Esprit critique > Hiver 2006






















 

Résumé

 

La problématique d’intégration, de
changement et de socialisation des jeunes d’origine maghrébine en France,
impose-t-elle de prendre en compte les deux systèmes de référence,
famille/école – du fait même de la situation migratoire dans laquelle se
trouve cette population, particulièrement de cet inconscient culturel, ce
noyau dur de la culture maghrébomusulmane. Il
est important de situer les ressources en termes de valeurs culturelles
qui concourent à l’élaboration de leur identité ainsi que de leur
processus de réinterprétation des valeurs parentales. Il ne s’agit
pas d’occulter les poids de l’héritage culturel des parents,
en prenant en considération la seule culture locale ou scolaire des
jeunes, mais de le saisir dans l’histoire individuelle des jeunes
et de la dialectique entre le rôle de la tradition et celui de la
modernité qu’ils vivent quotidiennement. La question de l’identité
et de l’intégration des jeunes issus de l’immigration maghrébine est
souvent posée sous la forme d’une apparente contradiction entre une
demande d’intégration sociale et une revendication d’un droit à la
différence.

 

Mots clefs:

 

identité, éducation religieuse, école, culture
musulmane, jeunes d’origine maghrébine.

 

Introduction

 

Le présent article tente de mettre en évidence
les difficultés d’insertion culturelle et sociale que rencontrent
les jeunes d’origine maghrébine en France. Il présente les
résultats provisoires d’une étude extraite d’une recherche
abordant les questions de l’intégration de cette population munie
d’une autre culture. Il met l’accent sur le rôle de
l’éducation religieuse qui influence la construction de leur
identité sociale, culturelle et religieuse. Influence qui joue,
finalement, un rôle essentiel dans l’intégration ou
l’exclusion de ces nouveaux citoyens de confession musulmane.

 

Ce phénomène de l’intégration des jeunes
d’origine maghrébine en France pose aujourd’hui un vrai
problème dans une société multiculturelle. Lorsque de multiples études
tentent de montrer que les jeunes d’origine maghrébine se
comportent à l’école et en dehors conformément à leur statut
social, la fonction intégrative de l’école républicaine se trouve
ainsi fortement légitimée. D’autres recherches, pourtant, insistent
sur l’émergence de ghettos scolaires et sociaux dans des banlieues
devenues incontrôlables.

 

L’école est souvent présentée comme un
instrument privilégié pour intégrer les jeunes – entre autres
d’origine maghrébine – et en faire des citoyens égaux.
« (…) le formidable espoir qui est mis alors dans
l’école lorsqu’on est un jeune de cité. Elle est perçue, plus
que jamais, comme le seul vecteur possible de l’ascension sociale
et le diplôme comme ce précieux passeport pour atteindre d’autres
rives », (Beaud, 2002).

 

Selon Louis-André
Vallet et Jean-Paul Caille (1996), la discrimination raciale commence au
collège et les élèves étrangers parviennent moins fréquemment que les
Français en quatrième générale sans avoir redoublé la sixième. Après
quatre années de scolarisation dans le secondaire, ils sont généralement
moins nombreux à se voir proposer une orientation en seconde générale ou
en technologie. C’est la conséquence, en grande partie, de leur situation
familiale et du fait qu’ils appartiennent à des milieux défavorisés.
Puisque à situation familiale et sociale égale les élèves étrangers ou
issus de l’immigration réussissent aussi bien que les élèves français,
rajoutent les deux chercheurs. (Voir Gilson, 2001).

 

Pourtant, parler de discrimination raciale dés
le collège est une réalité selon Jean-Paul Payet
(1997). Il a interrogé, écouté, les élèves, leurs parents et les
enseignants de deux établissements de la banlieue lyonnaise. Dans ces
collèges, dès la sixième, les élèves français et ceux issus de
l’immigration ne connaissent pas du tout le même sort. A niveau égal, les
jeunes filles françaises se retrouvent dans des classes de bon niveau,
les filles et plus encore les garçons d’origine maghrébine, eux, peuplent
le plus souvent les classes de lycées d’enseignement professionnel.

 

Les exclusions qui se
développent à l’école ont des effets sur l’identité de ces
jeunes et les poussent sur le chemin d’une marginalisation sociale
durable, en intégrant l’idée qu’ils sont mauvais ; ils
risquent alors plus souvent d’exprimer des identités
oppositionnelles. Et la culture traditionnelle, inculquée par les parents
apparaît clairement ici quand elle entre en relation tumultueuse avec la
culture laïque à l’école ; ceci leur donne encore plus le
sentiment d’être étrangers.

 

Dans ce travail, nous
avons essayé de repérer chez ces jeunes le côté identitaire/culturel.
Quelle est la culture actuelle de ces jeunes ? Qu’en est-il de
la culture maghrebomusulmane ? Il
s’agit de chercher à savoir si la religion est un obstacle à leur
intégration ou au contraire un facteur d’intégration. Au-delà, il
s’agit aussi de chercher à saisir si l’Islam des jeunes est
un Islam culture : où tout se fait plus par tradition que par
conviction, ou un Islam pratique : où le respect des dogmes et des
pratiques relève effectivement de la foi et de la conviction.

 

I – Les familles maghrébines : entre
conflits de génération et stratégie de réussite

 

Les instances de socialisation sont nombreuses,
mais la famille (ici maghrébine) qui constitue le premier espace de
socialisation et d’éducation de l’enfant, est un lieu de
conservation et de transmission des éléments culturels hérités par les
parents. 

 

Ensuite vient l’environnement
social : l’école, le quartier, la communauté… Autant
d’instances de socialisation, de normalisation et
d’intégration à un système culturel particulier au contact
desquelles s’élaborent, progressivement, un schéma de pensée et de
représentations, des modèles d’expression orale et corporelle, des
façons d’appréhender le monde et de s’insérer dans la vie.
Cela détermine le système des catégories d’action, de pensée, de
sensibilité où se disposent et s’organisent les habitudes qui
deviennent des habitus, selon l’expression de Bourdieu (1970).

 

Ainsi se crée et se développe un symbolisme
social global qui permet l’insertion dans l’échange permanent
des significations qui fondent la communication, en permettant à
l’individu de partager les mêmes sanctions, désirs et
représentations que les autres acteurs sociaux.

 

« L’appartenance sociale, économique
et symbolique de la famille, les transformations des systèmes de valeurs
et des modèles d’éducation, les conditions historiques de la
naissance, ne sont pas sans influencer le devenir des individus
qu’il s’agisse de leur mode d’insertion sociale, de
leur trajectoire scolaire ou même de leurs rapports affectifs et
sexuels. », (Bourdieu, 1963).

 

1- la jeunesse
maghrébine de France : de quelle identité s’agit-il ?

 

Jeunes d’origine maghrébine, jeunes
immigrés d’origine maghrébine, jeunes issus de l’immigration,
immigrés, jeunes migrants, jeunes de la deuxième génération, jeunes
immigrés, jeunes étrangers, migrants…

 

Tant des termes utilisés par les chercheurs [1]
et les institutions, il est sans doute légitime de se demander de qui
parle-t-on à chaque fois ?

 

Qui sont-ils ? Combien sont-ils ?
Comment vivent-ils ? Quelles sont leurs relations avec leurs
parents ? Que représente pour eux la culture maghrebomusulmane?
Ces questions -entre autres- ont été posées à notre échantillon afin de
tenter de mieux cerner leur identité, leurs difficultés économiques et
sociales, leur(s) échec(s).

 

Le projet de la
sociologie est plus sérieux, son ambition plus élevée : mettre au
clair le caché. La sociologie sans enquête du terrain reste une simple
théorie philosophique. De notre côté, notre recherche repose sur la
question identitaire chez les jeunes d’origine maghrébine scolarisé à
Aix-en-Provence : une quarantaine des jeunes, filles et garçons de
18 à 25 ans, qui sont nés ou ont grandi en France.

 

A vrai dire,
l’entretien s’est avéré l’instrument indispensable pour
une meilleure compréhension de la vie sociale et humaine de
l’enquêté. Il permet de révéler une connaissance profonde de la vie
matérielle, culturelle et sociopsychologique de
l’individu.

 

2- Présentation des jeunes, de leurs familles
et de leurs convictions et mode de vie

 

Les familles maghrébines sont analysées comme spécifiques
et stigmatisées, ayant des difficultés d’intégration en France.
L’intégration maghrébine est devenue massive au milieu des années
1970, c’est-à-dire au moment de la fermeture des frontières, et
surtout au moment d’une profonde crise urbaine et sociale
française.

 

Simultanément, les rapports sociaux
s’ethnicisent : l’affaiblissement de la classe ouvrière
et du mouvement ouvrier ouvre la voie à une lecture ethnique, et non plus
à une lecture des classes ou des confrontations sociales. L’Etat ouvre
la voie à cette ethnicisation des problèmes à
partir des années 1980 : HLM, Zup, le
racisme… Or, les familles maghrébines, par leur religion et tradition
se prêtent bien à cette ethnicisation :
souvent, elles se protègent de la culture occidentale qui peut apparaître
comme une menace à leurs stabilités familiales.

 

Les familles maghrébines étudiées sont des
familles nombreuses, voire très nombreuses. Aussi, le taux de fécondité
chez les familles dont sont issus les jeunes de notre échantillon est
très élevé : 5,13 enfants par famille. La majorité de ces
familles habitent dans des appartements en HLM, ce qui témoigne bien de
la forte densité des membres de la famille dans ces appartements, à peu
près 5,03 personnes dans chaque famille.

 

Près des deux tiers des parents de ces jeunes
enquêtés sont illettrés, le tiers restant atteint une éducation de base
(école primaire, école coranique). Le taux des femmes illettrées est plus
élevé par rapport à celui des hommes. Tous les pères sont de la classe
ouvrière, et la majorité des femmes sont au foyer. On a ici une
illustration assez pertinente de la situation socioculturelle et
économique des familles maghrébines immigrées.

 

Dans ces familles, la langue parlée est la
langue arabe ou berbère, selon les régions d’émigration: « A
table nous parlons arabe (dialecte algérien) car mes parents parlent très
peu le français » dit un de nos enquêtés. Les parents immigrés
gardent toujours le système traditionnel du pays d’origine et
veulent le transmettre à leurs enfants (cela est d’ailleurs visible
à travers l’équipement de la maison).

 

En ce qui concerne l’éducation promue par
la famille, la transmission des valeurs et des normes traditionnelles est
évidente, et tous les enquêtés ont déclaré avoir eu une éducation
traditionnelle et religieuse : « Mes parents m’ont appris la
langue arabe pour communiquer avec eux et avec ma famille en Algérie, et
depuis que je suis toute petite, ils m’expliquent ce qu’est
la religion islamique », affirme une jeune d’origine
maghrébine.

 

En ce qui concerne le mariage, les familles
maghrébines n’admettent guère la mixité (franco maghrébine), qui
n’est pas simplement un mauvais choix, non conforme aux souhaits et
aux intérêts du groupe familial, ni même un mariage illicite socialement
et religieusement. Il est tout cela, mais plus encore : c’est
l’indice de l’immoralité sexuelle de la femme, selon les
termes de Fenart (1989).

 

La majorité des filles d’origine
maghrébine enquêtées considèrent aussi la virginité comme très
importante, c’est l’honneur de la fille et de la
famille : « La virginité est le plus beau cadeau qu’une
fille puisse offrir à son mari, c’est très important pour moi,
d’autant qu’elle symbolise l’honneur de la fille et de
la famille ».

 

Si, à partir de ces diverses données, nous construisons
une catégorisation des individus de notre enquête, cette catégorie de
filles est la plus pratiquante. Elle se caractérise par des filles qui ne
boivent pas de vin, ne mangent pas de la viande non égorgée selon la
tradition musulmane, légitiment le port du voile comme obligation pour la
fille et refusent aussi le mariage mixte : « Le voile est une
obligation pour la femme musulmane, ce n’est pas facultatif,
j’aimerais le mettre à l’avenir quand je serais femme mariée… »
déclare une jeune qui ajoute « Non, je ne peux pas épouser un
français, c’est un non-musulman, parce
qu’il y aura un problème de religion, de culture, ça ne marchera
pas franchement, et surtout avec les enfants après… ».

 

Une autre catégorie va regrouper des filles
moins pratiquantes : elles croient en Dieu, mais certaines ne
pratiquent que le jeûne. Pour elles, l’Islam c’est croire en
Dieu, et c’est là l’essentiel – sans exigence de faire et de
respecter les cinq piliers de l’Islam : « Je ne fais pas le
jeûne, car il ne faut pas faire les choses par tradition mais par
conviction ». Certaines boivent du vin, mangent de la viande non
coupée selon la tradition musulmane et sont contre le port du voile: «
Chacun fait ce qu’il veut, mais montrer ou cacher une partie de son
corps n’empêche pas d’être imparfait », « Le sexe est
une chose belle en soi et la virginité quand elle est comprise mérite
d’être saluée ». Ces filles déclarent qu’elles sont
françaises d’origine musulmane, au contraire de la première
catégorie où elles se considèrent toujours des maghrébines musulmanes en
premier lieu.

 

Dans l’équivalent garçons de ces
catégorisations, être musulman c’est garder les origines et la
tradition sans que cela n’empêche de profiter de la richesse des
autres cultures : « Ma culture reste et restera une culture arabo-musulmane car mes parents sont algériens
musulmans… nous vivons dans un monde moderne tout en gardant chacun
sa propre culture ».

 

Les parents dont sont issus les jeunes de cet
échantillon, sont tous pratiquants et célèbrent toutes les fêtes
musulmanes. Tous les enquêtés déclarent qu’ils ont eu une éducation
islamique à travers les parents. Ils affirment vouloir éduquer leurs
enfants selon la même éducation reçue des parents pour transmettre la
culture et les valeurs de la religion musulmane. Ils se regroupent sur la
même idée : «Inculquer aux enfants les bases de la religion,
c’est leur assurer un bon chemin dans la vie. »

 

3 – Les relations
intergénérationnelles parents/enfants [2]

 

On peut comprendre les transformations des modèles
éducatifs dans les rapports parents/enfants, si l’on considère que
le projet migratoire des parents est fondé sur le désir d’ascension
sociale et économique. Ainsi, il sera possible d’approcher les
différents facteurs socioculturels qui concourent à l’élaboration
de l’identité sociale et culturelle de ces jeunes d’origine
maghrébine. On saisira aussi les cohérences, les incohérences et les
situations qui sont à l’origine des conflits et des compromis entre
l’identité acquise grâce à la scolarisation et celle qui est
déterminée par le contact avec la culture parentale.

 

C’est avant tout dans le rapport avec les
parents que l’individu va intérioriser les traits culturels
constitutifs de cette symbolique sociale qui ouvre la voie de la
sociabilité. Ainsi, l’appartenance à un ordre social, à un système
de référence particulier, du fait même d’une socialisation
familiale spécifique, apparaît-elle ensuite dans les comportements et les
conduites. Au sein d’une même culture, les acteurs sociaux
disposent d’un registre d’éléments culturels communs qui
traduit la spécificité de leur rapport au monde. Intériorisé, il devient
l’axe d’orientation de l’individu dans la société, dans
sa manière de découper, d’analyser et de comprendre la réalité
sociale. Il constitue la culture primaire, le tissu de son existence.

 

Les jeunes issus de la migration sont
confrontés à une double fêlure dans les relations obligatoires du
narcissisme primaire. Non seulement le cadre sur lequel
s’appuyaient leurs parents vacille mais aussi leur propre cadre est
dédoublé. Ils sont introduits à un univers aussi riche
qu’angoissant. Certes, tout devient possible mais rien n’est
stable. La maîtrise rapide d’un univers dédoublé dans ses règles de
fonctionnement leur donne une illusion d’indépendance vis-à-vis des
règles communes. La frontière entre conscient et inconscient est
remplacée par une frontière culturelle matérialisée par le seuil de la
maison familiale. De surcroît, ces jeunes sont soumis à des injonctions
paradoxales et contradictoires de la part de leurs parents :
« Intègre-toi, mais reste arabe, va à l’école mais ne sois pas
comme eux » cite A. Akkari (2001).

 

Dans le cas de la migration maghrébine, les
difficultés des jeunes et des parents entrent en résonance, crise
d’adolescence et crise parentale risquent de s’amplifier
réciproquement. La migration est une rupture de filiation, une rupture
avec le cadre culturel interne, et les jeunes qui en sont issus
traversent souvent des épisodes critiques liés aux problématiques parentales.
Il n’est guère possible pour les jeunes d’origine maghrébine
d’aborder la question des origines sans (la possibilité de nommer)
la migration des parents.

 

Tous nos interlocuteurs affirment avoir de
bonnes relations avec leurs parents. Il convient cependant de prendre en
considération que:

 

        
La
transmission de la religion et les valeurs traditionnelles n’est
pas identique dans toutes les familles immigrées maghrébines.

        
Il
y a des différences de ″traitement″
selon que l’enfant/le jeune est une fille ou un garçon.

 

Dans le cas des jeunes non pratiquants, les
parents n’interviennent pas pour influencer le choix des jeunes,
concernant par exemple le vestimentaire, les sorties, les amis…
Mais ils interdisent aux filles de passer la nuit chez des amis ou de
recevoir des amis de sexe opposé à la maison.

 

Les filles pratiquantes ne sont pas autorisées
à aller coucher chez des amis ou même chez des amies que la famille ne
connaît pas. Les parents interviennent, aussi, pour influencer tous les
choix concernant le comportement vestimentaire et les sorties. Ces
dernières sont plus surveillées que pour les premières, mais ces
dernières sont aussi convaincues du bien fondé de cette éducation.
Presque autant que l’éducation reçue par leurs parents, le
comportement dépend aussi de la situation économique et culturelle et du
nombre d’enfants dans la famille.

 

Tous les interlocuteurs garçons, déclarent
qu’ils ont toute liberté pour s’habiller comme ils le
souhaitent, pour sortir, et pour recevoir ou aller dormir chez des amis
de même sexe, ce qui explique bien les variations de comportement
parental entre les garçons et les filles au sein de la famille maghrébine
migrante.

 

Reste que, dans tous les cas, le père est la
personne sacrée et respectée par tous les membres de la famille.

 

Dans cette culture de l’éternel masculin,
devenir père, c’est avant tout être sacralisé au regard de
l’Islam. A travers cette confirmation de sa virilité, l’homme
musulman-maghrébin va trouver l’occasion
de transmettre l’éducation (Tarbya) et de
régner sans partage, sur le devenir de sa famille.

 

Dans l’éducation musulmane, les enfants
demeurent tête basse et silencieuse, dans une attitude d’humble
soumission devant leur père, alors même qu’ils se montrent souvent
arrogants à l’égard de leurs camarades et indisciplinés à
l’extérieur. Donc, de part et d’autre de l’acte
autoritaire, il y a un contrat moral basé sur une réciproque
reconnaissance ; le père est un bon père puisqu’il fait acte
d’autorité, le fils est un bon fils puisqu’il se soumet.

 

Reconnaissant de sa paternité dans cette
culture de l’éternel des hommes, le père, personnage lointain
durant la petite enfance, va devenir pour l’enfant maghrébin vers
sa septième année, plus qu’une référence familiale, un être d’autorité
morale, un repère de la loi, qui va le prendre en main pour le confronter
à la société des hommes. « Dans le sens commun, la figure du père se
confond avec celle d’un homme farouchement pieux. Piété religieuse
mais plus encore crispation culturelle, fondent un rapport sacré aux
origines », (Guénif, 2000).

 

Cet intérêt de l’homme musulman pour
l’éducation des garçons s’explique par le caractère
patrilinéaire de la famille maghrébine, surtout par la légitimité
d’un droit coranique mettant en avant cette notion d’éternel
masculin. Il existe donc un niveau de culture sous-jacent caché et très
structuré et un ensemble de règles de comportements et de pensées
implicites, qui contrôlent tout ce qui est fait. La langue, les habitudes
et la religion jouent un rôle fondamental dans l’affirmation et la
structuration symbolique de l’identité de l’individu.

 

Toutefois, ces modèles initiaux de
socialisation ne sont pas donnés une fois pour toute, ils peuvent faire
l’objet de réinterprétations diverses ou entrer en contradiction
les uns avec les autres (Hassini, 1997).

 

C’est le cas de tout enfant issu de
l’immigration maghrébine, dont la socialisation oscille entre deux
systèmes de références et de valeurs. Le système d’éducation
parentale qui, le plus souvent, appartient à un autre espace-temps,
diffuse des valeurs éducatives basées sur le principe de la
différenciation des identités selon le sexe. Il en découle des rôles et
des statuts socioculturels bien distincts. Mais en situation
d’immigration, ce système éducatif est décontextualisé.
Il se heurte au système de référence de la société globale dans laquelle
s’installe la famille (en l’occurrence ici, en France). En
particulier, l’institution scolaire transmet des valeurs
différentes : l’indifférenciation sexuelle, la réussite
sociale par le mérite et l’acquisition de diplômes.

 

Elle constitue, donc, un espace où se transmet
une culture homogénéisante au nom de valeurs égalitaires et
républicaines ; qui sont incompatibles avec la culture et les
valeurs transmises traditionnellement au sein de la famille maghrébine.

 

II – Des enfants de l’immigration aux
publics difficiles

 

L’école, une solution miracle pour
intégrer les jeunes d’origine maghrébine ou, à l’inverse,
lieu de l’exclusion par l’échec ?

 

De « immigré » à « publics
difficiles » et « intégration », langage, politiques,
situations sociales, tout a changé. Un seuil a été franchi au cours des
années 1980, quand les enfants du regroupement familial sont devenus des
français, des résidents ou des parents à leur tour. Il ne s’agit
plus désormais d’accueillir, de dispenser un enseignement spécial à
des élèves ayant des besoins spéciaux. Il s’agit nécessairement, au
travers des politiques scolaires comme en d’autres domaines, de
faire prévaloir l’égalité et de promouvoir la commune appartenance.

 

Pourtant, la fin de l’immigration
saisonnière et l’existence des jeunes français d’origine
maghrébine n’ont pas supprimé la différenciation des individus sur
la base de leur appartenance ethnique.

 

En général, les jeunes d’origine
maghrébine ont beaucoup plus de difficultés à l’école, problème
linguistique en premier lieu, car tous les sujets enquêtés sont issus des
parents analphabètes.

 

Les jeunes qui arrivent à atteindre leur
baccalauréat sont moins nombreux que la moyenne nationale française.
Selon Gardou et Pieurreuse
(1989), on compte 35% d’enfants de migrants en 3ème, contre 45%
d’élèves français, 25% d’enfants de migrants préparent un CAP
(Certificat d’aptitude professionnelle) contre 15% de français,
7,1% d’enfants de migrants repartent à l’étranger ou vers
d’autres formations. On peut lire aussi que 60 jeunes français sur
100 entrent au lycée, 64 jeunes étrangers sur 100 n’y accèdent pas,
moins de 5% des enfants de migrants atteindrent le baccalauréat.

 

S’il convient ici de parler d’échec,
cet échec est dû aux nombreux problèmes vécus par cette jeunesse, au sein
de l’institution scolaire ou familiale : « Apprendre
nécessite une volonté que tous ne sont pas prêts à faire ou trouver
l’aide nécessaire lorsque les parents ne comprennent pas le
français », « …oui, car l’école est complètement
opposée avec le milieu familial, c’est le choc culturel »,
affirme un jeune d’origine maghrébine.

 

1– Rôle du capital économique, culturel et
linguistique

 

La dimension de l’origine parentale
chargée de valeurs et de symbolisme éloigné de ceux de la société
française et, surtout, de ceux de l’école, trouve encore sa raison
d’être dans la détermination de l’échec scolaire.

 

Les jeunes issus de l’immigration
maghrébine sont sur-representés parmi les exclus
scolaires et ils y sont donc particulièrement visibles. Peu
d’études nous informent sur le nombre des jeunes maghrébins avant
et après le baccalauréat durant ces dernières années, aussi, il est
difficile de connaître leur taux de réussite. Gardou
et Pieurreuse signalaient en 1989 que seulement
5% des jeunes maghrébins atteignent la classe de terminale.

 

Dans les années 1980, un certain nombre
d’enseignants ont tenté de développer une pédagogie
multiculturelle. La différence culturelle se trouvait ainsi prise en
compte explicitement dans l’univers scolaire. Cependant, derrière
le droit à la différence annoncé explicitement, continuait à fonctionner
la référence à la norme qui restait idéologiquement prégnante. La
différence culturelle était ainsi interprétée à la fois comme richesse et
comme handicap pour les jeunes, les deux significations venant se fondre
dans la notion de jeune biculturel.

 

Il est certes légitime de prendre en compte les
différences culturelles pour expliquer les différences de réussite
scolaire entre jeunes. Mais encore faut-il ne pas se tromper de culture.
La culture de ces jeunes n’est pas une culture
d’origine ; celle-ci, pour la grande majorité d’entre
eux, ne survit qu’à travers des habitudes alimentaires et des
pratiques quotidiennes éparses, non coordonnées dans un ensemble
symbolique faisant sens. Leur culture est une culture artificielle qui
n’est ni d’origine, comme celle de leurs parents, ni celle de
la société d’accueil.

 

Cela ne veut pas dire que leur origine est
culturellement, scolairement et socialement insignifiante. Mais,
d’une part, elle agit moins à travers un ensemble de compétences
linguistiques et de codes culturels spécifiques qu’à travers un
rapport à la vie, à l’école, à l’avenir… D’autre
part, elle fonctionne comme appui autant que comme obstacle.

 

Ferrol (1992) montre que des chercheurs
ethnographes britanniques de l’école ont bien décrit ce processus
de construction d’une sous-culture
d’opposition, en réponse aux mécanismes de différenciation et de
polarisation que le système scolaire met en œuvre. Ceux qui ont été
dévalorisés par l’école, la dévalorisent en retour et opposent
leurs normes de groupes aux normes scolaires. Or, ces jeunes
d’origine maghrébine, généralement, vivent dans des quartiers à
forte composante ethnique et se retrouvent dans des classes où les
enfants issus de l’immigration sont majoritaires. Il n’est
pas étonnant, dans ces conditions, que la sous-culture
ainsi construite présente une dimension ethnique affirmée. Mais il faut
bien comprendre que cette ethnicisation est une
des conséquences de l’échec scolaire, et non une de ses causes.

 

2 – Rôle stratégique des familles 

 

« Parmi les enfants d’ouvriers,
seuls réussissent dans leurs études, ceux dont les parents avaient dès le
départ, formé un projet ambitieux et cohérent, ceux en somme qui, à
l’instar des cadres supérieurs, considèrent la scolarité comme un
investissement » (Establet, 1987).

 

Selon ce même chercheur, pour ces enfants
d’ouvriers, la scolarité n’a pas une rentabilité évidente ;
réussir, ce n’est pas réussir forcément sur tous les tableaux,
échouer à l’école ce n’est pas nécessairement tout perdre.

 

Dans les familles maghrébines migrantes,
réussir l’immigration, c’est rendre possible le projet
d’ascension sociale par la réussite scolaire des enfants. Celle-ci
apparaît comme le lieu d’exemple à suivre et d’apprentissage
de l’effort : un certain équilibre y règne. Les parents
insistent sur la nécessité d’effort visant moins à assurer
l’adaptation à un mode établi qu’à réussir dans la société
d’accueil. Ils montrent à leurs enfants les efforts
qu’eux-mêmes ont entrepris dans ce sens dans leur passé. Ils
développent des pratiques sociales permettant une adaptation
instrumentale à la société française.

 

En dépit de multiples difficultés – parents
avec peu de capital culturel et scolaire, famille nombreuse, statut
socio-économique défavorisé -, certaines familles maghrébines mettent en
place de véritables stratégies de réussite scolaire pour leurs enfants.
Mais le milieu social reste un déterminant important du cursus scolaire.
Il rend compte des résultats, des performances et de la trajectoire
scolaire de l’élève.

 

Cette logique de l’école montre que les
élèves français de souche sont plus proches de la culture scolaire que
les enfants de migrant. L’école tente d’accréditer la thèse
selon laquelle l’échec scolaire des jeunes d’origine
maghrébine est dû pour l’essentiel à des facteurs externes :
la famille et son origine étrangère. En fait, tout se passe comme si
l’institution réinterprétait à son profit quelques aspects de la
théorie de la reproduction, qui voit dans le capital linguistique un des
instruments indispensables à la réussite scolaire. « L’inégale
distribution entre les différentes classes sociales du capital linguistique
scolairement rentable constitue une des médiations les mieux cachées par
lesquelles s’instaure la relation entre l’origine sociale et
la réussite scolaire…» (Bourdieu, 1970).

 

3 – Nature et type de difficultés
scolaires chez les jeunes maghrébins

 

Pour expliquer l’échec scolaire chez une
partie des jeunes issus de l’immigration maghrébine, on a souvent
recours à deux thèses opposées. La première met en avant le handicap
culturel et linguistique de ces jeunes. La seconde insiste sur la
sélectivité du système scolaire à l’égard des étrangers ou des
minorités ethniques. En dépit de leurs divergences, ces deux cadres
interprétatifs ont en commun de ne s’intéresser qu’aux
macrostructures en présence : le milieu socio-ethnique
pour le premier, l’appareil d’enseignement pour le deuxième.

 

Les difficultés scolaires sont une réalité dans
le processus scolaire des jeunes d’origine maghrébine qui aboutit
parfois à l’échec. Ces difficultés commencent par la mauvaise
adaptation des jeunes à l’école qui diffère totalement de la
culture traditionnelle transmise au sein de la famille : « Cela
dépend des professeurs, certains aident les élèves en difficulté, mais la
plupart laisse tomber les élèves en difficulté et les isolent »,
selon une jeune étudiante. Ces jeunes, en majorité s’orientent
alors vers les LEP (Lycée d’enseignement professionnel). Ces
derniers accueillent aujourd’hui les jeunes exclus,
« aristocratie ouvrière » des filières que les élèves appellent
normales; l’entrée dans ces établissements est définie
d’abord par l’échec et le choix contraint.

 

Dans les faits, l’école applique
inégalement le système méritocratique. Elle ne juge pas les enfants de
migrants selon les mêmes critères et selon le même système, surtout au
moment de l’orientation scolaire. Le critère dominant dans
l’orientation d’un élève français et le jugement sur
l’intelligence, est lui-même très fortement corrélé à la
performance, alors que celui porté fréquemment sur les élèves
d’origine maghrébine fait référence au jugement sur le travail.

 

Aussi, plus les jeunes d’origine
maghrébine sont en interaction positive avec l’espace culturel et
symbolique de l’école, plus leur chance de réussite scolaire
augmente. Inversement, une faible relation avec l’institution peut
engendrer des situations d’échec : la discontinuité entre les
deux espaces provoque l’inadaptation et la marginalisation sociale
et scolaire.

 

Tribalat (1995) a montré, en se fondant essentiellement
sur les jeunes d’origine algérienne en France, que leur réussite
est moins bonne que la moyenne française : les jeunes
d’origine algérienne comptent plus de non-diplômés
que la moyenne française, et une petite moitié dispose d’un diplôme
technique. Moins d’un quart ont eu leur baccalauréat contre 36 %
des garçons et 44 % des filles en moyenne en France.

 

Cet échec scolaire, lié le plus souvent à une non-maîtrise du français et du capital culturel,
rejette des jeunes à la rue, des jeunes sans perspectives d’avenir
qui ne trouvent comme moyen d’expression que la violence ou la
religion pour chercher leur vraie identité.

 

Un part de cet échec vient du modèle
républicain d’assimilation : on désigne « bon » tous
ceux qui ont réussi une bonne intégration sociale par la famille,
l’école et le travail, ceux qui sont en rupture avec leurs racines
pour exister socialement. Et « mauvais », ceux qui gardent leur
tradition, leur appartenance religieuse et leurs coutumes, ceux, selon ce
modèle, qui sont en mal adaptation à défaut de ces critères ou encore
ceux qui se rebellent pour vivre avec leur différence.

 

4 – Comment l’école peut-elle
intégrer ces jeunes ?

 

« On peut d’autant moins le penser
que les enfants étrangers ont dans l’école les mêmes comportements
et obtiennent les mêmes résultats que les enfants français appartenant
aux même milieux sociaux. Si l’on compare les résultats scolaires
de l’ensemble des enfants étrangers à l’ensemble des enfants
français, les premiers connaissent un échec scolaire supérieur, quel que
soit l’indicateur retenu », (Schnapper,
1991).

 

Mais quel regard portent nos jeunes
d’origine maghrébine sur l’école et
l’intégration ?

 

Pour la plupart d’entre eux, ils sont nés
ou ont été élevés en France, dans des bidonvilles, des cités de transit,
des HLM. Leurs parents, venus du Maghreb, étaient analphabètes. Pendant
toute leur enfance, ils ont fait leurs devoirs scolaires sur la table de
la cuisine dans des appartements surpeuplés. Ils ont pris de plein fouet
la crise et le chômage, ils ont assisté à la montée de l’Islamisme
et à celle des discours lepénistes. Pour cela, ils ont souvent le
sentiment d’être des miraculés.

 

Cependant, ils sont sévères vis-à-vis de
l’école républicaine, considérée comme le « creuset de
l’intégration » : « J’étais brillante tous mes
années scolaires, malgré ça, ils m’ont orienté vers le LEP, je ne
sais pas pourquoi, nous les jeunes maghrébins, comme si nous étions tous
destinés à avoir des diplômes inférieurs. Après, mon père a réclamé et
j’ai passé un bac normal, et j’ai eu de bonnes notes, mais
mon père voulait que je fasse mes études à l’IUT (Institut
universitaire technologique). Même à l’IUT, dès la rentrée, le prof
a lu la liste des noms, on n’est pas beaucoup en classe, et elle
m’a demandé si je parlais bien le français, tu sais pourquoi, parce
que mon nom est de consonance arabe ».

 

Ces jeunes ont avoué leur souffrance à
l’école à cause des difficultés linguistiques, culturelles :
«Les professeurs n’aident pas les élèves en difficulté, ils sont
souvent mis au fond de la classe et ignorés par les professeurs ». Ces
jeunes élèves redoublent plus fréquemment l’école primaire, mais le
redoublement n’a peut-être pas sur leur carrière scolaire
ultérieure, la valeur prédictive qu’on lui connaît chez les autres
élèves : il n’est pas associé statistiquement à plus de
difficultés dans le second degré, ni à une moindre chance d’avoir
le baccalauréat. A l’inverse, une absence de redoublement
n’est pas forcement associée à une réussite de la scolarité
secondaire.

 

Leur échec est expliqué par la mauvaise
adaptation spatiale, temporelle, culturelle, voire pédagogique. Il
s’agit d’une référence directe à la dialectique famille/école
ou à leur appartenance à une communauté étrangère. Concernant leur
comportement à l’école, une même réponse est récurrente chez tous
ces jeunes enquêtés : «Oui, on se regroupe, parce que les
français nous considèrent différents, c’est pourquoi on reste
ensemble, on partage la même culture, on habite la même cité et on se
comprend entre nous ». Selon les témoignages recueillis auprès de
nos enquêtés, il semble que la culture des parents influence même au sein
de l’école, ce qui pousse les jeunes à se regrouper. On peut parler
là d’un groupe qui se constitue par une double culture et une
double appartenance.

 

Il apparaît également pour ces jeunes
maghrébins en France qu’il existe deux types de crise qui façonnent
et modulent leur identité. La première est la crise de
l’adolescence, phase universelle dans le cycle de vie des
individus, et ce qui est spécifique aux jeunes maghrébins, une crise
relative au choix culturel lié à la situation migratoire des parents.
Consécutivement, les deux crises ont des effets importants sur le
déroulement scolaire des enfants de migrants et se traduisent par une
mauvaise adaptation scolaire. Dans leur tentative de compréhension de l’univers
qui les entoure, ils éprouvent parfois des difficultés à faire la
synthèse culturelle qui leur permet de construire une relation continue
et équilibrée entre l’école et la famille.

 

L’absence d’une relation tangible
entre les deux espaces se traduit chez ces jeunes par une difficulté à
structurer leur identité et à réconcilier leurs désirs. Elle provoque des
conflits psychiques et finit parfois par engendrer un blocage culturel et
social, conduisant souvent, au niveau scolaire, à des redoublements. Cela
est confirmé par l’enquête : la majorité des jeunes maghrébins
de notre échantillon a redoublé au moins une fois dans sa scolarités
(seulement 10% n’ont jamais redoublé), et plus des deux tiers
déclarent qu’ils n’ont pas envie de continuer leurs études.
Ces échecs (redoublement et abandon) sont essentiellement dus à un manque
de confiance en soi, fruit de ces manques de performance et d’une
inadéquation au système scolaire.

 

Ces notions de continuité ou discontinuité trouvent
leurs sources dans les tentatives d’explication des différences de
performances scolaires entre les élèves français et les enfants
d’origine maghrébine. Il s’agit principalement d’un
processus de classement des connaissances scolaires et extra-scolaires des modèles et des schémas de pensée
des enfants de migrants. L’inadaptation scolaire des enfants de
migrants provient essentiellement d’une difficulté à déchiffrer et
réinterpréter les nouveaux codes culturels sur lesquels se base l’institution
pour transmettre et inculquer son savoir et sa culture savante.

 

En France, après une phase assimilationniste où
la question des enfants étrangers à l’école était peu prise en
compte en tant que telle, l’accent a été mis sur les langues et
cultures d’origines. La décennie 1980 a été marquée par
l’apparition de mots nouveaux : l’interculturel, les
discriminations positives. Tournant difficile pour un pays où le droit
des minorités n’est pas toujours reconnu, où seules peuvent être
prises en compte les inégalités socioculturelles et où le modèle
d’intégration scolaire est surtout individuel. Quelques affaires
aussi font évoluer les positions : ainsi, en 1987, le débat sur la
réforme du code de la nationalité, où beaucoup des jeunes issus de
l’immigration maghrébine ont montré que leur allégeance se fondait
en grande partie sur la socialisation par l’école. De même,
l’affaire des foulards, en 1989, a relancé le débat sur une laïcité
à remettre au goût du jour et sur les réponses à fournir à l’Islam
dans l’école. Les années 1990, semblent marquer un autre tournant,
celui du choix de l’intégration et de la mise en question du droit
à la différence.

 

Dans la majorité des cas, le voile exprime une
volonté d’intégration de jeunes filles qui ne trouvent pas
d’autre moyen de négocier et d’apprivoiser la distance entre
la communauté de leurs parents et la société française ; c’est
une volonté d’intégration sans assimilation, une aspiration à être
française et musulmane. C’est enfin l’expression d’un
recouvrement de leur dignité en réaction à la xénophobie des autres.

 

Il est vrai qu’il était demandé à
l’école, non pas de faire triompher la raison et les programmes
scolaires, mais de créer l’esprit de liberté et de responsabilité à
partir de l’expérience vécue, de transmettre des connaissances mais
pas d’ignorer les histoires de vie. Pour cela, elle doit cesser
d’opposer théoriquement intégration et différence, universalité et
particularité, car aucun n’a le droit de s’identifier à ce
que d’autres devraient apprendre, comme si aucun n’était
chargé d’une histoire particulière. L’exclusion et donc la
déscolarisation de ces jeunes filles pose un problème majeur relativement
à ce qu’est et doit être une école républicaine, où
l’éducation est offerte à tous.

 

A l’issue de cette enquête, nous
questionnons le modèle d’intégration français : peut-il
continuer à intégrer en assimilant ou doit-il accepter un certain écart
entre l’assimilation et l’intégration ?

 

III – Les jeunes d’origine
maghrébine et le changement social et culturel dans la société
d’accueil

 

Les barrières qui séparent parents et enfants à
cause du nouveau milieu ne font qu’accentuer les problèmes
d’adaptation vis-à-vis de la société d’accueil. Les enfants,
peu à peu, soulèvent les différences culturelles entre leur vie familiale
et leur vie scolaire : des différences qui, à toute première vue,
paraissent contradictoires. Dépourvus de moyens pour soutenir leurs
enfants dans leur apprentissage scolaire, les parents immigrés se sentent
impuissants.

 

Certains pensent qu’il s’agit là
d’un bricolage interculturel, en utilisant le terme de G. Vinsonneau (1996) ou en d’autres termes,
d’un produit syncrétique de deux cultures procédant de valeurs et
d’univers mentaux différents tant aux plans historique que
religieux.

 

Certes, les jeunes en question sont créateurs
de culture en ce sens qu’ils puisent dans leur double source
culturelle des éléments qu’ils réinterprètent, car toutes les
cultures sont dynamiques.

 

Depuis vingt ans, tous les ministères de
l’Intérieur ont analysé les problèmes des banlieues sous
l’angle exclusivement sécuritaire, sans jamais se demander
d’où vient la violence, l’insécurité et les incivilisés. Le fond du problème est plus sûrement
que cette jeunesse issue de l’immigration maghrébine se sent
reléguée, ignorée, rejetée.

 

Entre le modèle républicain
d’ « intégration » et l’exclusion sociale et
scolaire des jeunes, leur identité se perd, ce qui peut les amener à
chercher leur identité d’origine dans la religion. Tous les jeunes
de notre enquête se souviennent d’une enfance comme les autres
enfants français, mais à partir du collège et lycée commencent les
difficultés identitaires :« j’étais une élève au collège, au
moment de la guerre du Golfe, ça la politique ne m’intéressait pas,
mais un jour un élève français m’a dit : c’est à cause
de vous, les Arabes, qu’il y a la guerre, c’est ce
qu’il écoutait peut-être chez lui, c’est la première fois que
j’ai senti que je n’étais pas française ».

 

C’est sans doute au collège et au lycée
que commence l’ethnicisation de ces
jeunes et leur marginalisation : « c’est au lycée,
qu’on commence à connaître notre vraie identité, c’est là où
j’avais des difficultés pour comprendre certains mots, au contraire
des autres élèves français ; oui, au lycée j’ai très bien
compris que j’étais différente des français, je suis
étrangère ». Ce processus de marginalisation du système scolaire qui
n’arrive pas à intégrer les élèves en difficulté, donne naissance à
une identité oppositionnelle parfois agressive envers l’école et
les enseignants.

 

Si les jeunes d’origine maghrébine font
l’expérience de la discrimination, tous, cependant, ne la
définissent pas raciste. La variation individuelle des descriptions passe
par la diversité des situations évoquées, plus exactement de celle des
modes d’auto-définition des sujets à
celle des rôles sociaux représentés.

 

1 – Changement dans les normes
traditionnelles

 

« La situation d’émigration, en
réduisant la vie sociale extérieure à la famille, renforce les liens qui unissent
la mère aux enfants, dans un pays étranger, donc menaçant,
l’intensité renouvelée des relations entre la mère et les enfants
conduit celle-là à transmettre un ensemble de normes explicitées sous
formes de jugement moral et de rappel à l’ordre plus aux moins
énergique. L’Islam fournit éventuellement un système
d’explication et de justification à la transmission de normes de
comportement conforme à la société d’origine. » (Schnapper, 1991).

 

Dans la communauté maghrébomusulmane,
l’Islam est un élément de base de la personnalité. Le Coran et le
Hadith (Sunna) constituent l’invariant par excellence. Le contenu
est perçu à la fois comme message éternel et en même temps comme idéal de
vie. Se conformer à leurs règles et lois est impératif pour tout individu.
Généralement, le système culturel maghrébomusulman
est centré autour de cette triple exigence : « Identifier,
analyser, comprendre la tradition ».

 

Ainsi la relation tradition / modernité ou
l’innovation peut être la source de tension dans une situation de
crise. Cette tradition traduit généralement l’ensemble des
pratiques, des comportements, des attitudes et des croyances ou des
représentations fondées sur des valeurs, règles et des préceptes que
diffuse la religion islamique.

 

On peut penser que la dialectique de la
tradition et de la modernité détermine le rapport qu’entretient le
migrant avec son identité culturelle d’origine et le choix des
modèles éducatifs. Aussi, avant d’aborder en pratique le changement
social et culturel, est-il nécessaire de comprendre non pas
l’ensemble des mécanismes constitutifs de l’ordre social maghrébomusulman mais les traits qui constituent les
rapports entre les sexes. Dans l’Islam, les derniers sont en
opposition, alors que, sur bien des points, l’évolution de la société
française tend à affaiblir la différenciation entre les sexes.

 

La problématique du changement social et de
l’accès à la modernité par l’innovation est un processus
caractéristique de cette communauté en général et de l’individu en
particulier. Il existe deux tendances : l’une rigoriste et
fidèle à la tradition, l’autre plus modérée, qui accepte plus ou
moins l’intégration de l’innovation dans la tradition.

 

La première tendance, répertoriée dans
l’enquête, est celle des jeunes croyants et pratiquants, qui
gardent les traditions transmises par les parents, et toujours liées au
pays d’origine : « Ma culture est islamique, car je suis
musulmane, même si je suis née en France, je suivrai toujours mes
origines », « Ma culture n’a pas changé et je pense ne changera
jamais : c’est être musulmane ». Cette catégorie des
jeunes est plus fidèle à la tradition et aux coutumes des parents.

 

Au contraire, l’autre catégorie a déjà
accepté l’innovation et la modernité : ce sont des jeunes
moins pratiquants ou non-pratiquants qui ont
reçu la même éducation traditionnelle et religieuse de leurs parents,
mais qui ont choisi de porter une autre culture, différente de celle de
leurs parents : « Ma culture est française, on ne peut pas renier
les origines, il faut être en accord avec soi-même, avoir une culture
différente signifie aussi respecter celle des parents ».

 

2– Culture d’origine et changement
de statut

 

Dans le système maghrébomusulman,
comme dans la plupart des systèmes culturels, si les hommes sont agents
et promoteurs de la culture, les femmes sont le réceptacle et le garant
de ses valeurs les plus centrales. La fonction symbolique féminine est
ainsi fortement privilégiée. Lorsque les femmes de migrants arrivent en
France, elles se sentent insécurisées par les coutumes et les mœurs
françaises, qui, bien que séduisantes, constituent une menace pour leur
identité. Pour se protéger, elles ont tendance à se replier sur les
valeurs traditionnelles de leur communauté. Elles sont implicitement
encouragées par les hommes qui n’ont nulle envie de les voir
s’émanciper et s’efforcent de préserver le statut quo.

 

Un nombre important des femmes maghrébines
migrantes restent illettrées, n’apprennent pas le français, ne
sortent pas sans être accompagnées. De plus, si, dans leurs pays
d’origine, les parents se trouvaient en harmonie avec leur culture
et capable de s’adapter aux changements d’une société en
évolution, l’intégration les coupe de ces capacités évolutives et
les fige dans des attitudes défensives destinées à préserver leur
identité. Vinsonneau (1996) souligne que ces
stratégies visent surtout le domaine des prescriptions religieuses et
familiales, deux points forts de la culture maghrébomusulmane.

 

Pour tenter de mesurer l’influence que
peut avoir l’éducation scolaire sur la vie familiale, un certain
nombre de questions ont été posées sur les sujets de conversations
abordés entre parents et enfants/jeunes (à propos de sentiments, de sexe,
de mariage…) ainsi que leur perception de la répartition des tâches
ménagères.

 

Pour la première question, il semble que la
discussion sur le sexe reste toujours tabou entre parents et jeunes dans
la famille maghrébine migrante ; le mariage peut être un sujet de
discussion entre mères et filles, la vie sentimentale aussi, mais pas
avec le père. Pour les garçons, les discussions de ce genre restent
interdites et surtout avec le père qui représente le chef de
l’unité familiale, à qu’il faut obéir et qu’il faut
écouter.

 

On observe cependant qu’il y un
changement de mentalité entre la première et la deuxième
génération sur le deuxième sujet abordé : la plupart des jeunes
sont pour le partage des activités domestiques entre les deux époux
– seulement 15% déclarent que la cuisine et la vaisselle sont des
tâches féminines. Ce changement est dû en premier lieu au niveau scolaire
de la deuxième génération et aussi au changement du statut de la femme,
c’est-à-dire le passage de la femme au foyer à la femme active et
lettrée.

 

Le changement de mentalité et du statut de la
femme chez ces jeunes ne signifie pourtant pas une rupture avec la
religion ou la tradition : c’est un progrès des idées modernes
sur la femme et la vie du couple en général (la religion d’ailleurs
ne marginalise pas la femme mais elle donne la priorité à son rôle
éducatif).

 

Ce statut de la femme en Islam et au Maghreb
particulièrement s’articule, à partir de structures profondes,
telles que celles de la parenté ou celles ordonnées à partir du Coran et
d’autres structures plus contingentes qui ont leurs racines dans
des conditions socio-économiques et historiques indissociables.

 

3 – Les jeunes musulmans en France :
Entre Islam – culture et Islam – pratique

 

La religion revêt un caractère collectif du
fait du contrôle social qui tend à aligner les pratiques des individus
sur les valeurs morales d’essence religieuse. Dans le cadre de la
population maghrébine en France et compte tenu de sa spécificité
religieuse, ce sont toujours les pratiques éducatives, déterminées par la
notion de l’honneur et de la différenciation sexuelle dans les
divers champs des pratiques sociales, qui priment et guident les
stratégies de socialisation.

 

La différenciation des identités sexuelles est
au centre de l’éducation des parents. C’est un élément
d’autant plus important qu’il se situe comme un principe de
loi intangible dans la vision éducative islamique de la famille.

 

En France, il existe d’importantes
spécificités sociales qui distinguent l’ensemble des familles
françaises de la majorité des familles maghrébines : une plus forte
fécondité des femmes, des classes d’âge plus jeunes, un taux
beaucoup plus important d’ouvriers et de chômeurs, et
d’autres caractéristiques communes aux immigrés récents qui se
trouvent être surtout musulmans aujourd’hui. On a là, de façon
récurrente, un écheveau de difficultés qui se traduit par la
déstabilisation, la marginalisation, parfois la déviance sociale et qui
sont contemporaines de l’apparition, depuis le milieu des années
1970, d’un grand nombre de mouvements et d’associations qui
entendent s’attaquer à ces problèmes en y apportant – ce qui est
nouveau en France – une « solution islamique », selon
l’expression de Gilles Kepel (1991).

 

L’intégration, selon Kepel
(1991), suppose que soit brisée la logique communautaire. Cela ne peut se
faire uniquement par la répression couplée avec le rappel incantatoire
des principes de la laïcité. Il faut aussi rechercher les causes de la
constitution de pôles communautaires comme le mouvement piétiste
islamique, voir à quels maux de notre société, ajoute Kepel,
ils prétendent répondre, et d’en proposer une thérapie plus
efficace si l’on veut promouvoir une société où l’intégration
et la laïcité ne soient pas seulement une ritournelle pour les
intellectuels des beaux quartiers.

 

En situation migratoire, l’espace privé
revêt une dimension particulière : il devient le lieu de la
transmission des valeurs et des modèles d’origine. C’est au
sein de la famille que se transmettent les modèles d’origine avec
ce qu’ils ont, à la fois, de concret et de symbolique, et
l’ordre maghrébomusulman dans ce
qu’il a de plus fondamental et de plus quotidien. Le rapport des
migrants au domaine privé, lien d’inscription des valeurs passées,
permet de saisir le changement social des jeunes et d’analyser la
dialectique de l’intériorisation et de l’interprétation de la
tradition parentale.

 

Pour tout musulman, le meilleur moyen de
réaliser l’accord voulu par Dieu, est avant tout d’assurer sa
masculinité et pour la femme de prendre en charge sa féminité. La
séparation des rôles est au centre de la constitution de l’identité
des filles et des garçons. Dès lors, tout est fait pour moduler
l’identité des filles selon une conception féminine traditionnelle
dont l’objectif est de distinguer leurs pratiques sociales,
culturelles, voire symboliques, de celles des garçons.

 

La transmission de la religion se fait par les
parents à travers une stratégie qui conjugue à la fois des pressions
morales, mais aussi une sorte d’embellissement de ces pratiques
pour éviter à l’enfant d’en percevoir l’aspect contingent.

 

Les sujets enquêtés sont tous des croyants,
mais la majorité d’entre eux, ne sont pas pratiquants ; même
les filles qui défendent le voile et la virginité, ne portent pas de
foulard islamique. En revanche, il est très difficile d’avoir une
réponse relative aux rapports sexuels avant le mariage. Elles défendent
largement les habitudes religieuses traditionnelles même si elles ne
pratiquent pas les piliers de l’Islam.

 

Ces jeunes se sentaient français au départ,
pendant leur enfance et adolescence, mais après le coup médiatique contre
l’Islam et les musulmans en France et dans le monde concernant
l’affaire du voile notamment, se sont, pour beaucoup, rendus compte
qu’ils étaient d’abord musulmans, et ont commencé à
approfondir leur connaissance religieuse. L’Islam de banlieue, le
terme le plus répandu ces dernières années, est dû à la crise économique
et sociale des jeunes maghrébins, qui se sentent sans identité et
essaient de la trouver dans la religion – ce qui expliquerait
l’augmentation du nombre de pratiquants dans les banlieues et les
quartiers populaires.

 

Conclusion 

 

La multiplication des grands ensembles et des Zup a donné une grande visibilité à la deuxième
génération des français d’origine maghrébine dans l’espace
public. De surcroît, les discours médiatiques et savants se focalisent
sur une seule composante de ce groupe : les jeunes issus de
l’immigration maghrébine, constamment renvoyés à leur origine
ethnique, à une religion que la moitié d’entre eux ne pratique pas
parfaitement.

 

Cette partie de la jeunesse, dont
l’échantillon retenu est en partie représentatif, présente au plus
haut point les caractéristiques sociologiques propres à toute la deuxième
génération. Le degré extrême de domination qu’ont subit leurs
parents sans pouvoir protester, les multiples formes de rejet
qu’ils vivent chaque jour engendrent chez eux un profond désir
d’intégration. Mais ils ont besoin d’exprimer publiquement
leurs refus d’un monde qui les méprise et les délaisse. Les
comportements violents auxquels se livre une fraction de cette jeunesse
reflètent à la fois son intégration dans l’univers local qui est le
sien (la cité) et son refus d’accepter le sort qui lui est fait.

 

En effet, la domination et la dévalorisation de
la culture des migrants, tant par la société que par l’institution
scolaire, ont permis au courant intellectuel de transposer au cas des
jeunes d’origine maghrébine les thèses de la violence symbolique du
système éducatif. Elles montrent que les enfants de migrants connaissent
une mauvaise adaptation et l’échec scolaire parce que
l’institution scolaire, à travers le principe du traitement
égalitaire, procède à une véritable dénégation socioculturelle de ces
jeunes qui finissent par s’auto-dévaloriser.
L’école leur renvoie une image négative d’eux-mêmes et de leur
culture d’origine. Ils intériorisent le sentiment
d’infériorité qui débouche sur la non-compétence
et l’évitement scolaire.

 

L’école joue donc un rôle très important
parmi les sources du conflit culturel que connaissent les jeunes
d’origine maghrébine. Elle est pour eux une instance majeure de
l’évaluation culturelle. Mais elle ignore la variance
socioculturelle. Ce qui produit un conflit qui ne peut pas éclater, mais
qui est profondément ressenti. C’est peut-être ce déni, ancré dans
la routine scolaire et dans le code du savoir scolaire, que les jeunes
dénomment racisme lorsqu’ils se plaignent des enseignants et de
l’école en général.

 

Entre école et famille, les jeunes maghrébins
baignent dans cette contradiction perpétuelle entre une vie familiale
régie par le respect d’une autorité et une vie en société où la
permissivité est de rigueur.

 

Des jeunes qui, dans le passé, auraient cherché
l’explication de leurs problèmes dans des engagements politiques,
sociaux, sont sans doute tentés aujourd’hui de combler leur
angoisse sociale en cherchant la réponse à leurs difficultés dans la
dimension religieuse. S’il peut être question d’un retour au
religieux, il s’agit d’abord d’une préoccupation
identitaire, qui ne traduit pas seulement une crise d’identité
culturelle mais qui exprime aussi une crise d’identité sociale.
Nous relions cela au fait que les jeunes issus de l’immigration
maghrébine sont en majorité issus de la classe ouvrière, du monde
populaire. Or, ce monde est basculé, perturbé, il est frappé par le
chômage et l’exclusion sociale, et ses valeurs sont en crise. Si,
dans le passé, un jeune issu de l’immigration maghrébine pouvait se
considérer comme ouvrier, aujourd’hui il se questionne sur le fait
de savoir qui il est. A partir de là, la religion apparaît comme une
piste pour trouver des réponses.

 

Cette quête d’identité s’exprime
chez les jeunes sous forme parfois paradoxales, avance Dounia Bouzar (2001). Comme
l’engouement de plus en plus grand pour l’Islam dans les
cités, qui, contrairement à ce qu’on pourrait penser, est en fait
un signe d’intégration : c’est précisément parce que les
jeunes ont abandonné toute idée de retour et se sentent vraiment chez eux
qu’ils se cherchent maintenant des racines culturelles et
religieuses, non plus en reniant, mais en assumant leur passé.

 

Abdellah El Abbady

 

Notes

 

[1] Le Bras (1997) a noté l’usage de dix
vocables pour désigner la population
immigrées : « immigrants », « migrants »,
« sous-ensemble population étrangère », « apport
étranger », « population migrante » , « présence
étrangère », « immigrés », « population
immigrée », « étrangers », « population
étrangère ».

 

[2] Traitant la relation intergénérationnelle,
nous utilisons le terme ″enfant″
par commodité et parce que aux ‘parents’ on associe
communément les ‘enfants’… – rappelons cependant que,
pour notre échantillon, plus que des enfants, il s’agit de jeunes
de 18 à 25 ans.

 

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No.01, ISSN 1705-1045, consulté sur Internet: http://www.espritcritique.fr

 

 

 

 

 

 

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