Magali Humeau, doctorante en sciences de l’éducation (Université de Pau et des pays de l’Adour), formatrice au Cafoc (Centre Académique de FOrmation Continue) de Poitiers, membre du Cercle de Recherches Anthropologiques sur l’Imaginaire.

Quelle est l’implication de l’enseignant dans les savoirs qu’il enseigne ?
Dans cette contribution, nous posons cette question sur les plans théorique et épistémologique, dans le cadre d’un travail de recherche mené en doctorat de sciences de l’éducation. Nous postulons que la relation de l’enseignant aux savoirs qu’il entend transmettre serait de l’ordre d’une implication où l’imaginaire jouerait un rôle premier.
Dire que « l’imaginaire est impliquant » peut sembler un truisme à ceux qui ont eu l’occasion d’aborder les travaux de Gilbert Durand ou de Cornelius Castoriadis. Mais à partir de cette quasi-évidence, nous énonçons l’hypothèse qu’à travers la dimension anthropologique de l’imaginaire, tout sujet en position d’enseigner des savoirs, donc de les avoir auparavant produits (1), s’y trouve impliqué. Pour le dire autrement, l’objet de cette communication consiste à rechercher les liens entre le modèle des structures anthropologiques de l’imaginaire de Gilbert Durand et celui de Jacques Legroux repris par Georges Lerbet sur la connaissance de la personne en formation, cela à travers le concept d’implication que nous développerons dans un premier temps. Puis, nous nous demanderons si l’imaginaire est ou n’est pas impliquant. Enfin, nous chercherons les liens ou analogies entre connaissance/savoir et imaginaire pour finir sur la perspective d’une herméneutique conçue comme posture impliquée dans la recherche du sens propre (ou figuré) des savoirs enseignés.

 


1 Nous pensons avec Georges Lerbet que tout enseignement suppose la production des savoirs à enseigner par l’enseignant, que ces savoirs soient institués ou non.


Implication et complexité

Le terme d’implication provient de implicare, plier dans, envelopper, « fait d’être embrouillé » (2). Il renvoie aux pliures internes. Or, Dany-Robert Dufour (3) nous dit que « le concept de pli entre mal dans le cadre général (binaire) de la raison ». Il pointe des processus d’auto référenciations, des tautologies exclues par la pensée aristotélicienne sous peine de raisonnement paradoxal impossible à résoudre.

La prise en compte du concept d’implication semble aller dans le sens d’une approche par la complexité mettant en avant des logiques conjonctives, qui joignent, plutôt que disjonctives, qui séparent. C’est ce rapprochement entre complexité et implication que Jean-Louis Legrand formalise avec le néologisme d’ »implexité » : « Par « implexité » j'entends donc cette dimension complexe des implications, complexité largement opaque à une explication. L'implexité est relative à l'entrelacement de différents niveaux de réalités des implications qui sont pour la plupart implicites (pliées à l'intérieur) (4) ». Elle ouvre vers les principes dialogiques qui associent des termes antagonistes (5), vers une opacité et incomplétude ou indécidabilité (6), et vers des processus d’auto organisation propres aux systèmes vivants (7). L’implication a donc aussi quelque chose à voir avec les boucles étranges, les processus d’auto référence. C’est l’implication du sujet par rapport à lui-même dans le concept de « connaissance de soi (8) ».


(2) Petit Robert
(3) 1990, page 39.
(4) Le Grand, consulté sur Internet : http://www.barbier-rd.nom.fr/JLLeGrandImplexite.html
(5) Lupasco, 1960.
(6) Il s’agit de l’incomplétude telle que l’a énoncée Gödel : des vérités mathématiques portent sur elles-mêmes, elles sont donc indémontrables, et non plus démontrables mais non encore démontrées comme les mathématiciens le croyaient.
(7) Varela, 1989.
(8) Barbier, 2001.


L’implication dont nous voulons parler ici n’est donc pas celle de la pensée logique qui met dans une relation de causalité deux propositions (si p alors q).

C’est celle qui lie le sujet et son objet (9) constitutifs l’un de l’autre, donc difficilement dissociables. Cette approche a été largement impulsée par la seconde cybernétique mais nous la retrouvons aussi d’une autre manière dans la phénoménologie avec le thème de « l’être-au-monde (10) ». En effet, le concept d’implication, entendu dans cette dimension complexe, semble rendre compte de la position phénoménologique de l’être dans le monde : « Le monde n’est pas un objet dont je possède par devers moi la loi de constitution, il est le milieu naturel et le champ de toutes mes pensées et de toutes mes perceptions explicites. La vérité n’« habite » pas seulement l’« homme intérieur », ou plutôt il n’y a pas d’homme intérieur, l’homme est au monde, c’est dans le monde qu’il se connaît. » Il s’agit de faire l’expérience de cette première implication de l’être dans le monde, de réveiller l’expérience du monde. Selon Ricœur, « constituer n’est point construire, encore moins créer, mais déplier les visées de conscience confondues dans la saisie naturelle, irréfléchie, naïve d’une chose. ». Cette position phénoménologique chère à Ricœur semble proche d’une implication qui viendrait à la conscience, d’une lucidité qui ne prétend par pour autant démêler totalement les nœuds qui tiennent ensemble le sujet et son objet. Si nous prenons l’exemple de l’espace, il ne se présente plus comme un en soi qui nous serait extérieur : « c’est un espace compté à partir de moi comme point ou degré zéro de la spatialité. Je ne le vois pas selon son enveloppe extérieure, je le vis du dedans, j’y suis englobé. » J’y suis enveloppé, il se plie en moi et je suis plié en lui. Dès lors, les rapports du sujet aux objets spatiaux qu’il perçoit et conçoit se pensent en terme de jonctions et d’implications réciproques. Ces pliures internes, nous les retrouvons illustrées par la figure géométrique de l’anneau de Möbius (figure 1) qui associe intérieur et extérieur dans la continuité. Il y a un mouvement continu entre les opposés topologiques, mouvement proche de ce que Lourau nomme la transduction, concept pour penser la relation sujet/objet qui n’est pas un couple stable mais métastable. Ainsi, le sujet et l’objet sont deux pôles extrêmes, des termes ou limites, entre lesquels un mouvement enchaîne des suites de potentialisations et d’actualisations, des passages d’un terme à l’autre par localisation, confusion et implication des termes.

Imaginaire et implication Posons maintenant la question de la place tenue par l’imaginaire dans cette relation d’implication entre sujet et objet, qu’il soit perçu ou objet de connaissance. Nous venons de voir que la séparation communément admise entre sujet et objet ne tient pas, que leur attache est de l’ordre d’une implication entendue comme relation complexe, indémêlable. Pouvons-nous dire que l’imaginaire participe à ces nœuds entre sujet et objet ? Selon Jung, le monde imaginaire, porté à la conscience individuelle par les phantasmes, images perçues dans les rêves, porte des marques archaïques, indices de l’inconscient collectif. Ce dernier constitue le réservoir des archétypes, qui sont des formes préexistantes, « le fonds humain immuable de la pensée »,« indissolubles dépôts des âges, franchissant sans changer les millénaires ». Le concept d’archétype, dont la compréhension est indispensable pour saisir l’imaginaire selon Jung, n’en ai pas moins flou. Il désignerait le fonds immuable et inconscient de l’esprit humain, collectif, source des sens exaltés par les symboles, a priori multiples mais gravitant autour de noyaux invariants quelles que soient la culture et l’histoire. Les archétypes sont mus par la libido, énergie psychique en général, métamorphose incessante des contenus imaginaires. La fonction symbolique selon Jung permet les passages entre contraires, l’archétype-symbole ayant un rôle médiateur. Ainsi, l’imaginaire maintient les polarités antagonistes chères à Lupasco avec le symbole comme médiation, lieu de passage, de réunion et de synthèse des contraires.

Bachelard aborde l’imaginaire à travers une philosophie de la poésie qu’il oppose à une philosophie de la science. L’image poétique retentit avec « une sonorité d’être », « flambée de l’être dans l’imagination » éprouvée dans une phénoménologie de l’image qui mène à sa « transsubjectivité». Au niveau de l’imaginaire, la dualité du sujet et de l’objet s’active dans ses inversions où le savoir est inutile, mais où l’âme, mot du souffle, est présente. Ainsi, l’imagination est « puissance majeure de la nature humaine », mais aussi « engagement de l’être imaginant », concentration d’être. Et c’est par la méthode phénoménologique que l’imaginaire constitue l’être en l’impliquant. Dans La psychanalyse du feu, son premier ouvrage philosophique sur les éléments, Bachelard expose l’opposition et les chevauchement entre la poésie et la science qui doivent selon lui être distinguées dans le but de purifier la zone objective, de se défaire des premiers contacts avec l’objet, des sensations et émerveillements qu’il procure. Mais « si nous avions raison à propos de la réelle implication du sujet et de l’objet, on devrait distinguer plus nettement l’homme pensif et le penseur, sans cependant espérer que cette distinction soit jamais achevée. » Il conçoit science et poésie comme « deux contraires bien faits ». Dans ce premier ouvrage sur « l’homme pensif », Bachelard recherche de façon ambiguë ce qui fait frein à la pensée scientifique, il mène une psychanalyse du feu pour la défaire des forces de conviction primitive. Mais cela se fait dans le bonheur de retrouver ces convictions premières, voire archaïques. La pensée scientifique opèrerait en tentant des « désimplications » avec l’imaginaire, infrastructure de la pensée, sans jamais y parvenir totalement. Durand reprend à la fois les thèses de Jung et de Bachelard pour construire une anthropologie de l’imaginaire. Le concept d’imaginaire exprime l’empreinte originaire de l’esprit humain, « l’essence de l’esprit, l’effort de l’être pour dresser une espérance vivante envers et contre le monde objectif de la mort ». Il est constitutif de flux et bassins de sens, de constellations de symboles qui s’organisent en structures, impulsés par notre désir d’éternité. Il se manifeste comme activité de transformation euphémique du monde, imagination créatrice d’être dans le monde. « Aussi l’imaginaire, bien loin d’être vaine passion, est action euphémique et transforme le monde selon l’Homme de Désir. » L’imaginaire transcende le temps mais tragiquement. En effet, selon Durand et à l’instar de Jung, l’imagination symbolique renvoie en premier lieu à la transcendance puisque le symbole est épiphanie de l'inaccessible : «signe renvoyant à un indicible et invisible signifié et par là étant obligé d'incarner concrètement cette adéquation qui lui échappe, et cela par le jeu des redondances mythiques, rituelles, iconographiques qui corrigent et complètent inépuisablement l'inadéquation.»

L’une des caractéristiques de l’imaginaire est de multiplier les rapports de sens mais autour de noyaux archétypaux. Il s’exprime dans les images, les récits, les mythes, les rites, mais aussi toutes les actions des hommes ainsi que leurs connaissances, l’imaginaire étant la marque de l’esprit humain. Ainsi, poursuivant la pensée de Durand, il se manifeste également dans les savoirs enseignés à l’école. La conception de l’imaginaire selon Castoriadis est tout autre. Il le qualifie de radical, le plaçant à la racine à la fois du psychisme et de la société, ce qui le rapproche de l’imaginaire instauratif de l’esprit selon Durand. Mais Castoriadis le conçoit surtout comme « création incessante et essentiellement indéterminée (social-historique et psychique) de figures / formes / images, à partir desquelles seulement il peut être question de « quelque chose ». » Il s’oppose donc à Jung, Bachelard et Durand pour lesquels l’imaginaire revêt un fond archaïque invariant, quelles que soient les sociétés, leur histoire. Selon Castoriadis, le propre de l’imaginaire est au contraire de provoquer, de créer ce qui est fondamentalement, radicalement « autre ». Au-delà de cette divergence fondamentale, il nous semble qu’il y ait des points de passage d’un modèle à l’autre : dans les deux cas, l’imaginaire a à voir avec une ontologie. En effet, selon Durand, l’imaginaire est « la marque d’une vocation ontologique ». Selon Castoriadis, l’imaginaire social-historique fait surgir l’altérité, la genèse ontologique, « autre manière et autre type d’être et d’être-étant ». Dans les deux cas également, l’imaginaire est source de systèmes de sens, mais archaïques et premiers (bien que dynamiques) selon Durand et résultants de processus de création et d’altérité selon Castoriadis. Revenons à la question que nous posions au début de cette partie : quelle place tient l’imaginaire dans la relation d’implication entre le sujet et l’objet, qu’il soit perçu ou objet de connaissance ? Selon tous ces auteurs, l’homme est imaginaire, l‘imaginaire est en nous, il est enracinement et humanisant. L’imaginaire serait le « signe », la marque de notre implication première, implication dans les systèmes de sens, systèmes à « vocation ontologique », c’est-à-dire générant l’être. Ainsi, nous proposons que ce qui est impliqué par l’imaginaire, ce n’est pas seulement le sujet, ni la personne, mais l’être. Dès lors, nous ne pouvons prétendre y échapper, sauf en perdant notre dimension humaine et notre être. Sans doute que le meilleur moyen pour le considérer n’est pas de le voiler, ni de le nier mais de le mettre en travail, de l’amener à la conscience pour le dépasser par l’imaginaire lui-même, qu’il soit autre comme l’entend Castoriadis ou qu’il soit le même à l’instar de Jung ou Durand. En effet, nous ne pouvons lire le sens des choses qu’à travers nos propres systèmes de sens. Il y a là comme un processus d’autoréférentiation ou de creusement du sens sur lui-même, dont la logique aristotélicienne a tenté de sortir précisément en évacuant tout sens autre que binaire, c’est-à-dire soit vrai soit faux. Savoir, connaissance et imaginaire Revenons maintenant à la question qui motive ce texte : quelle est l’implication de l’enseignant dans les savoirs qu’il transmet ? Dans un premier temps, nous distinguerons savoir et connaissance pour ensuite entrevoir des analogies avec l’imaginaire. Legroux définit la connaissance en prenant appui sur le modèle piagétien du sujet épistémique qui est « le noyau cognitif commun à tous les sujets de même niveau ». Ce n’est donc pas le sujet individuel avec son histoire et son vécu singuliers, mais la marque commune aux hommes, qui varie suivant des stades de développement identifiés. Ce noyau cognitif a donc une dimension anthropologique qu’il nous semble utile de soulever ici dans la mesure où cela lui attribue une place de « frère » de l’imaginaire, en tant qu’autre caractéristique de l’esprit humain. Mais il s’y oppose aussi, dans la mesure où il semble débarrasser l’esprit de tout imaginaire puisqu’il est fait de structures constituées d’opérations de type logico déductif, fermées sur des rapports de signification binaires, donc a priori opposés à l’imaginaire symbolique. C’est en s’appuyant sur le concept d’assimilation développé par Piaget que Legroux distingue information, savoir et connaissance. En effet, ils différent par leur degré d’intégration de l’objet par la personne. Cette intégration résulte du processus d’assimilation par lequel le sujet agit sur les objets pour les constituer, les transformer, soit sur le plan sensori-moteur soit sur celui de la pensée. Cette assimilation est constitutive des objets mais aussi du sujet. « L’information serait la donnée la plus extérieure au sujet, la connaissance la plus intégrée, le savoir se situant entre les deux. » Partant du modèle de la psychogenèse de Piaget, Legroux différencie la connaissance du savoir : la première est de l’ordre de l’être et le second de l’avoir. Ainsi, « connaître n’est pas posséder la vérité, mais la chercher » avec tout son être qui dès lors ne peut plus se différencier de la connaissance. Ainsi, identité et connaissance se confondent. Or nous avons vu ci-dessus la place de l’imaginaire dans une ontologie du sujet, le constituant en tant qu’être. A partir de cette analogie, il semble que des liens étroits unissent connaissance et imaginaire, ces liens étant donnés par leur dénominateur commun : le sens qui n’est pas signification, mais impliquant le sujet dans un processus auto référentiel, contenant donc de l’indécidabilité.
Poursuivons maintenant sur la place de l’imaginaire dans les rapports d’implication enseignant/savoirs enseignés. Selon Georges Lerbet, « il ne saurait y avoir de production de savoir, si le savoir produit ne touchait pas le sens qui implique le sujet. » Or, tout enseignant est amené, dans ses préparations de cours, à formaliser, donc à produire du savoir pour être en mesure de le transmettre. Reprenant le modèle de Legroux, Lerbet affirme que « le savoir est un construit. Il résulte des interactions entre l’information héritée du monde extérieur, et la connaissance intime propre à chaque sujet. » L’imaginaire, étroitement lié à la connaissance, participe donc amplement à l’implication du sujet dans ses processus de construction et de transmission de savoir. Ceci étant dit, il nous semble que les concepts de connaissance et d’imaginaire, analogues sur plusieurs points, se distinguent néanmoins et ne peuvent être confondus. En effet, selon Legroux, la connaissance est individuelle et c’est l’information, transmissible, extérieure au sujet, qui comporte une dimension sociale importante. L’imaginaire, quant à lui, est conçu comme à la fois individuel et collectif. Il est un trajet anthropologique, « c’est-à-dire l’incessant échange qui existe au niveau de l’imaginaire entre les pulsions subjectives et assimilatrices et les intimations objectives émanant du milieu cosmique et social. ». Donc, Durand se réfère également à Piaget pour concevoir l’imaginaire comme un déplacement entre assimilation par le sujet et accommodation au milieu matériel et social. L’imaginaire ne trouverait ses origines pas plus au niveau psychologique qu’au niveau social mais entre les deux, par un processus de genèse réciproque.
A partir de ces analogies et distinctions, nous proposons de mettre ces deux modèles en parallèle. Ainsi, l’imaginaire se présente comme le vecteur des passages incessants de l’information à la connaissance, dont le savoir serait le point de rencontre. Ce point n’a rien de stable mais il est un interface, rencontre oscillante entre le niveau individuel et collectif, résultant d’un trajet dont l’imaginaire serait l’infrastructure. « Tel le Dieu Janus à double visage, considéré comme un démon de passage, le savoir peut faciliter le passage des multiples informations disséminées à la connaissance, à condition toutefois qu’il soit vécu authentiquement par la personne. » Et Legroux insiste sur la continuité des passages d’un pôle à l’autre. La place de l’imaginaire ne serait pas plus au niveau de la connaissance que de l’information et du savoir, mais il intervient plutôt dans la dynamique de la traversée incessante d’un pôle à l’autre.
Nous venons de faire ressortir des analogies entre connaissance/savoir et imaginaire, sans pour autant dégager de modèle qui préciserait les places respectives et relations entre ces concepts. Néanmoins, notre hypothèse de départ, à savoir que l’imaginaire tient une place dans les liens d’implication entre l’enseignement et les savoirs qu’il transmet, se trouve confortée. Si cette problématique questionne l’épistémologie interne de la discipline scolaire ici considérée (le dessin technique), elle interroge aussi l’épistémologie externe, propre à notre démarche scientifique. En effet, nous entendons construire du savoir à propos du savoir d’autrui, donc toucher le sens qui nous implique en tentant de toucher le sens qui implique autrui. Cette posture de recherche s’approche de ce qu’on nomme une herméneutique.Vers une herméneutique… L’herméneutique peut se définir avec Durand comme « la recherche du sens plus ou moins voilé des images ». L’herméneutique instaurative considère l’imaginaire comme instauration du psychisme dans sa totalité, donc elle applique cette recherche à toutes les productions du psychisme. Les savoirs enseignés, qu’ils soient issus de savoirs savants ou de savoirs professionnels de référence, étant des productions du psychisme, peuvent être interprétés à la lumière des structures de l’imaginaire. Mais dans tous les cas, il s’agira toujours de notre part d’une interprétation, c’est-à-dire de la recherche d’un sens sur le sens, sens qui est à creuser, plier et déplier par transduction, c’est-à-dire selon une pensée qui opère de proche en proche, se laissant porter par une file infinie de sens menant chacun à un sens proche mais autre, cela vers le sans fond. Cette approche est-elle contradictoire avec le modèle des structures anthropologiques de l’imaginaire ? En effet, ce dernier dévoile des invariants, les archétypes, qu’il suffirait de repérer, comme si nous pouvions nous-mêmes prétendre y échapper par nos travaux de recherche. C’est toute la difficulté des sciences humaines que de travailler sur des objets dans lesquels nous sommes nous-mêmes impliqués. Ainsi, en tant que chercheur interrogeant les savoirs enseignés en dessin technique, explorant le sens porté par cet enseignement, je dois accepter de le faire à partir de mes propres interprétations, ce qui n’exclut pas une démarche scientifique rigoureuse, mais qui inclut aussi une herméneutique prenant en compte ma propre implication comme celle des enseignants sollicités pour mes travaux. En effet, qu’est-ce que l’herméneutique sinon une intégration, ou assimilation dynamique du sens par le sens ? Elle s’ouvre aux contradictions propres aux symboles, donc n’en reste pas à des interprétations rationnelles. Ces sens font cohésion sans être nécessairement cohérents les uns avec les autres. Cette démarche va à l’encontre des recherches didactiques qui entendent rationaliser les enseignements en dégageant les savoirs formalisés propres aux disciplines par l’identification des concepts et champs conceptuels. Elle leur serait inverse, partant de ce qui est formalisé pour en creuser le sens, en dégager des contradictions qu’il ne s’agit pas de démêler mais de mettre en travail, de complexifier, c’est-à-dire de joindre là où le sens fait cohésion. Elle s’apparente à l’implication/transduction tels que Lourau les appréhende : perte de repères, globalisation, potentialisation des systèmes de repères. Lourau écrit : « ce que je cherche n’est sans doute pas la Vérité, mais : le lieu d’où je cherche, moi en tant qu’Obs impliqué dans la recherche. » Il utilise la figure du labyrinthe, lieu de l’exploration dont l’aboutissement consiste à découvrir son propre point de départ. Pour cela, il évoque l’architecte Antoni Gaudi, mort de vouloir sortir de son labyrinthe, de quitter son « milieu », point d’attaque des figures et idées transductives. La figure du labyrinthe, chemins tortueux tournant autour d’un point sacré, semble effectivement renvoyer au sens premier de « recherche » dont l’étymologie est circare, signifiant « tourner autour de ».Pour conclure, cette jonction théorique entre imaginaire et connaissance, dont le sens est le dénominateur commun, permet d’aborder, sous l’angle de la complexité, la question de l’implication de l’enseignant dans les savoirs construits et transmis. Sa prise en compte ne consiste pas à se débarrasser de cette pensée symbolique pour ne conserver que des savoirs soit disant purifiés, mais bien au contraire, elle permettrait à « la connaissance de s’approfondir elle-même », et au sujet de restaurer « sa curiosité plus ou moins explicite et qui semble aussi être ce que j’ai appelé ailleurs […] le désir heuristique renvoyant à l’inconscient cognitif. » Cette jonction conduit aussi à une épistémologie proche de ce que Gilbert Durand nomme les herméneutiques instauratives, pour lesquelles l’imagination symbolique est instauration puissante de la culture toute entière, y compris des savoirs qu’elle produit et transmet. La démarche de recherche devient donc une herméneutique, le chercheur en sciences de l’éducation étant impliqué, par sa propre connaissance, dans un imaginaire qu’il a tout intérêt à creuser et développer s’il souhaite travailler sur le sens inhérent aux enseignements qui font l’objet de sa recherche.