sa recherche, mesurer ses dysfonctionnements, élaborer des propositions. Nous avons nous-même participé à ce mouvement dans un atelier qui s’intitulait « recherche et société » ; les conclusions reprises dans l’ouvrage qui vient d’être publié [2] insistent sur 2 points qui nous intéressent ici : contribuer à la valorisation des connaissances scientifiques, former à la recherche et par la recherche (p.113 à 118). Il est préconisé la mise en place de PRES – Pôles de recherche et d’enseignement supérieur -, qui réuniraient l’université, les centres de formation supérieure, les laboratoires. C’est ce que le secteur social et beaucoup d’autres secteurs professionnels demandent depuis longtemps.
Qu’avons-nous ramené dans les filets lancés en septembre 2004 avec les mailles suivantes : former des professionnels par la recherche, hors des cursus académiques prévus pour former des « chercheurs » ou des enseignants-chercheurs. (cf. l’appel à contribution) ? Quelques présentations de dispositifs bien institués ou s’instituant, en expérimentation ou en projet avec leurs objectifs, leurs fondements, leurs effets repérés ou espérés. Dispositifs produits par, produisant, accompagnés ou combinés avec des recherches de natures variées : recherche-action, « collaborative », réflexive, épistémologique..
D'autres, des formés dans ces dispositifs, ont envoyé des témoignages : la manière dont ils ont « vécu » l'entrée en recherche, le parcours initiatique et ce qu'il a déclenché comme itinéraire, à la fois professionnel et intellectuel. Certains viennent du secteur social, d’autres des Beaux-arts. Nous les présentons en annexe. Mais il nous manque une étude un peu conséquente qui vérifierait l'ensemble des effets aperçus et nommés recherchés et sans doute atteints par ces dispositifs novateurs.
Notes [1] Canclini, N.G., (sous la direction de), 1996, Culturas en globalization. America-latina-Europa-Estados Unidos : libre commercio e integration, CNCA, Clasco Nueva.
[2] Les états généraux de la recherche, 9 mars-9 novembre 2004, 2004, PARIS, Editions Tallandier
Notice bibliographique Drouard, Hervé. « La formation de professionnels par la recherche « , Esprit critique, Hiver 2006 – Vol.08, No.01, ISSN 1705-1045, consulté sur Internet: http://www.espritcritique.org |