Entrepreneurs d’ici et de là-bas

L’objectif de cet article est d’analyser la manière dont les entrepreneurs d’origine maghrébine en France contribuent au développement de leur pays d’origine. Au-delà de l’apport caractérisé par l’envoi de l’argent aux membres de la famille restés au pays, il s’agit plus largement ici de s’interroger sur les reconfigurations du lien entre migration et développement. Repenser le lien au pays d’origine s’impose à l’heure même où l’on assiste en France à l’émergence de nouvelles figures de l’immigration ayant connu une mobilité sociale ascendante et qui peuvent jouer un rôle important dans le processus de développement de leur pays d’origine (investir, créer des emplois et réduire la pauvreté). De la même façon, l’expérience entrepreneuriale est également une forme de quête identitaire forte dans le sens où les circulations entre ici et là-bas sont à la fois une forme d’affirmation de soi que l’expression d’une identité fragmentée et clivée entre l’ici et là-bas.

 Des entrepreneurs par dÉfaut

 

Cette question de l’apport ou de la contribution des entrepreneurs issus de l’immigration maghrébine en France au développement et à la dynamisation économique de leur région d’origine n’a pas été directement liée à notre travail de recherche initial qui consistait à analyser les conditions socio-économiques d’émergence de l’entrepreneuriat migrant en France. Notre hypothèse de départ consistait à se demander si la création d’entreprise n’était finalement qu’un moyen de contourner le marché du travail à cause des difficultés d’insertion dues probablement à la discrimination et à la stigmatisation auxquelles sont confrontés les jeunes d’origine maghrébine dans leur vie sociale et professionnelle en France. Environ 15 000 entreprises sont créées chaque année par des personnes d’origine immigrée, ce qui représente environ 7 % des créations d’entreprises dans ce pays. Pour le secrétaire d’Etat aux PME, Renaud Dutreil (gouvernement de Raffarin II), il y a un potentiel énorme de créateurs d’entreprises dans les banlieues et une grande soif de réussite[1].

Au-delà du fait que la création d’entreprise est d’abord un moyen de créer son propre emploi et de s’affirmer comme un acteur économique à part entière dans la société française, la question de la relation entre le pays d’installation et le pays d’origine ressortait très fortement dans les entretiens avec les entrepreneurs d’origine maghrébine. Qu’ils soient nés ou arrivés à l’âge adulte en France, ils considèrent comme un devoir d’aider les membres de leurs familles restés au pays à créer à leur tour des petites entreprises en leur apportant l’argent et les réseaux nécessaires. Sur les 35 entrepreneurs interrogés dans le cadre de notre enquête, 16 d’entre eux, soit près de la moitié de l’échantillon (9 algériens, 4 marocains et 3 tunisiens) ont créé dans leur village ou leur région d’origine une entreprise soit dans le même secteur que leur entreprise en France soit dans un autre secteur. Il est très difficile, à partir d’un petit échantillon comme celui sur lequel nous avons travaillé, de tirer des conclusions rapides et toutes faites, néanmoins cette enquête nous amène à interroger le poids et l’impact réels (ou supposés) des entrepreneurs et plus largement des immigrés sur la création d’emploi et de l’activité indépendante au Maghreb[2]. Pour l’heure, il est difficile de savoir dans quelle mesure les populations issues de l’immigration maghrébine, à l’instar de la diaspora chinoise ou coréenne, participent au processus de dynamisation économique et de développement de leur pays d’origine.

Dans une enquête que nous conduisons depuis ces cinq dernières années sur la création d’entreprise en Algérie et tout particulièrement en Kabylie (Madoui et Bouyacoub, 2003), nous avons constaté en effet, à partir de notre enquête qualitative avec les petits entrepreneurs de la wilaya de Béjaia (Petite Kabylie), que de nombreux « émigrés », contrairement à l’idée que l’on se fait de cette population souvent décriée (trafic de devises, responsables de la cherté de la vie, frimeurs, etc.), investissent de plus en plus en Algérie via les membres de leur famille restés au pays. Souvent méconnus, voire ignorés, les liens qu’entretiennent les immigrés avec le pays d’origine sont multiples et porteurs de transformations sociales parfois significatives (Daum, 1999). Les transferts de fonds opérés par les immigrés en direction de leurs familles restées au pays ont donné lieu à de nombreuses études (Streiff-Fenart, 1996 ; Boubakri, 1999, etc.). Cet argent sert non seulement à satisfaire les besoins de consommation de la famille mais également à financer certaines initiatives et tout particulièrement la création d’entreprise en association avec les frères et/ou cousins au chômage ou travaillant de façon précaire.

Sur les 30 entrepreneurs que nous avions interrogés à Bejaia, 5 d’entre eux, ont connu, de par leurs trajectoires, une longue période d’immigration en France[3] où ils ont acquis une expérience professionnelle soit en qualité de commerçant soit en tant que salariés et ouvriers dans des usines françaises. Partis très jeunes, leur retour s’est fait au début des années 1980, période qui correspond aux lois d’ouverture économique de 1982 qui ont institué l’ouverture du capital aux entreprises privées. C’est dans le registre de l’« opportunité » que sont explicitées les raisons à rentrer en Algérie et à créer une entreprise : l’opportunité des nouvelles lois du secteur privé – ouverture et remise en cause de la gestion socialiste –, l’opportunité de rentrer dans un pays considéré alors par eux comme ayant des perspectives de réussite favorables (pays jeune, pays en expansion, moyens financiers humains et infrastructures).

Nous avons rencontré également le cas d’entrepreneurs plus jeunes ayant créé leur entreprise grâce en grande partie à l’aide financière du père, du frère ou de l’oncle installé depuis longtemps en France ou à l’étranger (Etats-Unis, Canada, etc.). Dans ce dernier cas, ce sont des jeunes ayant quitté l’Algérie au début des années 1980 pour poursuivre leurs études à l’étranger et qui y sont restés après l’obtention de leur diplôme. Devenus cadres, fonctionnaires et dans certains cas entrepreneurs (Madoui et Bouyacoub, 2003), cette nouvelle génération d’immigrés encourage les membres de leur famille restés au pays (frères, sœurs, cousins, etc.) à créer leur propre entreprise en y apportant l’essentiel du capital nécessaire. Cette situation est favorisée par ailleurs par le contexte de la dévaluation du dinar algérien et qui a donné lieu à un véritable marché parallèle de la devise (un euro vaut environ 115 dinars sur le marché parallèle contre 80 dinars au change officiel). Les « émigrés » comme on les appelle encore en Algérie profitent de ce marché noir pour faire des affaires et réinvestir cet argent dans la construction de maisons, villas, achat de terrains, ouverture de petits commerces ou pour aider les membres de leur famille à créer de petites entreprises qui offrent aux jeunes de la région, souvent sans emploi et sans qualification, des opportunités de travail même si l’emploi généré s’inscrit le plus souvent dans le registre de l’informel. 

Disqualification sociale. Quand des diplÔmÉs d’origine maghrÉbine se reconvertissent en entrepreneurs

 

Nous inscrivons un certain nombre d'entrepreneurs faisant partie de notre échantillon dans cette catégorie qui concerne uniquement les jeunes issus de l’immigration maghrébine arrivés en France il y a 10, 15 ou 20 ans pour faire des études supérieures. A l’issue de leur scolarité, ils décident de rester en France mais leur statut d’étudiant ne leur permet pas de résider de façon régulière et par conséquent ils n’ont aucune possibilité de trouver un emploi stable. Bien qu’ils aient un niveau de formation et de qualification élevés, ils sont très souvent sous employés et mal payés dans des secteurs d’activité souvent informels (restauration, hôtellerie, gardiennage, sécurité, livreurs, etc.). Ils sont ainsi prisonniers de leur statut « post-étudiant » dont ils veulent se débarrasser. Chacun essaie à sa façon de trouver des stratégies pour rester en France et deux solutions s’offrent généralement à eux : soit se marier comme le font certains avec une Française ou une maghrébine de nationalité française (cette stratégie peut aller jusqu’à alimenter des logiques de mariages blancs), soit créer une très petite entreprise. La principale motivation n’est donc pas la création de l’entreprise en elle-même mais bien la régularisation de leur situation en France. Ils accèdent de cette façon au statut d’artisan, commerçant, entrepreneur (ACE) qui leur permet d’acquérir dans un premier temps une carte de séjour d’une année qui se transformera trois ans plus tard en carte de résident de 10 ans si toutefois l’entreprise n’a pas disparu pendant cette période et a réellement fait ses preuves. Comme le constate à juste titre Abdelkader Latrèche (2006, p.172), le non-retour des diplômés maghrébins « ne signifie pas une volonté d’établissement définitive en France. Les étudiants ne veulent pas se détacher de leur société d’origine. En même temps, ils hésitent à la rejoindre. Cette représentation ambigüe du devenir fait que les étudiants maghrébins en fin de formation sont des personnes en instance de décision et de choix. Partagés entre le retour et le non-retour, indécis, ils aspirent à une double insertion : s’insérer ici et là-bas ».

 

Ces entrepreneurs (leur âge moyen est de 38 ans), ayant déjà obtenu des diplômes universitaires dans leurs pays d’origine, sont venus en France dans le but de faire des études de troisième cycle (Geisser, 2000). En arrivant, certains ont fait un DEA et abordé leur thèse de doctorat, d’autres ont refait leurs études à partir de la licence. Ces « jeunes » préparaient avec beaucoup d’ambition leur débarquement en France pour réussir leurs études. Ils ont fait preuve de grande persévérance face aux difficultés pour s’inscrire dans une université :

 

« J’ai soutenu mon mémoire d’ingénieur en agro-alimentaire en 1990. Une année après, j’ai débarqué en France. En étant là-bas, j’ai envoyé un dossier à l’université pour un DESS en agro-alimentaire, je n’étais pas retenu, d’autres universités ne m’ont même pas répondu. Je suis arrivé le mois d’août, c’était déjà trop tard pour l’inscription. J’ai déposé mon dossier dans une fac à Massy Palaiseau pour l’agro-alimentaire, je n’étais pas retenu. Il fallait faire évidemment une inscription pour qu’on me fasse une carte de séjour. Le visa arrivant, à quelques jours d’expirer, ils m’ont branché sur une école d’anthropologie, j’ai fait finalement mon inscription, je suis allé par la suite au CNAM pour un stage où je suis accepté et je l’ai fait pendant une année, j’y allais de temps en temps, pas tous les jours, c’était une semaine pas mois, je me présentais aussi à l’école d’anthropologie pour l’assiduité. En 1994, je me suis inscrit à Paris 8 en licence de science politique en deux ans parce que j’ai fait deux ans d’anthropologie ; puis, en maîtrise jusqu’à 1997 ».

 

Ce sont là quelques facteurs encourageants pour amorcer le passage au monde de l’entreprise. Ce passage doit être effectué car ces étudiants se retrouvaient, après avoir lâché leurs études, face à un dilemme : se reconvertir au monde de l’entreprise ou rentrer dans leurs pays d’origine :

 

« Le statut de l’étudiant n’étant pas éternel, un certain moment arrive, il fallait tirer la révérence ; ou bien je rentre en Algérie ou bien je trouve un autre statut que celui d’étudiant pour pouvoir rester légalement ».

 

Donc pour ces étudiants la création de l’entreprise passe forcément par le changement de statut.

« Ne pas prendre le risque », « investir dans des secteurs qui sont à notre portée », « ne pas lâcher son travail avant d'être sûr que ça marche » sont des propos tenus de manière récurrente par les entrepreneurs et qui dénotent une certaine réticence, une certaine perplexité. Cet état d'esprit avec lequel s'engagent les vieux étudiants dans la création d'entreprise fait que la reconversion se fait progressivement et après avoir préparé le terrain. C'est ce que nous explique cette femme :

 

« En arrivant en France, j’ai fait une formation de styliste modéliste. Après la formation, j’avais commencé à travailler dans un cadre culturel ; je faisais des défilés dans le centre culturel algérien, le premier défilé était en 1994. Par la suite, j'ai été sollicitée par des écoles professionnelles pour encadrer des élèves et à partir de là j’ai vu que la demande était très importante. C'est dans le cadre de ces activités que j'ai réussi à faire une petite étude de marché. Bien que je sois sollicitée par pas mal de gens, je ne pouvais pas à l’époque parce que j’enseignais, j'étais fonctionnaire, je n’avais pas le droit, mais ça m’a permis de connaître un peu la clientèle que je peux toucher. Alors je me suis installée tout doucement chez moi, autorisée par la direction des HLM, j’avais un grand appartement, donc je travaillais chez moi jusqu'au jour où j’ai eu ce local ».

 

De ces entrepreneurs, nous avons rencontré ceux qui ont préféré créer leur entreprise dans les secteurs de leur vocation. Ils associent par-là même la création de l'entreprise à une passion, à une vocation.

 

 « Cette activité, je l’ai apprise de ma mère, mais je crois que c’est ma vocation »

« c’est un métier d’art que j’aime beaucoup et qui reflète la culture de l’Algérie »

 

disait cette femme entrepreneure créatrice d’une petite entreprise de couture employant trois ou quatre personnes de la famille.

Dans cette aventure que constitue la création d’entreprise, certains entrepreneurs cherchent tout de même à « joindre l’utile à l’agréable » comme ils disent, en tentant d’investir dans des secteurs où « ils se sentent le mieux ». C’est ce que l’un des entrepreneurs rencontrés sous-tend en disant :

 

« Je me suis posé la question : dans quel domaine je me sentirai le mieux, j’aurais pu aller à l’ANPE me faire proposer des reclassements, ils m’ont proposé des trucs d’informatique, moi je suis très allergique à ça ».

 

Ancien animateur d’une radio communautaire à Marseille, il s’est retrouvé finalement à l’aise dans la vente des instruments de musique venant du Maghreb où il fait travailler de nombreux artisans algérois. Cependant, il insiste sur le fait qu’il ne fait pas que vendre, il contribue aussi à la promotion et au développement de sa culture d’origine qu’il revendique « haut et fort », lui qui est devenu français, marié à une française.

A vrai dire cette référence, que font ces entrepreneurs à la culture et à l’art, leur donne l’impression de garder un pied, si nous pouvons nous exprimer ainsi, dans leur domaine initial, de résister à l’achèvement de la reconversion. En effet, un entrepreneur explicite cette résistance en disant :

 

« Je ne suis pas tellement à l’aise dans ce que je fais, maintenant que je suis marié à une française et que j’obtiendrai ma nationalité française dans quelques temps, il n’est pas exclu que je fasse une formation pour exercer une fonction qui correspond à mon niveau ».

 
 

L’entreprise, expression de la solidaritÉ familiale ou mode de promotion sociale ?

 

Après les premières années de vie de leur petites entreprises, ces entrepreneurs se sont donnés pour objectif d’aider les membres de leur famille restés en Algérie, au Maroc ou en Tunisie à créer à leur tour leur petite entreprise ou tout simplement investir dans les domaines du tourisme, du commerce ou de la construction qui génèrent bien entendu de l’emploi et qui évitent dans certains cas l’exode rural dans les grandes villes pour des jeunes en quête désespérée d’un emploi. Nous ne disposons pas de chiffres sur la part des investissements de la communauté algérienne en France mais notre enquête de terrain montre en tout cas que l’argent des immigrés sert aussi à créer des emplois et à aider au développement des zones rurales comme dans le cas de la Kabylie où nous avions pu vérifier notre hypothèse. Quels sont les secteurs économiques investis par les immigrés et dans quelle proportion ?

Nous pouvons citer de nombreuses entreprises : c’est le cas notamment d’un jeune algérien travaillant aux Etats-Unis dans le secteur de l’informatique et qui a apporté non seulement l’idée mais aussi l’argent indispensable à la création d’une entreprise en marbrerie que dirigent en Algérie depuis 1995 son jeune frère et sa sœur, tous deux dotés d’un niveau de qualification élevé. Cette entreprise emploie aujourd’hui près de 20 personnes.

Un autre, vivant à Marseille et ayant crée son entreprise dans le secteur du bâtiment il y a maintenant près de dix ans, a aidé financièrement son frère aîné resté au pays à se lancer dans la création d’entreprise après de longues années de chômage et de petits boulots. Habitant un village à une trentaine de kilomètre de Bejaia et compte tenu des problèmes de transport auxquels sont confrontés les habitants des villages avoisinants dont la plupart travaillent dans les entreprises situées à Bejaia, il a songé à exploiter ce créneau en achetant un minibus pour relier le douar d’Ifnayen à Bejaia. Trois ans ont suffi à cette petite entreprise familiale pour se développer et s’agrandir en exploitant d’autres lignes de transport en commun notamment Bejaia/Alger via Bouira et Bejaia/Alger via Tizi Ouzou.

Certains ont réussi comme cet entrepreneur marocain, patron d’une boucherie hallal à Saint-Denis, à acheter un hôtel restaurant dans sa ville natale Agadir où il emploie une dizaine de personnes provenant du réseau familial. L’entreprise vit essentiellement de l’activité touristique.

D’autres tout simplement achètent des terrains et construisent des maisons sur place ce qui génère des activités et des emplois aux populations rurales.

Ceci est vrai pour les entrepreneurs d’origine algérienne, mais aussi marocaine ou tunisienne. Les régions de Bejaia en Algérie, de Souss au Maroc ou de Sfax et Ghomrassen en Tunisie (Boubakri, 1999) font aujourd’hui partie des quelques régions maghrébines où l’on crée le plus de TPE/PME et qui connaissent un dynamisme économique remarquable. Outre les facteurs de tradition commerciale de ces régions, la tradition migrante et l’apport du capital migrant (humain, financier, savoir-faire, etc.) sont des facteurs qui contribuent sans aucun doute à cette dynamique singulière.

 

Le recours aux relations personnelles

 

Dans le cas des entrepreneurs issus de l’immigration maghrébine, le recours aux relations personnelles est favorisé par la tradition culturelle qui encourage et impose la solidarité et l’entraide. Celui qui a réussi doit se servir de sa propre réussite pour aider les autres, à commencer par les membres de sa famille. Chaque individu qui se respecte se sent responsable de plusieurs parents plus ou moins proches. Ainsi que le remarque P. Bourdieu dans Travail et travailleurs en Algérie, le népotisme est ici une vertu. Quand on a une entreprise, on se doit de donner du travail aux membres proches de la famille, du village ou de la région d’origine. Aussi peut-on dire que ce ne sont pas à proprement parler les entreprises qui recrutent. L’embauche est réalisée de manière spontanée d’abord dans l’environnement familial et parfois dans le réseau communautaire où tout le monde connaît tout le monde. La confiance et la réputation sont ici indispensables pour se faire une place dans ces réseaux ethniques. Autrement dit, on attache moins d’importance aux compétences des individus qu’à leur comportement et leur façon d’être. Il ne faut pas s’étonner dans ces conditions que près de 90 % des enquêtés aient pour compagnon de travail des parents ou des membres de leur groupe d’origine, village ou région.

Il existe tout un réseau de petits groupes nés de l’entraide et de la cooptation, qui, au sein d’un monde de travail générateur de diverses formes d’injustices (chômage, discrimination à l’embauche, importance du diplôme mais aussi du capital social pour trouver un emploi, etc.), préservent des relations sociales caractéristiques d’un système de solidarité ethnique fondé sur des liens de parenté et d’interconnaissances communautaires. L’obtention d’un emploi dépend moins des savoirs et savoir-faire spécifiques que d’un ensemble de qualités de statut dont le réseau des relations familiales ou amicales est un élément capital. Ici, et contrairement à la thèse de la force des liens faibles de M. Granovetter, les liens forts jouent un rôle central dans l’accès à l’emploi. Dans un contexte de crise économique et d’exclusion sociale et ethnique, la famille et plus largement la communauté, sont les derniers espaces où l’individu vient non seulement se ressourcer mais également trouver les soutiens matériels nécessaires (mobilisation de l’épargne familiale, emprunt sans intérêt…).

La création de l’entreprise est de ce fait une affaire familiale. Elle est l’occasion de mobiliser et de mesurer le degré de solidarité des frères et sœurs. C’est ce que j’ai pu constater lors de mes entretiens. Très souvent, à côté du porteur de projet, le fils, le frère ou le cousin figure comme associé.

En contrepartie, l’entrepreneur espère pouvoir offrir un emploi à ses proches au chômage ou en situation précaire. Le capital social est ainsi mobilisé et mis à l’épreuve, surtout dans les moments difficiles, lorsqu’il s’agit par exemple de constituer un capital financier de départ ou de faire face à des problèmes de trésorerie. L’emprunt intra-communautaire est le recours auquel pensent généralement les entrepreneurs rencontrés, et cela bien avant les démarches auprès d’une banque, entité jugée froide et impersonnelle. Mobiliser son capital social, et non un établissement de crédit, évite les procédures. Il n’y a ni signature, ni présence de tierces personnes, ni intervention du notaire. Tout se fait de manière implicite et sur la base de la parole donnée et de l’honneur du groupe. La contrepartie est un renforcement du capital symbolique du créancier et un rattachement plus ferme encore du débiteur au réseau des commerçants et entrepreneurs. Le débiteur n’hésite d’ailleurs pas, dès que l’occasion se présente, à manifester sa reconnaissance envers son créancier et lui fait savoir qu’il est à sa disposition pour lui rendre service.

Avec les relations de parenté ou d’origine, des réseaux d’interconnaissance se maintiennent aujourd’hui au sein des quartiers des grands centres urbains. Ils jouent un rôle important dans la transmission des informations concernant les entreprises qui embauchent, les personnes qui recherchent un emploi, les réseaux où trouver des emprunts sans intérêts, les clients potentiels, etc. Partager, donner du travail, rendre un service, aider les siens et échanger des informations sur une base informelle (parole donnée, confiance, réputation) sont des pratiques courantes dans ces réseaux qui, au-delà de la recherche du gain, permettent le renforcement du lien social, l’acquisition d’un véritable statut social et la préservation de la cohésion communautaire.

Il est intéressant de souligner ici le rôle que jouent les associations d’immigrés en France qui se préoccupent essentiellement du développement de leur village ou de leur région d’origine au moyen de financements de nombreux projets. A l’instar des ressortissants de la région du fleuve Sénégal (Maliens, Mauritaniens, Sénégalais) étudiés et analysés par Quiminal (1991), Yatéra (1996) et Daum (1998), de nombreux autres groupes issus de l’immigration maghrébine commencent à prendre des initiatives de ce type pour venir en aide aux habitants de leur village ou de leur région en leur apportant les financements nécessaires (construction de routes, de mosquées, électrification de certains villages, remise en état de certaines fontaines comme c’est le cas en Kabylie, financer des initiatives culturelles, bibliothèques, etc.). Ces projets contribuent non seulement à créer de l’emploi pour certaines catégories de population (jeunes, femmes au foyer), mais ils créent aussi du lien social et cultivent un certain esprit d’entreprise et de responsabilité qui sont au cœur des transformations sociales. Sur un plan purement symbolique, les entrepreneurs d’origine maghrébine en France ont tendance à compenser leur « disqualification sociale » et leur sous-visibilité dans la société française par une sur-visibilité dans leur pays d’origine en mobilisant leur épargne pour créer des petites entreprises, construire des grandes maisons (symbole de prestige et de réussite du projet migratoire) ou contribuer financièrement aux besoins de leur communauté villageoise (construction de routes, de mosquées, électrification de villages dans des zones montagnardes, réfection des fontaines, etc.).

 
 

Entreprendre ici et là-bas est aussi une quÊte identitaire forte

 

A l’instar des femmes entrepreneures tunisiennes étudiées par Pierre Noël Deneuil (2008) dans le cadre de l’immigration ou des voyages d’échanges économiques entre la France et la Tunisie, l’expérience entrepreneuriale est également une forme de quête identitaire forte dans le sens où les circulations (provisoires, fréquentes, espacées, etc.) entre ici et là-bas sont à la fois une forme d’affirmation de soi que l’expression d’une identité soucieuse de réunir harmonieusement les différents morceaux du puzzle identitaire. Comme le souligne cet entrepreneur d’origine algérienne qui voyage fréquemment entre sa Kabylie natale et Marseille depuis qu’il a créé une entreprise dans le domaine du bâtiment et des matériaux de construction :

 

« C’est important pour moi qui suis un fils d’immigré ouvrier mort avant même de pouvoir profiter de sa retraite, j’ai besoin de prendre ma revanche sur le destin de mon père qui n’a pas pu réaliser son rêve de retourner un jour en Algérie. En créant cette entreprise là-bas, c’est une façon pour moi de lui rendre hommage, mais surtout de montrer aux autres membres de la famille et du village que son exil (el ghorba) n’est pas raté pour autant. Cette création d’entreprise là-bas est aussi pour moi une façon de rendre hommage à mon père, mais aussi pour moi toute l’importance qu’il y a à participer à la création de l’emploi et du développement de l’Algérie. Et puis, depuis que je suis revenu en Algérie, j’ai appris à me réconcilier avec moi-même alors qu’avant je rejetais tout ce qui me liait à l’Algérie ».

 

Nombreux sont les entrepreneurs comme ce jeune marseillais qui voient dans leur réussite, mais aussi dans leur retour au pays une revanche sur le destin du père et le moyen d’une certaine façon de reconquérir « l’honneur » de la famille. Un autre entrepreneur, d’origine tunisienne, patron d’une usine de confection installée dans le nord de la France insiste sur cette dimension symbolique du père :

 

« Pour ma mère avoir un fils qui a une usine, c’est extraordinaire ! Elle connaît l’usine. C’est là qu’a travaillé mon père. Il est même mort à l’usine. L’usine est un facteur de promotion sociale. Dans l’usine, il y a le chef, le grand patron. Avoir un fils patron, c’est la plus grande fierté qu’on puisse avoir, l’accomplissement d’une revanche ».

 

Pour honorer la mémoire du père, mais aussi pour faire « des affaires », cet entrepreneur voyage fréquemment entre la France et la Tunisie où il a installé une petite usine de confection, histoire là aussi de renouer les liens entre ici et là-bas, entre la culture française et la culture tunisienne. De nombreux témoignages ont mis l’accent en tout cas sur le rôle symbolique qu’ont les parents et dans leur réussite professionnelle et dans leur désir de recomposer leurs liens au pays d’origine. Il s’agit là d’un besoin de construction de l’image de soi et de définir une identité individuelle en partant d’une synthèse entre la culture d’origine, qu’il faut connaître et reconnaître (par la maîtrise de la langue arabe ou berbère, la pratique religieuse, etc.) et la culture française à laquelle il faut s’adapter et s’intégrer en s’appropriant les codes, les règles et les normes sociales et culturelles de conduite.

 

La quête identitaire est aussi un enjeu, voire un jeu qui se déroule sur un fond de ruse et de débrouille ainsi que l’évoque Houda Laroussi (2006) à propos des femmes à la valise, bénéficiaires de l’association Enda sur le quartier d’Ettadhamen en périphérie de Tunis. En s’installant dans ces quartiers pauvres et déshérités, certaines femmes ayant bénéficié du micro crédit occupent des créneaux relativement porteurs comme les plantes, les métaux, les pierres, la tapisserie, etc. Elles se sont surtout imposées comme des relais professionnels et financiers du mari, ce qui les conduit à négocier leur autonomisation et par là même à prendre conscience de leur valeur sociale. Ce constat rejoint également les belles analyses qu’a consacrées Camille Schmoll à la circulation des « transmigrantes » où elle montre que la circulation « entre ici et là-bas » donne lieu « à des formes d’autonomisation, de reformulation des statuts et de mobilité sociale, mais celle-ci est négociée, à la fois au sein du foyer et dans les espaces traversés » (Schmoll, 2005, p.169). De cette façon :

 

« La migration tout comme la sortie au souk, sont des formes d’affirmation de soi dans la mesure où elles permettent de s’extraire socialement et spatialement du foyer » (Schmoll, 2005, p.138).

 

Toutefois, ce phénomène de retour au pays ne se réduit pas seulement au désir de colmater les débris d’une identité fragmentée, mais bien la conséquence d’une disqualification sociale que les descendants d’immigrés subissent en France en raison de la banalisation des discriminations à l’embauche sur le marché du travail (Madoui, 2008).

Même diplômés, les jeunes issus de l’immigration maghrébine mettent trois fois plus de temps à trouver un emploi et quand ils en trouvent, c’est souvent dans le registre de l’emploi précaire. C’est pour échapper à une réalité sociale marquée par la précarisation et le racisme anti-maghrébin que de nombreux jeunes se tournent vers le pays d’origine dans l’espoir de réaliser cette fameuse mobilité sociale historiquement inscrite dans le projet migratoire de leurs parents. Ils profitent par ailleurs des opportunités économiques des pays du Maghreb (ouverture à l’économie de marché, encouragement des initiatives privées, besoin de compétences, etc.) pour donner sens à leur aventure entrepreneuriale : créer son propre emploi, reconquérir un statut social et enfin reconstruire par la même occasion leur identité professionnelle et individuelle, même si l’ambivalence identitaire continue de les caractériser. Comme le souligne Emmanuelle Santelli à propos des entrepreneurs d’origine algérienne, ces derniers sont souvent :

 

« comme des immigrés voire des Français ; en aucun cas ils ne sont vus comme des Algériens qui reviennent au pays investir, car ils le font dans une optique et avec des manières de faire qualifiées de « françaises » (souci de la rigueur, normes de qualité, etc.). Même quand ces individus n’en avaient pas conscience, il leur a été vite signifié qu’ils ne se comportaient pas comme des Algériens […] Confrontés à la société algérienne à l’occasion des démarches nécessaires à la création de leur entreprise, puis lors de son fonctionnement, ils mesurent la distance prise avec ce pays : aujourd’hui la majorité affirme qu’ils ne pourraient jamais y vivre de manière permanente et, par conséquent, ils affirment leur francité ».

 

Jeux et enjeux identitaires, telle est désormais la réalité de ces entrepreneurs des deux rives qui composent mal gré bon gré avec leur double appartenance. Ils en jouent même parfois en attisant l’une ou l’autre facette de leur identité :

 

« Quand je suis en Algérie, je me sens profondément Français et je ne rate pas une occasion pour le rappeler. Quand je suis en France, je me sens profondément algérien et fais tout aussi pour accentuer mes traits algériens… Mon identité c’est un peu comme mes deux passeports, je les trimbale tout le temps avec moi »,

 

me disait l’un des entrepreneurs interviewés lors de notre enquête.

Il en ressort ainsi une hétérogénéité des formes de recomposition des liens au pays d’origine. C’est en définitive la notion même d’espace et de mobilité qui est à réinterroger dans le cadre précis des entrepreneurs d’ici et de là-bas. Comme le constate à juste titre Michel Péraldi (2002),

 

« Les chercheurs sont désormais empiriquement confrontés à des réalités qui mettent en évidence la nécessité de dépasser les cadres identitaires territoriaux auxquels renvoyaient implicitement les analyses en termes d’intégration. Car les nouvelles migrations prennent sens dans des activités radicalement déterritorialisées et détachées des contextes nationaux qu’elles traversent ».

 

On comprend alors, à l’analyse des différents témoignages de nos entrepreneurs, ce que François de Singly (2006) nomme le « paradoxe des individus condamnés à recréer en permanence des origines afin de parvenir à énoncer leur identité narrative » et à composer sans cesse avec leurs différentes identités et les tensions qui en découlent.

 
   conclusion   

 

Alors que la création de l’entreprise en France est d’abord un moyen de contourner un marché du travail difficilement accessible et discriminant pour les maghrébins, l’investissement dans le pays d’origine est vécu comme un moyen d’aider la famille d’abord et d’entretenir des liens privilégiés avec le pays d’origine ensuite. De ce fait, un nouvel espace est né, comprenant tout à la fois pays d’origine et pays de résidence, pays de transit devenus à leur tour terres d’installations et partenaires commerciaux. Les émigrés sont en même temps immigrés et migrants, sédentaires et nomades, d’ici et de là-bas. Le potentiel migratoire reste important et les liens avec le pays d’origine sont aussi forts que la création ou l’aide à la création d’entreprise est l’expression la plus manifeste. Mais le retour au pays d’origine comme on vient de le voir est aussi une forme de quête et de construction identitaire sans cesse aux prises des tensions, des compromis et des renégociations identitaires entre ce que Pierre Noël Deneuil (2008) appelle « les rêves d’un chez soi ailleurs (la France en Tunisie ou la Tunisie en France), et la réalité d’un chez soi ici et maintenant ».

 

 

Références bibliographiques

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[1] Figaro entreprises du 21 octobre 2002.

[2] Il y a quelques années, en 1992 très exactement, la télévision algérienne diffusait un film documentaire intitulé Patrons algériens en France suivi quelques temps après d’un débat télévisé au cours duquel un certain nombre d’entrepreneurs algériens vivant et travaillant en France avaient pris l’engagement de créer les conditions de rapprochement entre les entrepreneurs algériens et leurs compatriotes installés partout en France. Cette idée a débouché en juin 1992 sur la naissance du « club 92 » qui rassemble 35 chefs d’entreprises opérant dans des secteurs économiques diversifiés (électronique, mécanique, confection, transports, conseil, tourisme, boucherie, restauration, agro-alimentaire, etc.). L’ambition de ce club est de constituer des structures économiques à dimension transnationale, en direction privilégiée du pays d’origine, un peu comme font les diasporas chinoises ou coréennes, qui génèrent des capitaux importants entre les différentes parties du monde et la Chine (Chaib, 1999).

[3] Région montagneuse et côtière connue pour l’exiguïté de ses terres, le commerce et l’artisanat (bois, poterie, armurerie, bijouterie, orfèvrerie, fabrication de lainage, etc.) ont fourni aux kabyles d’autres vocations économiques compensant ainsi la modestie des ressources agraires de la région. A cela s’ajoute une longue tradition de courtage, de colportage et de « négociant » qui fera des kabyles de redoutables commerçants dont les produits inondèrent l’ensemble des régions d’Algérie où ils ont tissé de nombreux réseaux en Algérie d’abord, en France ensuite. A côté de la tradition commerçante, les populations kabyles disposent également d’une longue tradition migrante, d’abord migration interne (dans les grandes villes d’Algérie) puis émigration en France essentiellement où les premières vagues d’émigration datent de la fin du 19ème siècle puis plus massivement entre les deux guerres mondiales. Ce qui place la Kabylie comme la région d’Algérie la plus pourvoyeuse de bras et de force de travail à moindres frais pour les usines françaises.