Résumé de
l’article
 La
professionnalisation par la démarche de
recherche est de plus en plus utilisée par
les organismes de formation professionnelle aussi
bien initiale que continue. Cet article tente d’analyser
les composantes et les conditions d’existence
d’une telle recherche. En quoi la recherche
est-elle professionnalisante et
quelles seraient les conditions pour qu’elle
le soit ? Plusieurs dimensions sont à l’œuvre
comme la formation en alternance, la pluralité des
formateurs et le déroulement d’un
tutorat, la production de savoirs qui ne sont ni
théoriques ni d’action mais en relation
avec des représentations nouvelles des possibilités
offertes par la pratique et, enfin, le passage
par une obligation d’écriture publique
dont les caractéristiques se nichent dans
le métissage. Cet article prend comme exemple
la mise en place du mémoire professionnel
en formation initiale des enseignants, la formation
professionnelle initiale présentant des
caractéristiques plus fragiles face à ce
genre de formation.
  Mots
clés :
 professionnalisation,
recherche professionnelle, formation initiale,
mémoire professionnel, recherche
  Introduction Ces
vingt dernières années, une manière
de former les gens passe par la recherche, sans
que l’on sache bien en quoi cela consiste.
Il s’agit, le plus souvent, de formation
professionnelle continue où le formé est
mis en position de questionner sa pratique et de
la revisiter à la lumière d’une
instrumentation empruntée à la recherche.
Le dispositif lui-même se compose d’une
formation en alternance, où la personne
continue à travailler sur son terrain professionnel
tout en prenant de son temps pour rencontrer des
formateurs et d’autres personnes en formation.
Le formé a une expérience de son
métier et en connaît les ficelles.
La démarche de recherche, ou dite comme
telle, consiste à interroger verbalement
cette pratique en la passant au crible de la raison
graphique et d’une prise de données
objectivables voire parfois à l’aune
des filets d’un processus proche de l’expérimentation
sociale.
 Est-on
vraiment sûr qu’une telle formation
améliorera la pratique du professionnel ?
Qu’elle lui confère autorité pour
s’exprimer (quelqu’un qui fait de la
recherche est un être détaché d’un
terrain jugé le plus souvent aveugle) pour
se faire reconnaître (il a obtenu un diplôme
certifiant une expérience de recherche)
voire prétendre à une promotion professionnelle
(il est au-dessus du « panier » puisqu’il
est capable de juger voire de convoquer des savoirs
théoriques parfois complètement abscons
pour ses collègues…), est chose évidente,
mais sur les performances de pratique, qu’en
est-il ? Bref, une sorte de « mode » remplit
progressivement les champs professionnels liés
au social qui invite toute formation professionnelle à contenir
une démarche de recherche. Comme toute mode,
est-ce périssable ou bien y a t il derrière
cette option une innovation solide et performante
pour toute formation professionnelle ?
  Une
mode parfois appelée pompeusement un « paradigme » ?
 Trois
grands courants portent cet engouement de la recherche
comme outil de professionnalisation :
                      Le
premier courant est celui de l’universitarisation de
la formation professionnelle. Cela veut dire que
l’université a changé ces vingt
dernières années d’identité et
de fonction sociale. Il n’est plus seulement
question de produire et mettre à disposition
des savoirs dits théoriques mais de remplir
d’autres fonctions comme celles de conseils,
d’expertise, de recherche–développement,
de formation de formateurs, etc. Les activités
pluridisciplinaires sont de ce fait plus apparentes.
L’université intègre des licences
et des masters professionnels, ce qui entraîne
la présence en son sein d’autres personnes
que les universitaires proprement dits. La référence
dominante n’est donc plus la discipline mais
un champ de pratiques. Jean Marie Barbier (voir
Barbier et Galatanu,
1994) ajoute : « tout
se passe comme si, à la place de la double
compétence et de la double identité des
enseignants-chercheurs, se mettait en place et
se déclinait de multiple façon, souvent
difficilement, une triple compétence ou
une triple identité (enseignant/chercheur/professionnel
du champ considéré) non pas au niveau
de chacun des enseignants, mais globalement au
niveau de l’ensemble des personnels recrutés
en référence à une discipline
ou à un champ de recherche précis
 ».
Une telle affirmation est encore plus valable dans
le champ des sciences sociales où la majorité des
nouveaux universitaires recrutés, s’ils
sont moins jeunes que dans les disciplines scientifiques
comme les mathématiques ou la physique,
possèdent une solide expérience professionnelle
dans un champ de pratiques.
                      L’évolution
des professions elles-mêmes qui s’adossent
sur deux principes : celui de la flexibilité et
celui du projet. Autrement dit, un professionnel
n’exercera pas le même métier à l’identique
toute sa vie. Quand bien même il resterait
dans la même branche, cette dernière évoluera
dans sa forme et dans les demandes sociales qui
lui seront adressées. Il convient donc pour
toute formation de développer ce qu’on
appelle « l’intelligence des situations »,
c’est-à-dire des compétences
transversales que le formé pourra solliciter
dans d’autres situations professionnelles
non encore visibles. Ajoutons à cette dimension
celle, plus indirecte, de conception de l’individu,
détachée des traditions culturelles,
en liaison avec la modernité, dans l’exacerbation
de l’intentionnalité et de la vision
dominante d’un être « qui
se tient de l’intérieur »,
libre, indépendant, se forgeant lui-même
ses propres idées[1] et conséquemment
sa propre vie.
                      Enfin,
la découverte de la démarche métacognitive à propos
de la pratique professionnelle. Cette découverte
s’appuie sur des prédécesseurs
comme Dewey (learning by doing)
ou Lewin (recherche action). Elle met en évidence
la réflexion dans/sur/à propos de
l’action. Les théories de l’action
et la psychologie ont joué un rôle
important dans cette nouvelle conception. Piaget,
plus connu jusque là pour le développement
psychologique des enfants est actuellement sous
les projecteurs dans le domaine de la réflexion,
de la pensée réfléchissante,
du pré réfléchi et, surtout,
de la prise de conscience au niveau des adultes.
Deux auteurs comme Argyris et Schön ont
joué un rôle central en parlant de praticien-réflexif comme
développement de la pratique. Dans ce courant,
ensuite, se sont engouffrés de nombreux
auteurs (Vermersch avec
l’entretien d’explicitation, Altet et Perrenoud avec
l’enseignant réflexif, de Saint Arnaud
sur l’action recherche, etc.). D’autres
se sont appuyés sur ce courant pour lutter
contre l’inégalité de considération
sociale entre les savoirs issus de la pratique
et ceux théoriques (la fameuse coupure entre
théorie pratique contestée par certains
comme Latour) comme
Desroches qui, avec le Collège coopératif
défend une politique de réhabilitation
dans la dignité des savoirs ouvriers ou
des savoirs issus des métiers. La recherche
serait, en quelque sorte, l’outil de mise
en œuvre de cette métacognition, c'est-à-dire
cette interrogation médiatisée des
pratiques verbalisées et analysées
pour une prise de conscience de ce que fait le
praticien et donc de modification de son regard
sur cette pratique, cette modification du regard étant
fortement hypothéquée comme transformatrice
de la pratique et donc d’augmentation de
la performance du praticien. De plus, dans nos
sociétés, la recherche est fortement
investie d’images positives et c’est
donc un moyen de réhabiliter des professions
jusque là peu connues voire peu considérées.
L’unique lieu où se produit la recherche étant
les laboratoires auxquels sont inévitablement
associées les universités reposant
encore sur les représentations de ces dernières
comme temples du savoir dit théorique…
 En
d’autres termes, nous assistons à un
véritable bouleversement de la formation
professionnelle lorsqu’elle s’inscrit
dans un processus de formation continue :
la recherche paraît comme une démarche
indispensable, non pour former des professionnels
de la recherche, mais bien pour développer
cette fameuse métacognition sur la pratique,
métacognition génératrice
de transformations et d’évolutions
professionnelles. Chronologiquement, la formation
initiale a pris le pli de la formation continue
et nous voyons se multiplier dans les programmes
de formation initiale des métiers d’intervention
sur autrui la recherche, avec ses modules, ses
travaux de groupes, le tutorat sous toutes ses
formes.
 Mais,
peut-on raisonnablement penser que la démarche
de recherche est pertinente également pour
la formation professionnelle d’un jeune qui
ne connaît encore rien de l’exercice
de sa future profession et qui est même embué par
les quelques représentations qu’il
peut en avoir ? L’exemple de la formation
initiale des enseignants fera comprendre les mécanismes à l’œuvre
et leurs limites.
  Un
exemple, la formation professionnelle initiale
des enseignants
  Historiquement,
la recherche comme outil de formation professionnelle
pour les enseignants est née en même
temps que la création des Instituts universitaires
de formation des maîtres (IUFM), c'est-à-dire
en septembre 1991. Cette initiative s’appuyait
sur les recommandations du rapport Bancel (1989).
Ce dernier préconisait une formation laissant
plus d’autonomie au formé et lui permettant
de forger lui-même son esprit face à une
profession en complète évolution.
Une formation par imitation ou par imprégnation était
radicalement rejetée au profit d’une
formation où la personne se placerait en
décalage par rapport à la réalité,
refusant les schémas déjà là pour
en construire de nouveaux liés à ses
propres savoirs, eux-mêmes en relation avec
un terrain professionnel mouvant. Parler recherche
de manière diffuse comme un « esprit » qui
soufflerait sur la formation professionnelle des
enseignants paraissait irréaliste. Il a
donc été proposé de condenser
la recherche dans une partie du dispositif de formation,
c'est-à-dire dans ce qu’on a appelé « Le
mémoire professionnel
 » qui
existait déjà dans quelques formations
initiales professionnelles comme celles d’assistantes
sociales ou d’éducateurs (sans que
l’on y fasse référence dans
les textes officiels de l’éducation).
 Les
formateurs placés en IUFM et venant de différentes
institutions antérieures (Ecoles normales
d’instituteurs, Centres pédagogiques
régionaux, Ecoles normales nationales d’apprentissage,
etc.) se sont trouvés confrontés à « cet étrange
objet de formation » (Etienne, 2003)
sans avoir reçu une quelconque formation.
Les textes officiels se sont contentés de
dire ce que ce n’était pas (un compte
rendu de pratique, un rapport de stage, une description,
etc.) sans pour autant aider les formateurs dans
la construction de l’identité de cet
outil de professionnalisation. Alors chacun y est
allé de ses propres références
sur la recherche (ce qu’ont très bien
démontré certains chercheurs qui
constatent une nette différence, par exemple,
entre les mémoires écrits issus des
futurs enseignants de sciences de la vie et de
la terre et ceux de lettres modernes. Les premiers
produisent un mémoire où s’observe
une démarche expérimentaliste avec
comparaison entre classe témoin et classe
expérimentale tandis que les seconds produisent
un mémoire proche du commentaire composé (Nadot,
2001)). Chaque formateur a donc introduit, dans
la mise en place du mémoire, ses propres
expériences et représentations de
la recherche en modulant selon le profil des étudiants
et selon les demandes de l’IUFM de travailler
sur le métier.
 Cependant,
il s’est avéré difficile de
faire travailler le mémoire professionnel
indépendamment des autres dispositifs de
formation professionnelle, comme les modules de
culture générale (par exemple, les
conférences sur la psychologie de l’enfant
et de l’adolescent, sur la violence dans
les sociétés occidentales, sur les
approches de didactique générale,
etc.) et le stage en responsabilité qui
permet au futur enseignant d’apprendre sa
pratique en prenant en responsabilité une
classe d’élèves.
 Ajoutons
que la formation professionnelle des enseignants
se déroule en une seule année scolaire,
juste après le concours de recrutement relativement
académique. Le mémoire doit donc
s’inscrire sur une année et entrer
pour le tiers de l’évaluation finale
de la formation entre la note des modules et celle
du stage. Une polémique est née au
sujet de la valeur à accorder au mémoire.
Fallait-il faire la moyenne des trois notes pour
avoir la moyenne générale ou bien
séparait-on chaque épreuve et auquel
cas le mémoire, n’ayant pas eu la
moyenne, empêchait la validation de la formation ?
Des ordres et contre-ordres sont arrivés
du Ministère prouvant que les querelles
allaient bon train entre ceux qui envisageaient
la formation professionnelle à travers la
recherche et les autres restés sur une idée
plus habituelle du modèle de formation et
disqualifiant le mémoire (à noter
que, pendant toute une période, les jeunes
agrégés ont été dispensés
du mémoire !). En effet, l’idée
que, dans la formation professionnelle initiale,
le mémoire professionnel puisse avoir même
valeur formatrice (attestée par le poids
de la note dans la validation) que le stage était
impensable ! Certains IUFM ont quelque peu
transgressé cet aspect en accordant au stage
seul cette validation. Nous avons là la
preuve du bouleversement que représente
l’arrivée de la recherche dans la
formation professionnelle initiale des enseignants :
c’est une révolution copernicienne !
De plus, les enjeux autour du mémoire vont
bien au-delà de sa seule performance :
né sous une politique de gauche, il devait être
assumé par la droite revenue au pouvoir ;
il s’appuie sur une conception de la formation
loin d’être admise par la majorité des
français. Comme innovation, il a perturbé plus
de systèmes en équilibre fragile
qu’on ne le pense (Cros, 2002).
 Le
mémoire professionnel en formation des enseignants
a maintenant plus de dix ans et il fait toujours
couler autant d’encre (voir notamment le
dernier ouvrage sur le mémoire professionnel : Gonin-Bolot et
Benoît, 2004). Cependant, on peut dégager
des conditions communes de son déroulement, à savoir :
la formation en alternance, l’accompagnement
et le tutorat, la soutenance publique et une production
scripturale métissée. 
  La
formation en alternance
  Comme
nous l’avons dit précédemment,
il est inconcevable que ce genre de recherche se
passe sans avoir un lien avec le terrain de la
pratique. Le futur enseignant est donc placé,
la majorité d’entre eux pour la première
fois, dans des conditions de pratiques quotidiennes
du métier. Il n’est pas seul :
un tuteur/praticien est présent pour le
conseiller, l’épauler. Un formateur
du centre de formation vient le visiter, l’évaluer.
Des regroupements en centre sont aussi prévus
pour parler de ce qui se passe au niveau de cette
pratique (dans beaucoup d’IUFM maintenant
sont installés des groupes d’analyse
de pratiques dont la forme est multiple pour ne
pas dire protéiforme).
 Le
mémoire professionnel part d’une question
de la pratique : soit un obstacle rencontré,
soit une curiosité surgie. Cette question
relève du langage commun et est généraliste
comme : « comment motiver mes élèves à la
lecture ». Cette question, quoique posée
en des termes généralistes, est directement
reliée à la pratique : « c’est
parce que je n’arrive pas à faire
apprendre à lire ce que je considère
comme correctement, les élèves que
j’ai en face de moi actuellement, que je
vais étudier cette question de manière à y
remédier par une pratique différente ».
Au départ, la pratique est première
et à l’arrivée également.
Il n’est pas question de dégager une
théorie nouvelle sur les apprentissages
en lecture mais plutôt de rendre plus efficace
la pratique propre de ce stagiaire qui sera toujours
différente de celle d’un autre stagiaire.
Aucune prétention universaliste n’est à l’œuvre.
Le terrain est donc pris comme point de départ,
point central et point d’arrivée.
Il est omniprésent puisque le stagiaire
y fait référence et s’appuie
sur lui quand il en parle et quand il le découvre
au fur et à mesure du déploiement
de son interrogation.
 Plus
qu’une formation en alternance (centre de
formation/terrain professionnel), c’est la
recherche d’un équilibre entre ce
qui est écrit sur la question que je me
pose dans les livres de pédagogie et de
recherches théoriques et ce qui se passe
dans la classe. Ce va et vient devient parfois
une trahison dans les deux sens : ne pas se
noyer dans les textes de recherches, les théories
et ne pas se noyer dans la pratique. Le tiraillement
est double, l’alternance devient une alternative
qui refuse toute radicalité. Le travail
de professionnalisation se fait sur les représentations
du monde du travail qui se modifient mais aussi
qui s’éloignent du pragmatisme. La
jouissance de compréhension risque de primer
sur l’exécution des tâches professionnelles.
 L’alternance
conçue initialement comme une ressource
devient une gestion impossible, une injonction
paradoxale contraignant le futur enseignant à s’éloigner
de la découverte d’une pratique en
cours d’élaboration pour plonger dans
un univers livresque et méthodologique.
Aucune routine n’est installée que
déjà il faut construire un monde
d’interrogation critique : comment poser
une « bonne » question quand
on a à peine quelques jours d’expérience
professionnelle ? La responsabilité du
terrain envahit le formé sans qu’il
ait les compétences pour le mettre à distance
dans un jeu des possibles innombrables que possède
toute situation. Ces deux dernières remarques
ont été récurrentes dans la
bouche des détracteurs du mémoire.
Cependant, il semble que le dispositif de formation,
incluant le mémoire, qui prend en compte
ces observations et les intègre dans ses
modalités d’accompagnement, peut conduire à une
formation professionnelle inscrite dans une perspective à plus
long terme que l’on pourrait qualifier de
formation tout au long de la vie. Les habitudes
d’interrogation de la pratique s’installent
dès le démarrage de la formation
professionnelle ; et apprendre un processus
de mise à distance, de détour et
d’interrogation développe une structure
psychique en rapport avec cette pratique.
   Du
côté des formateurs
  Les
constats précédents illustrent la
multiplicité des formateurs pour cette professionnalisation
et pour le mémoire professionnel :
le futur enseignant a un animateur d’analyse
de pratiques (dont la résonance au niveau
du mémoire aura lieu à l’évidence
même de la formalisation des pratiques en
majorité autour des difficultés rencontrées),
un conférencier de module (qui change selon
les thèmes mais qui, en tant que chercheur,
fournit les résultats récents de
la recherche et invite à découvrir
quelques ouvrages), un tuteur/praticien dans l’école
dont les compétences relèvent de
l’efficacité de la pratique, un formateur/visiteur
de stage qui évalue de manière formative
et, enfin, un tuteur, choisi en général
pour ses connaissances sur le sujet concernant
le mémoire professionnel du stagiaire. Le
tuteur suit le trajet du stagiaire du début à la
fin du mémoire et tente de l’aider à lier
cet ensemble d’apports et de personnes aux
représentations diverses. Ce fil rouge est
un support autant qu’un guide : ses
compétences de fédérateur
sont sollicitées. L’expérience
montre que le tuteur possède une identité encore
mal définie – selon son statut, sa
formation. Il tâtonne dans l’indécision,
sans peu d’accompagnement pour lui-même.
 Lorsque
des formations de formateurs sont organisées,
la mise en commun consiste à regrouper les
questions et les expériences. Comment articuler
les diverses sources de réflexion et d’apports
de connaissances que reçoit le futur enseignant ?
La question centrale reste de la formation des
formateurs à l’accompagnement à un
processus de recherche qui a pour finalités
la professionnalisation dans un champ professionnel
particulier. Est-ce à dire que les formateurs
doivent être avant tout des praticiens qui
ont eux-mêmes été formés
par la recherche ? L’homomorphie d’une
telle formation est-elle nécessaire ?
Peu de recherches menées jusque là sur
le mémoire professionnel soulèvent
ce point.
 Si
la recherche professionnalisante est
considérée comme particulière,
avec ses composantes, comment former des formateurs
qui auront à accompagner de futurs professionnels ?
Ou doit-on considérer que la richesse des
formateurs dans leur diversité, dans leurs
représentations différentes de la
recherche voire épistémologiquement
opposées, est un atout pour le formé qui
prendra de chacun ce que bon lui semble, sans pour
autant sacrifier à l’autel de l’évaluation
du mémoire extrêmement normative ?
 La
soutenance du mémoire, souvent oubliée
dans les recherches actuelles menées sur
le mémoire professionnel, est un bon révélateur
de cet aspect de professionnalisation car le jury,
composite, fait apparaître les contradictions,
et le rite initiatique qu’elle représente
auprès de pairs dont le questionnement et
les errements sont parfois bien proches voire également
dans les solutions trouvées.
 De
quelle recherche s’agit-il alors ?
 Il
y a maintenant vingt ans que la question de la
recherche, lorsqu’elle intéresse les
praticiens à des fins de formation et de
développement de compétences professionnelles,
est au cœur des débats, sans que l’on
ne sache toutefois la quiddité d’une
telle recherche. Un article, publié par
Jean Marie Barbier (1985) faisait état de
deux grandes façons d’envisager la
recherche : d’une part, une démarche
de recherche classique avec quatre caractéristiques
(transformation de la demande sociale initiale, émission
d’hypothèses, constitution d’informations
et fonction de la démarche de recherche
qui produit les savoirs) ; d’autre part,
une démarche de recherche étroitement
liée à l’action de celui qui
mène la recherche ou qui y participe de
façon indirecte, recherche qui se caractérise
par un processus d’identification de l’objet
sur lequel va porter la recherche, par l’élaboration
d’hypothèses d’action avec constitution
d’informations « congruentes » et
par le produit non de la recherche proprement dite,
mais de son processus qui autorise un changement
possible dans les pratiques de celui qui a mené ou
participé à la recherche. Barbier
concluait par un tableau distinguant les deux types
de recherches, sachant que toute typologie est
caricaturale et imaginant, bien sûr, un continuum
entre ces deux pôles :
                      D’un
côté la démarche de recherche
classique décrite comme encore quelques
personnes n’ayant pas lu les travaux de Latour et Woolgar (1988)
la perçoivent, c'est-à-dire composée
d’étapes linéaires commençant
par la définition très stricte d’un
objet de recherche, des hypothèses de lecture
possible du réel pour finir par la production
de savoirs c'est-à-dire de « confirmation
de l’existence des relations posées
en hypothèses » pour respecter
la notion de scientificité. Bref, une démarche
parfaitement maîtrisée et déterministe.
                     De
l’autre côté, la démarche
de recherche finalisée ou liée à l’action,
aux prises avec un engagement direct dans l’action
de celui qui conduit ou est indirectement concerné par
la recherche et dont la première tâche
sera d’expliciter les objectifs de l’action,
de délimiter, produire et analyser des informations
ayant à voir avec ces objectifs pour, in
fine
, produire de nouvelles représentations « relatives à un
ou plusieurs aspects de la conduite d’une
action de transformation du réel ».
Cette démarche repose sur la notion de rationalité.
Barbier souligne à ce propos que ce deuxième
type de recherche conduit celui qui l’a mené de
manière plus ou moins directe, à changer
ses représentations vis-à-vis du
terrain professionnel. De ce fait, il ne peut plus
agir comme il le faisait avant. Mais est-ce le
propre de la recherche ou toute réflexion
un peu poussée sur son métier ne
peut-elle conduire à de tels effets de changements
des représentations ? Pourquoi la recherche
vient-elle maintenant remplir le tableau des formations
professionnelles jusques et y compris la formation
initiale ?
 Plusieurs
remarques apparaissent à partir de ce tableau
dichotomique :
 Le
premier type de recherche est une reconstruction
fantasmagorique d’une recherche qui n’a
jamais existé. Aucun chercheur n’a
concrètement procédé de cette
façon, c'est-à-dire en ayant
une vision claire, dès le démarrage
de la recherche, de son objet et de ses hypothèses.
Il suffit de lire le témoignage de François
Jacob (1987), dans La statue intérieure pour
s’en persuader. Le chercheur, aussi scientifique
soit-il, tâtonne, opère des retours
en arrière, conjugue avec les réalités
de ses instruments d’observation. Jacob distingue
deux aspects à toute recherche, ce qu’il
appelle une « science de jour » et
une « science de nuit ».
Il écrit (1987, p340) : « La
science de jour met en jeu des raisonnements qui
s’articulent comme des engrenages, des résultats
qui ont la force de certitude. On en admire la
majestueuse ordonnance comme celle d’un tableau
de Vinci ou d’une fugue de Bach… La
science de nuit, au contraire, erre à l’aveugle.
Elle hésite, trébuche, recule, transpire,
se réveille en sursaut. Doutant de tout,
elle se cherche, s’interroge, se reprend
sans cesse. C’est une sorte d’atelier
du possible où s’élabore ce
qui deviendra le matériau de la science.
Où les hypothèses restent sous forme
de pressentiments vagues, de sensations brumeuses.
Où les phénomènes ne sont
encore qu’événements solitaires
sans lien entre eux… Ce qui guide l’esprit
alors, ce n’est pas la logique, c’est
l’instinct, l’intuition… »
 De
plus, les recherches actuelles sont souvent menées
en équipe pluridisciplinaire, les disciplines
telles qu’elles étaient envisagées
il y a encore une dizaine d’années
volant en éclats. La recherche anthropologique
menée par Latour et Woolgar (1988)
attestent des incertitudes et des volte-face que
font les chercheurs des disciplines auréolées
du qualificatif scientifique. On lit ainsi : « L’histoire
des sciences se prête mieux à l’établissement
d’un lien fin entre la pratique des chercheurs
et les objets qu’ils produisent… Au
lieu d’étudier des sciences sanctionnées,
il faut étudier des sciences ouvertes et
incertaines 
» (Latour et Woolgar,
1988, p211). Et de glorifier le bon usage de l’ignorance !
De même de souligner comment se fabrique
un fait qui, de toute façon, subit une détermination
sociale, etc. Et nous pourrions aussi revenir sur
les fameux Thémata de
Durand.
 En
d’autres termes, l’exposition de la
première démarche a une fonction
sociale : dire à ceux qui ne s’inscrivent
pas dans ce paradigme illusoire, qu’ils ne
sont pas de « vrais » chercheurs.
C’est trier le bon grain de l’ivraie.
Barbier (2004) ne s’y trompe pas quand il écrit,
sous forme de dénégation, la chose
suivante : « Qu’on ne
s’y trompe pas : cette distinction entre
deux grandes formes de recherche ne reproduit pas, à proprement
parler, la distinction/hiérarchisation traditionnelle
opérée entre recherche fondamentale
et recherche appliquée
 ».
 Cette
image artificielle de recherche « scientifique » est
le paradis perdu par les chercheurs… De
toute façon, personne ne suit cette démarche :
c’est une construction de l’esprit.
Cette assertion laisse alors un vide : que
serait en vérité (et peu en réalité !)
la recherche ? Nous pensons qu’actuellement
ce schéma a vieilli et qu’il est de
moins en moins montré comme épouvantail :
cependant, il a laissé beaucoup de cicatrices
parmi nombre de chercheurs en sciences humaines à la
veille de la retraite…
 Le
deuxième type de recherche est décrit
en rapport avec le premier. Il ne possède
d’identité qu’en fonction du
modèle fantasmagorique. Il prend en compte
l’action au cœur même de la recherche,
qui plus est l’action humaine. Cette dernière
est l’objet de la recherche et qui dit action
dit auteur de l’action. Les deux sont indissociables.
De plus, cette démarche de recherche prend
pour objet le changement en train de se faire.
Elle inclut celui qui mène la recherche
et celui qui agit, sans présumer du rôle
de chacun. L’époque de cette typologie était à la
recherche action comme recherche menée sur
une action pas forcément conduite par le
chercheur, ce dernier faisant partie du dispositif.
Autrement dit, l’action est vue comme objet
isolable, qui aura des répercussions sur
celui qui agit, soit directement, soit indirectement.
La recherche va engendrer un changement dans l’action
selon des objectifs voulus (finalisation). Ce travail
de recherche réside dans l’explicitation
des objectifs et des enjeux de l’action voulue,
la recherche étant définie comme
engagement du dispositif dans l’action, et
les rôles des acteurs étant souvent
complémentaires (chercheurs et auteurs originels
de l’action).
 Une
recherche où le chercheur et le praticien
sont une même personne en apprentissage dans
les deux univers
 Il
semble que la recherche à des fins de professionnalisation
relève d’un autre ordre de démarche.
En effet, le chercheur n’est pas chercheur
et le praticien n’est pas un expert dans
la pratique (parfois même un novice). Ce
ne sont pas deux identités affirmées
qui s’affrontent ou se conjuguent mais un
même individu qui se regarde apprenant à marcher
tout en marchant avec des lunettes empruntées à la
recherche. Le dispositif dans lequel il est installé joue
un rôle capital. Deux mouvements conjoints
sont à l’œuvre : le développement
d’une professionnalité par confrontation
avec le terrain et l’utilisation d’une
médiation d’apprentissage qui est
la démarche de recherche à partir
du terrain. Ce que vise cette recherche, ce n’est
pas de produire des savoirs théoriques universaux
et globalisants, mais de garder ces savoirs au
niveau de la pratique singulière exercée
par l’apprenant, en lui ouvrant les possibles
d’action pour une même situation. La
démarche est plus importante que la production
de savoirs pour la communauté de chercheurs.
En effet, la composante formatrice de la démarche
de recherche est dans l’ouverture à l’esprit
du praticien de multiples possibilités du
réel selon les interprétations (démarche
herméneutique) à partir de questionnements
qui jaillissent au cours de cette démarche
(heuristique). Le choix pour le praticien s’avère
alors plus large et lui donne une impression de
plus grande liberté par rapport à sa
pratique et l’ouverture à des actions
pertinentes au regard des objectifs de l’action.
 La
recherche requiert un arrêt de la pratique
(d’où la nécessité de
regroupements des futurs professionnels dans les
centres de formation) pour prendre le temps, non
de l’interroger, mais de questionner les
représentations qui ont présidé à cette
pratique représentée dans ses choix
et ses orientations. Cette forme de questionnement
donne à voir les représentations
d’une autre façon et à prendre
de la distance par rapport à ce qu’on
fait dans l’action même. Je donne souvent
un exemple humoristique : celui du barbu !
Un jour, un homme portant une longue barbe depuis
plus de vingt ans est abordé par un autre
homme qui lui pose la question suivante : « quand
vous dormez, Monsieur, votre barbe, vous la placez
au-dessus ou au dessous du drap ? ».
Depuis cette question, l’homme ne dort plus
sereinement et est sans cesse inquiété par
la place de sa barbe qu’il change, ne sachant
plus ce qu’il faisait avant…. Et tâchant
de lui trouver une place convenable… jusqu’à ce
qu’il mène une recherche lui ouvrant
non seulement les possibles mais les sens et les
représentations accordés à chacun
de ces possibles…
 La
démarche de recherche serait ainsi cet aiguillon
qui empêche d’installer les choses
dans l’automaticité tant qu’elles
n’ont pas été envisagées
dans leur pertinence. D’où la nécessité d’installer
cette posture dès la formation initiale
avec un accompagnement sans doute différent
de la formation continue. Une telle attitude interrogative
et soucieuse de s’appuyer sur des données
factuelles ne conduit cependant pas à abandonner
les routines, indispensables dans l’exercice
de tout métier. Sans routine, il ne peut
y avoir complexification de la tâche professionnelle
et vie acceptable pour le praticien.
 Mais
si nous en restions là, d’autres démarches
que la recherche pourraient produire les mêmes
effets d’interrogation sur la pratique :
par exemple, les ateliers d’analyse verbale
des pratiques, même si, comme nous l’avons
dit, leurs référents théoriques
et leurs formes sont multiples. Les objectifs de
ces ateliers sont bien de développer une
attitude réflexive, de mise à distance
et de prise de conscience vis-à-vis de la
pratique. Quelle différence ou plus value
apporte la démarche de recherche ?
 Une
production de savoirs
 La
démarche de recherche professionnelle est
singulière, surtout quand elle se fixe comme
objet un questionnement sur la pratique. En effet,
la recherche consiste à clarifier verbalement
la question posée au terrain avant même
toute description de l’événementiel.
Il n’est pas question de travailler sur du
vécu mais sur du problématique, sur
les obstacles ou les leviers (ou considérés
comme tels par les formés) et à les
passer à la moulinette de leurs implicites.
Pour reprendre l’exemple antérieur,
le formé cherchera pourquoi précisément
il fait porter son attention sur cette question
de lecture par rapport à lui mais aussi
par rapport aux normes de son métier, c'est-à-dire,
ce que serait un élève qui serait
motivé pour la lecture dans la classe précise
qu’il a à gérer durant son
stage. A partir de là, il fera des hypothèses
sur ce qu’il pense comme expliquant l’absence
de motivation pour la lecture de ces élèves.
Parallèlement, il fera des lectures de recherches
sur ce sujet aussi bien sur les plans psychologique,
pédagogique que sociologique. Il découvrira
alors la complexité de l’objet et
ses ramifications. Lors de cette phase, il sera
noyé par cet ensemble gigantesque et prendra
conscience qu’un sujet qui lui paraissait
au départ simple devient en définitive
si complexe qu’il ne sait plus à quel
saint se vouer.
 Le
tuteur intervient dans ce passage pour aider le
formé à choisir parmi ces nombreuses
approches celles qui lui paraissent pertinentes
par rapport au public d’élèves.
Ainsi, l’approche sociologique ou culturelle
pourrait être intéressante si le stagiaire
est dans un collège en zone d’éducation
prioritaire (ZEP). En mêlant intimement observations
et références théoriques,
le stagiaire monte un dispositif méthodologique
rigoureux de prélèvement d’informations
sur son terrain, dispositif qui servira de médiation
entre ses impressions et les données du
terrain. Un décalage apparaît alors
entre ses représentations initiales et les
données, ce qui produit une prise de conscience
et un désir d’aller plus loin dans
l’interrogation de cette question. Des pans
entiers de naïveté tombent et il prend
alors conscience de la multiplicité des
interprétations à propos d’une
seule question pratique sur la motivation des élèves
face à la lecture. A chaque interprétation
est attachée une proposition d’action
possible ; la recherche ouvre cet éventail
en évitant de faire porter la responsabilité d’un
dysfonctionnement sur le sujet lui-même.
C’est la conjugaison d’un faisceau
de critères qui engendre des difficultés
dans le métier et le stagiaire aura appris à se
décentrer par rapport à cela sans
tomber dans l’attitude culpabilisante.
 Ce
type de recherche produit des savoirs d’action,
c'est-à-dire « des énoncés
associés à des représentations
ou systèmes de représentations provisoirement
stabilisés, relatifs à la génération
de séquences actionnelles »
(Barbier,
2004, p23-24). Ces énoncés permettent
alors au formé de jouer sur l’ensemble
de ses représentations pour engendrer des
actions différentes, sans pour autant épuiser
la production de ces énoncés venus
des interprétations, elles-mêmes issues
des résultats de la recherche. A la différence
de l’analyse des pratiques, le formé utilise
comme médiation les outils de la recherche
et, s’il confronte des démarches avec
des pairs, c’est toujours dans la perspective
de travailler une problématique qui le désengage
de la gangue pratico-pratique pour
aller vers les travaux théoriques et retourner
par des prélèvements rigoureux de
données à la production de représentations
nouvelles et nombreuses auprès desquelles
il choisira pour agir et sur lesquelles il pourra
jouer pour une palette d’actions.
 Mais
le médiateur le plus puissant apparaît être
l’écriture à des fins de communication
des résultats de recherche. S’il y
a de nombreuses analyses de pratiques qui n’utilisent
pas l’écriture, la recherche ne peut
exister sans l’écriture. De quoi s’agit-il ?
 Une
communication des résultats de recherche à travers
une écriture « métissée »
 Il
n’y a de recherche que par restitution publique écrite
des résultats de ses travaux. La singularité de
cette écriture, dans la recherche professionnelle,
réside dans la mise en évidence pour
autrui du processus de recherche emprunté par
le formé. Comme nous l’avons déjà dit,
la recherche professionnelle part de la pratique,
prend comme objet la pratique et retourne à la
pratique ; pas La pratique au sens générique,
avec un grand L, mais la pratique de celui qui
a mené la recherche, autrement dit la singularité de
sa pratique qui n’intéresse personne
d’autre puisque par essence elle est particulière !
C’est bien le chemin qu’il a pris qui
intéresse le public lecteur, dans ce qu’il
peut avoir de généralisable et d’empathique.
L’écriture, outil de communication
différée, ne peut s’appuyer
comme l’oral sur des indexations situationnelles
ou des gestes. Soulignons qu’il s’agit
d’une écriture d’un genre particulier,
qui n’est ni descriptive, ni proprement narrative
mais qui doit quand même comporter des éléments
susceptibles de faire comprendre au lecteur sur
quel objet de pratique porte la recherche.
 Cette écriture
comporte des parties d’exposition de la problématique
fortement ancrée dans une réalité particulière,
des parties d’apport théorique éclairant
et enrichissant la clarification de la problématique
en lui donnant un statut plus global, une exposition
des choix des outils méthodologiques et
de leur pertinence en fonction des hypothèses
d’action découlant de la problématique,
un travail à partir des données conduisant à leur
exploitation raisonnée en lien avec la question
de départ, des interprétations possibles
d’une telle situation éclairée
par la théorie et les données jusqu’à la
justification du choix d’une pratique modifiée
voire nouvelle, innovative.
 L’écriture
engage le formé dans ses choix pratiques
et dans leur justification, elle expose celui qui écrit
au regard et au jugement de l’autre et donc
entraîne un travail plus ciblé et
plus d’explicitation, d’argumentation
et de recherche des implicites dans les choix d’orientation
méthodologique et d’action. N’oublions
pas que toute écriture, quelle que soit
sa forme, a une fonction épistémique
qui fait dire à Emmanuel Berl (1992,
p27) : « J’écris
non pas pour dire ce que je pense, mais pour le
savoir ». C'est-à-dire que
l’écriture, dans sa manifestation
concrète, produit, pour l’écrivant,
de la pensée nouvelle, une découverte
de ce qu’il n’avait jusqu’à présent
pas dévoilé, pas vu ; ou tout
simplement l’organisation en traces des mots
appelle des formes de pensée inédites.
Il suffit de s’appuyer sur les expériences
d’OULIPO, association à laquelle
appartenait Georges Pérec,
appelée Ouvroir de littérature potentielle
et qui, par des jeux d’écriture engendrait
des idées nouvelles. L’écriture,
par sa matérialité, a un pouvoir
producteur de pensée pour celui qui lit
et encore plus quand il s’agit du premier
lecteur, c’est-à-dire celui qui vient
d’écrire !
 Autrement
dit, l’écriture des résultats
de cette recherche, souvent moulée dans
ce qu’on appelle un mémoire professionnel
est composite, avec des rythmes différents,
des formes d’expression qui ont des contenus
hétérogènes qui se répondent
et entrent en harmonie. Par exemple, les expositions
plus théoriques prennent sens par rapport à la
pratique questionnée. En elles-mêmes,
elles seraient pure rhétorique ; en
référence au terrain, elles prennent
un sens différent et s’accommodent
avec une méthodologie propre, tenant compte
des contraintes locales et déontologiques
(les élèves ne sont pas des cobayes)
et poussant vers une production de représentations
de la pratique différentes voire multiples
qui ont ensuite à dialoguer pour aboutir à un
choix temporairement unique.
 En
conclusion, si la recherche professionnelle ou
recherche à des fins de professionnalisation,
vit actuellement une montée en puissance,
y compris (et peut-être surtout) dans la
formation professionnelle initiale, c’est
parce qu’elle illustre fortement un autre
paradigme du processus de formation professionnelle,
refusant l’imitation, l’imprégnation
au profit de la construction autonome d’une
pensée interrogative de la pratique. Ce
type de recherche requiert cependant des conditions
particulières différentes de la recherche
menée par et pour des chercheurs. Il constitue
un outil de formation et comme tel, son processus
est plus important que le produit, dans la mesure
où il génère un rapport à la
pratique professionnelle plus fluide, plus à distance.
Il permet la production de représentations
différentes du métier, d’une
ouverture des possibles face à un terrain
vu jusque là comme une fermeture où il
fallait toujours faire de la même façon.
La nouveauté de cet outil ne permet pas
encore de tirer des conclusions sur la réalité même
de ses effets ; seuls les témoignages
de ceux qui sont passés par là permettent
de dire que la recherche professionnelle possède
une potentialité de formation forte. Une
affaire à suivre…
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 Notes [1] Soulignons
qu’il s’agit d’une représentation
majoritaire, certes contestée par des sociologues
comme D. Martucelli (2002).
Cet auteur écrit : « Le
projet d’une société où chaque
individu est tenu de l’intérieur n’a
jamais été, dans la pratique, une
réalité historique » (p.58).  Notice
bibliographique
 

Cros,
Françoise, « Les conditions
d’une professionnalisation par la recherche
en formation initiale », Esprit critique,
Hiver 2006 – Vol.08, No.01, ISSN 1705-1045, consulté sur
Internet: http://www.espritcritique.fr

   

 

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Revue
internationale de sociologie et de sciences sociales Esprit
critique

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