Résumé : 

Au cours des dernières années, un nombre important de diplômé(e)s de l’enseignement supérieur ont été appelés à œuvrer, pour une période plus ou moins prolongée, dans les milieux communautaires. À partir du constat que la majorité des diplômé(e)s estiment avoir choisi de travailler dans ces milieux et avoir planifié leur trajectoire professionnelle dans un contexte où leurs conditions de travail peuvent paraître moins attrayantes que celles prévalant dans les secteurs public ou privé, cet article vise à mieux comprendre le processus de socialisation à l’œuvre dans leur insertion professionnelle. Prenant appui sur un corpus empirique de 116 entretiens auprès de diplômé(e)s œuvrant dans 43 organismes communautaires québécois et sur quelques outils conceptuels issus de la sociologie de Pierre Bourdieu, on vient à proposer l’hypothèse d’un ajustement objectif de l’habitus par le passage dans un système d’enseignement qui prédisposerait à développer un « sens pratique » dans les milieux communautaires et préparerait à la précarité des emplois y prévalant. 

Mots clés : Milieux communautaires, socialisation, insertion professionnelle, système d’enseignement   

Être préparé à la précarité :

La socialisation des diplômées et diplômés

du postsecondaire œuvrant en milieux communautaires[1] 

L'action communautaire et les milieux communautaires[2] québécois ont fait l’objet de profondes transformations au cours des dernières années, impulsées principalement par les pressions de la part de l'État pour les soumettre à des relations partenariales axées sur l'offre de service dans un contexte d’« assainissement » des finances publiques. Par ailleurs, depuis le milieu des années 1980, la croissance même du nombre d'organismes, couplée aux difficultés d'insertion professionnelle vécues dans certains domaines, amène un nombre important de diplômé(e)s de l’enseignement supérieur à œuvrer, pour une période plus ou moins prolongée, dans les milieux communautaires.

À partir du constat que la majorité des diplômé(e)s estiment avoir choisi le travail en milieux communautaires[3] et estiment aussi avoir planifié leur trajectoire professionnelle (Deschenaux et Bourdon, 2007) dans un contexte où leurs conditions de travail peuvent paraître moins attrayantes que celles prévalant dans le secteur public ou privé, cet article vise à mieux comprendre le processus de socialisation à l’œuvre dans leur insertion professionnelle. Prenant appui sur un corpus empirique de 116 entretiens auprès de diplômé(e)s œuvrant dans 43 organismes communautaires québécois et sur quelques outils conceptuels proposés par Pierre Bourdieu, l’interprétation mène à proposer l’hypothèse d’un ajustement objectif de l’habitus des diplômé(e)s par leur passage dans le système d’enseignement qui les prédisposerait à développer un « sens pratique » dans les milieux communautaires. Le système d’enseignement préparerait ces diplômé(e)s à œuvrer dans ces milieux et à la précarité des emplois y prévalant.    

Problématique : diplôme et travail en milieux communautaires  

Au Québec, nombre de diplômé(e)s passent, à un moment ou l’autre de leur parcours professionnel, par les milieux communautaires. D’entrée de jeu, on peut définir le milieu communautaire comme la partie des infrastructures sociales distinctes des services publics de l’État qui est mise en place par les citoyennes et citoyens pour améliorer les conditions de vie de la population (ministère de l'Emploi et de la Solidarité sociale, 2001). Son action est orientée à plusieurs niveaux, que ce soit vers le service et le soutien aux individus, la conscientisation et le partage des savoirs, l’action collective pour le changement social ou la défense des droits et des intérêts (Bourdon et al., 2001). Ces dernières années ont vu gonfler considérablement la prise en charge de services et de soutiens, ce qui inclut le transfert de plusieurs activités antérieurement assumées par l’État, par le communautaire. Elles ont aussi donné lieu à une large professionnalisation de la main-d’œuvre au sein des quelque 8 000 organismes communautaires québécois : en 2000, les diplômé(e)s du postsecondaire y représentaient déjà 73 % des personnes rémunérées (Bourdon et al., 2001). 

Lorsqu’il est question du travail dans les milieux communautaires, la question des conditions de travail est souvent abordée, car elles y sont souvent perçues comme précaires. En effet, dès 1987, Bélanger (1987, p.84) avance qu’il y a « suffisamment d’indications pour affirmer sans grand risque d’erreur que la plupart des emplois de ces travailleurs et travailleuses relèvent d’un sous-marché de l’emploi ».

Cet état de fait ne semble pas s’être démenti depuis. En effet, si on compare la rémunération des travailleurs du communautaire par rapport à la population globale, il est possible d’observer que les salaires en milieux communautaires sont plus concentrés entre 15 000 $ et 35 000 $ par année (67,5 % c. 37,7 %), qu’on retrouve un peu moins de salariés du communautaire sous les 15 000 $ et beaucoup moins au-dessus de 35 000 $ (7 % c. 27,8 %), (Bourdon et al,. 2001). On peut, à la lumière de ces chiffres, avancer que la rémunération en milieux communautaires est moins avantageuse que dans le reste du marché de l’emploi.

Cette faible rémunération est d’autant plus étonnante que la main-d’œuvre des milieux communautaires est fortement scolarisée, si on la compare à la population globale. En effet, 72,6 % des travailleurs sont titulaires d’un diplôme postsecondaire. Les détenteurs d’un baccalauréat sont deux fois plus nombreux dans les milieux communautaires que dans la population globale (20,6 % c. 8,9 %) (Tableau 1).  

Tableau 1Répartition des travailleurs par plus haut niveau de scolarité atteint
(Milieu communautaire et population globale
, 2000)

Milieu communautaire

Population globale

  (N) (%) (N) (%)
Secondaire non terminé 380 7,9 2 089 455 41,0
Diplôme d’études secondaires 945 19,5 1 416 220 27,8
Diplôme d’études collégiales 1 697 35,1 755 390 14,8
Diplôme universitaire[1] 530 11,0 171 025 3,4
Baccalauréat 998 20,6 454 765 8,9
Maîtrise ou doctorat 284 5,9 142 769 2,8
Total 4 834 100,0 5 098 905 100,0

[1] Cette catégorie amalgame tous les diplômes universitaires qui ne sont pas des programmes de baccalauréat, comme un certificat.

Source : Bourdon, Deschenaux et Coallier (2000) et Statistiques Canada[5]  

Constatant cette faible rémunération et la forte scolarisation des travailleurs des milieux communautaires, il est pertinent de s’interroger sur la place de ces milieux dans l’insertion professionnelle des diplômé(e)s. Mais avant de ce faire, il faut d’abord exposer les contextes théoriques et méthodologiques venant appuyer notre analyse.   

Contexte théorique : socialisation, habitus et sens pratique  

On peut considérer l’insertion professionnelle comme un processus qui se déroule en transition entre deux systèmes – le système d’enseignement et le système de production – composés d’acteurs, d’enjeux et de façons de faire. Ces deux systèmes sont soumis à des logiques propres, variablement convergentes ou divergentes selon les époques. Les acteurs placés en processus d’insertion professionnelle se trouvent ainsi à devoir composer avec les contraintes et les influences inhérentes à l’un et l’autre des systèmes, mettant de l’avant l’idée de la socialisation opérée, d’une part, par le système d’enseignement, et ce, dès l’entrée de l’acteur dans ce système, soit vers cinq ou six ans au Québec et, d’autre part, par le système de production, présenté sous la forme d’un marché de l’emploi. En reconnaissant le poids de l’influence exercée par ces deux systèmes dans le cadre d’une sociologie de l’action dispositionnelle (Bourdieu, 1994), c’est-à-dire la socialisation à laquelle ils soumettent l’acteur, on reconnaît l’importance à accorder à l’habitus, qui est en quelque sorte la résultante de cette socialisation.

Nombreux sont les facteurs qui entrent en ligne de compte lorsqu’il est question de socialisation (rôle de la famille, rôle du système d’enseignement, définitions de la culture – scolaire ou autre –, rôle de l’acteur, etc.) et aussi nombreuses sont les postures théoriques. Tous ces facteurs ne seront pas abordés ici, faute d’espace, mais comme il en a été question, les individus sont socialisés, d’une part par leur milieu d’origine, d’autre part par le système d’enseignement. Se rajoutent potentiellement d’autres socialisations, entre autres professionnelles, desquelles en résultent différents habitus ou systèmes de dispositions socialement acquis – nous y revenons plus loin. Or, traiter de la socialisation n’est pas simple, car il en existe une pléthore de définitions, dont seulement quelques-unes seront ici présentées, puisque ce concept pose la question de la marge de manœuvre de l’acteur, car il faut « cesser de penser, même implicitement, la socialisation comme un processus passif de transmission de normes et d’acquisition des rôles » (Dubet et Martuccelli, 1996, p.520). Cette position en apparence très volontariste est néanmoins partagée par tous les auteurs consultés. En effet, il ne faut pas penser que l’acteur est un robot qui obéit aveuglément aux diktats de son champ, sans mot dire (Bourdieu et Wacquant, 1992 ; Rose, 1999 ; Dubet, 2001 ; Roulleau-Berger, 2001). Il est certain que la marge de manœuvre accordée à l’acteur varie d’une posture théorique à une autre, mais tous s’entendent pour rejeter, tout comme le sujet-robot déterminé, l’image de l’acteur n’agissant que par sa propre volonté suivant ses seuls intérêts (Kaufmann, 2001). Le social a toujours une influence, aussi minime soit-elle.   

De la socialisation  

Émile Durkheim, l’une des figures de proue de la sociologie, traite de la socialisation comme l’une des fonctions du système d’enseignement. En débordant le domaine de l’éducation, il définit la socialisation, certes de façon quelque peu mécanique, comme une série de « mécanismes généraux, communs à tous les groupes sociaux connus, qui assurent partout l’assimilation des individus à des groupes préexistants » (Durkheim, 1922, p.27). Par ailleurs, Berger et Luckman (1996) ont marqué le champ sociologique par leurs travaux sur la socialisation, qu’ils définissent comme « l’installation consistante et étendue d’un individu à l’intérieur du monde objectif d’une société ou d’un secteur de celle-ci » (p.179). Dubet et Martuccelli (1996) définissent la socialisation comme « le double mouvement par lequel une société se dote d’acteurs capables d’assurer son intégration, et d’individus, de sujets susceptibles de produire une action autonome » (p.511). Aussi, Bourdieu (1980) la qualifie de « processus “purement social et quasi magique” (p.96) d’incorporation active des habitus, c’est-à-dire des dispositions héritées non seulement de l’histoire passée des individus mais de l’ensemble de leurs lignées familiales » (cité par Dubar, 1996, p.27).

Donc, peu importe la posture épistémologique de l’auteur, on perçoit tout de même dans la socialisation une fonction d’adaptation des individus à l’environnement dans lequel ils évoluent. On peut alors voir la socialisation sous deux jours différents : une version enchantée et une version critique. Dans la version enchantée, la socialisation a pour effet de forger la conscience de l’individu ; cependant, par le biais de cette même conscience, l’individu peut se retourner contre la société qui l’a ainsi façonné et s’en détacher. La vision critique voit dans la socialisation l’incorporation de normes dictées par l’action historique des acteurs ayant évolué dans un espace social donné (Dubet et Martuccelli, 1996).

Par ailleurs, une erreur à ne pas commettre serait de penser que la socialisation est un processus qui ne concerne que les jeunes, voire les enfants. La socialisation primaire (Berger et Luckman, 1996) peut créer cette illusion, mais « nous savons que la socialisation est un processus continu, qu’elle ne cesse pas avec l’enfance et que la fabrication des acteurs se fait tout au long d’une vie » (Dubet, 2001, p.37). En effet, même à l’âge adulte, l’acteur continue d’être socialisé (Kaufmann, 2001) et cette socialisation influe certainement sur les logiques d’action des acteurs.   

De l’habitus  

L’habitus bourdieusien est présenté comme « un système socialement constitué de dispositions structurées et structurantes qui est acquis par la pratique et constamment orienté vers des fonctions pratiques », (Bourdieu et Wacquant, 1992, p.97).

On peut penser que l’habitus est une sorte de « répertoire » de réactions qui est tributaire du milieu dans lequel évolue l’agent, en ce sens que le répertoire d’actions possibles s’inscrit dans les limites et potentialités du cadre social dans lequel il s’inscrit. Ainsi, ce système de dispositions est structuré par les caractéristiques du champ et il structure l’action de l’agent qui a incorporé ce système.

C’est alors l’accumulation des expériences vécues par un agent dans un champ donné (la socialisation) qui contribue à l’intériorisation des dispositions composant l’habitus en participant à l’incorporation de la « nécessité objective » (Bourdieu, 1980 ; Bourdieu et Wacquant, 1992). C’est cette intériorisation des dispositions qui porte vers la généralisation des réactions des agents d’un champ donné, dans différentes situations vécues dans ce même champ. Ainsi, l’habitus est un « avoir acquis qui s’est transformé en être » (Accardo, 1997, p.117), en ce sens que les dispositions « héritées » de l’habitus sont tellement intériorisées qu’elles deviennent en quelque sorte une part de l’agent qui les possède. 

On peut comparer l’habitus à un ressort en position d’attente d’être déclenché. Ce sont des potentialités et non des certitudes qui le composent, puisque, selon la structure du champ dans lequel il se trouve et les stimuli qu’il suscite, le même habitus peut « engendrer des pratiques différentes, et même opposées », (Bourdieu et Wacquant, 1992, p.109).

Comme il en a été question, Bourdieu définit l’habitus comme une « histoire faite corps » (Bourdieu, 2002, p. 17), le fruit de l’histoire incorporée par les agents par le biais de leur socialisation, qui devient en quelque sorte le principe ou le répertoire des possibles à partir duquel les agents réagissent face à une situation. Ainsi, à partir de l’habitus, l’agent peut improviser, mais à l’intérieur de certaines limites imposées par le champ, ce qui laisse néanmoins une « marge formidable d’improvisation » (Bourdieu, 2002, p.18). En effet, le sens pratique règle et ajuste les pratiques aux situations. L’agent, à force d’évoluer dans un champ, développe le sens du jeu, car « le bon joueur, qui est en quelque sorte le jeu fait homme, fait à chaque instant ce qui est à faire, ce que demande et exige le jeu » (Bourdieu, 1987, p.79). Ainsi, le joueur évoluant dans un champ dans lequel il possède tous les capitaux importants de ce champ, évolue paradoxalement en toute liberté dans celui-ci, bien que ce soit ce champ qui l’a « contraint » ou socialisé à être libre dans ce champ-là.    

Du sens pratique  

Le sens pratique est le produit de l’intériorisation d’un habitus propre à un champ, permettant, à un acteur qui le possède, de savoir « […] ce qui est à faire dans une situation donnée ou ce que l’on appelle en sport, le sens du jeu, art d’anticiper l’avenir du jeu qui est inscrit en pointillé dans l’état présent du jeu » (Bourdieu, 1994, p. 45). Pour reprendre l’analogie sportive, le joueur qui a le sens du jeu ne se placera pas où est la rondelle (ou le ballon ou la balle), mais bien où sera cette rondelle afin d’optimiser son actions sur le jeu. Cette capacité d’anticipation devient sens pratique lorsqu’elle est naturelle, lorsque l’acteur agit de manière évidente dans un champ, comme si tout allait de soi, témoignant ainsi de sa parfaite adaptation au champ dans lequel il se trouve.

Dans cette optique, un acteur doté du sens pratique n’est pas souvent confronté à des pratiques impensables, car il est en possession des capitaux symboliques (social, culturel et économique), nécessaires pour évoluer dans le champ dans lequel il se trouve. Par un rapport dialectique, son habitus correspond par le fait même à l’habitus prégnant dans le champ, ce qui lui permet d’avoir des réponses tout à fait ajustées aux situations auxquelles il se trouve confronté, réduisant les contraintes qui laisseraient croire à une pratique impensable pour un autre acteur dont l’habitus ne serait pas aussi bien ajusté et qui, de surcroît, ne serait pas en possession des capitaux nécessaires pour évoluer, en apparence, librement dans le champ.

L’allusion à l’illusion de liberté est fondamentale dans cette posture théorique déterministe, car la liberté dont semble jouir l’agent doté du sens pratique fait de lui, paradoxalement, l’agent le plus déterminé dans un champ car il a acquis le sens du jeu, résultat de l’ajustement de son habitus au champ dans lequel il se trouve, ce qui signifie que c’est lui sur qui l’habitus, et par extension le champ, ont eu le plus d’emprise.  

« L’habitus comme sens du jeu est le jeu social incorporé, devenu nature. Rien n’est plus libre ni plus contraint à la fois que l’action du bon joueur » (Bourdieu, 1994, p. 80).  

Méthodologie d’enquête  

Les données utilisées en appui à cette analyse ont été produites dans le cadre d’une enquête visant à mieux comprendre le phénomène de l’insertion professionnelle des jeunes diplômées et diplômés du postsecondaire dans les organismes communautaires. Une première phase de l’étude qui a débuté en 1999 a permis de constituer une base de données de plus de 8 000 organismes communautaires répartis sur l’ensemble du territoire québécois. Une première enquête, effectuée auprès d’un échantillon aléatoire de 807 organismes regroupant 6 235 personnes rémunérées et plus de 15 600 bénévoles au courant de l’année 2000, a d’abord permis de tracer un portrait d’ensemble du travail et des conditions de travail dans ces milieux (Bourdon et al., 2001). Un échantillon stratifié de 43 organismes ayant été rejoints dans la première enquête a ensuite fait l’objet de visites de site dans le cadre desquelles nous avons pu rencontrer 116 travailleuses (77 %) et travailleurs (23 %) qui ont accepté de répondre à des questionnaires et de se livrer à des entretiens semi-directifs pour nous faire part de leurs conditions de travail, de leurs projets, de leurs valeurs ainsi que de leur engagement dans les organismes. C’est l’analyse de ces entretiens qui appuie empiriquement cette contribution.   

S’insérer professionnellement en milieux communautaires :

choisir, subir ou s’ajuster ?

  Des analyses antérieures (Deschenaux, 2003 ; Deschenaux et Bourdon, 2007) ont permis d’établir une typologie des modes d’entrée des diplômées et diplômés dans les milieux communautaires, un typologie qui sera la pierre angulaire de la compréhension de la place occupée par ces milieux dans l’insertion professionnelle des diplômé(e)s.

Les six types de modes d’entrée se répartissent ainsi sur deux axes : l’impression de choix face à l’emploi dans les milieux communautaires et la planification de la trajectoire professionnelle. Dans cette typologie, les militantes et militants, les marginaux et les expérimentés affirment avoir choisi et planifié, de différentes façons, leur présence dans les milieux communautaires. Les convertis ont choisi leur présence dans ces milieux mais ils ne l’avaient pas nécessairement planifiée. Les contraints, quant à eux, ont planifié leur trajectoire professionnelle, mais ils se trouvent dans les milieux communautaires contre leur gré. Les surfeurs, pour leur part, n’ont ni choisi ni planifié leur insertion dans ces milieux, s’étant laissés porter par les événements. Ainsi, la présence en milieux communautaires s’avère choisie pour les uns, subie pour les autres, alors que certains s’ajustent devant cette situation.   

Le stage comme porte d’entrée dans les milieux communautaires  

Le nombre important de diplômé(e)s s’accompagne du fait que depuis quelques années, beaucoup se voient désormais offrir la possibilité de faire leurs stages dans ces milieux pendant les études. Cette occasion a souvent été le théâtre de l’obtention du premier emploi pour plusieurs. Alors que plusieurs disaient s’être trouvés un emploi dans les milieux communautaires après y avoir fait des stages, des responsables d’organismes affirment que les stages servent d’outil d’embauche pour les diplômé(e)s, formant un banc d’essai pour les uns ou une banque de candidats pour les autres, car ils remarquent qu’il y a de plus en plus de diplômé(e)s qui viennent offrir leur services aux milieux communautaires.

Pour certains organismes, cette présence accrue de diplômé(e)s disponibles pour les milieux communautaires les force à modifier leurs critères d’embauche. Alors qu’ils privilégiaient l’expérience personnelle pertinente à la mission de l’organisme, ils privilégient désormais la scolarité. Des organismes peuvent même se permettre de placer les nouveaux employés sur une liste de rappel, formant ainsi une banque de candidats lorsqu’un poste à temps plein se libère.

De fait, les stages sont perçus par les responsables comme très avantageux pour tout le monde, c’est-à-dire pour la diplômée ou le diplômé, l’organisme et la clientèle. En effet, le nouvel employé a une ou plusieurs semaines (jusqu’à 15, dans certains cas) pour se familiariser avec l’organisme, sa mission et son type d’intervention ; les responsables ont moins de supervision à faire, car le processus d’acclimatation s’est déroulé progressivement et la clientèle a pu prendre contact avec le nouvel intervenant et être moins confrontée au changement de personnel qui peut affecter plusieurs types de clientèles. Dans cette optique, la sélection du personnel se fait souvent en deux vagues, c’est-à-dire que les stagiaires sont sélectionnés avec rigueur, sachant qu’ils pourront devenir un jour intervenant(e)s dans l’organisme. Ensuite, lorsqu’un poste se libère, une seconde sélection est alors opérée parmi les anciens stagiaires. Scott[6], responsable d’une ressource alternative en santé mentale, y va même d’une sévère mise en garde à l’égard des stagiaires, qui sert, selon ses dires, de première étape de sélection. Les stages en milieux communautaires deviennent donc pour certains un mode d’accession à l’emploi. La prochaine section examine l’appréciation des diplômé(e)s de la pertinence de leur formation au regard de l’emploi qu’ils occupent dans ces milieux.   

L’appréciation de la pertinence de la formation au regard de l’emploi occupé

Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte pour dégager une évaluation positive de la pertinence de la formation par rapport à l’emploi en milieux communautaires, entre autres, la pertinence des apprentissages au regard de la tâche à effectuer, le sentiment de sécurité que procurent des connaissances jugées solides et appropriées, de même que l’utilisation quotidienne de ces apprentissages en cours d’emploi. C’est le cas pour Sabine qui estime avoir reçu une excellente formation, autant au niveau théorique dans les cours qu’au niveau pratique dans son milieu de stage. Elle se sentait prête à affronter le marché de l’emploi au sortir de sa formation et ajoute qu’elle utilise fréquemment les apprentissages réalisés.

Le fait d’avoir eu une formation diversifiée satisfait pleinement Stella qui corrobore sa satisfaction par le fait que son employeur lui avait fait remarquer la pertinence de sa formation. Elle affirme ne jamais s’être sentie démunie devant une situation, car sa formation était très utile et conséquemment utilisée.

Plusieurs intervenantes en services de garde correspondent à la figure des diplômé(e)s comblés et qui estiment que leur formation les a bien préparées à œuvrer dans leur domaine. L’utilité des travaux longs, permettant l’approfondissement de notions clés, de même que les périodes de stage sont souvent soulignées, entre autres, par Gaëlle, Ghislaine et Geneviève. Le sentiment de contrôle que procure une formation jugée pertinente est une autre facette de l’évaluation positive de la pertinence, même si le lieu d’emploi ne correspond pas nécessairement avec celui qui était escompté.

Le fait de pouvoir composer avec la polyvalence de l’emploi en milieux communautaires, ayant été souvent soulevé par les travailleurs, a été également identifié comme un facteur permettant d’évaluer positivement la formation reçue en rapport avec l’emploi occupé. C’est le cas de Sabrina qui estime détenir une formation très adaptée à son emploi, car elle lui permet une versatilité facilitant son acclimatation à plusieurs clientèles.Une formation jugée pertinente peut provenir des choix professionnels de l’individu, qui, sachant dans quel domaine il veut œuvrer, va se chercher les outils nécessaires à la réussite de son projet. C’est le cas de Sylvianne, correspondant au type des militantes, qui affirme que sa formation colle à la réalité des milieux communautaires, car elle l’a à dessein orientée vers ces milieux, sachant en cours de formation qu’elle désirait y travailler.

Ainsi, la possibilité de lier rapidement le contenu de la formation à l’emploi et l’utilisation régulière des contenus abordés en formation dans leur pratique aident les gens à développer une évaluation positive, comme Évelyne qui affirme que tous les contenus vus dans ses cours lui sont utiles dans son emploi. Stella affirme qu’elle a commencé à travailler dans l’organisme avant la fin de ses études, ce qui lui a permis de faire ses travaux finaux sur un programme dispensé par l’organisme, facilitant son adaptation et alignant sa formation directement sur son emploi. Aussi, Samia a pu œuvrer auprès de la clientèle avec laquelle elle travaille au cours de la maîtrise, ce qui lui donnait, selon elle, un atout pour mieux intervenir, une fois diplômée.

Par ailleurs, certaines personnes sont pleinement satisfaites du choix de formation effectué au regard du travail à accomplir dans les milieux communautaires. Par exemple, Estelle estime qu’il manquerait un petit quelque chose à un diplômé du collégial pour accomplir sa tâche, car, selon elle, l’université l’a préparée à la polyvalence dans son intervention, ce qui ne lui semble pas le cas pour un technicien. Elle affirme avoir développé à l’université des habiletés comme l’esprit critique et la capacité de synthèse qui sont essentielles à la réalisation de sa tâche. Elle estime également que le fait d’avoir réalisé des travaux longs sur certaines problématiques l’outille davantage.

Or, tous ne sont pas du même avis. Les personnes qui se trouvent dans les milieux communautaires sans l’avoir choisi sont majoritairement très critiques quant à la pertinence de leur formation pour occuper un emploi dans ces milieux. Cependant, ces personnes critiquent davantage la pertinence d’aller ou non à l’université pour occuper leur emploi, plutôt que la formation qu’ils y ont reçue.

Donc, pour plusieurs, les conditions de travail précaires ne sont pas une surprise découverte à leur arrivée dans les milieux. Cette réalité leur avait été présentée durant leur formation ou durant leur stage et, dans d’autres cas, c’est leur implication dans ces milieux à un autre niveau que l’intervention qui les a sensibilisés à cette réalité. Peut-on affirmer qu’ils ont été préparés à la précarité ?   

La socialisation aux milieux communautaires  

La majorité des diplômé(e)s ont emprunté une trajectoire professionnelle marquée par l’impression de choix pour arriver dans les milieux communautaires (Deschenaux, 2003). Une conjoncture particulière des milieux communautaires leur permet d’y accéder en plus de leur conférer un certain pouvoir, se traduisant par de meilleures conditions de travail, à certains égards pour les plus jeunes d’entre eux, à d’autres égards pour les plus âgés.

Qui plus est, cette impression de choix est étroitement liée à l’évaluation de la pertinence de la formation postsecondaire pour œuvrer dans les milieux communautaires, ceux qui prétendent avoir choisi leur présence dans ces milieux estimant leur formation très satisfaisante au regard de la tâche qu’ils effectuent. A contrario, les personnes qui estiment être dans les milieux communautaires par hasard ou parce qu’elles y ont été contraintes sont plutôt insatisfaites de leur formation et sont inconfortables avec les conditions de travail précaires qui prévalent dans ces milieux; contrairement à celles qui estiment avoir choisi leur présence, qui affirment réussir à composer avec ces conditions, se trouvant souvent même en mesure de comprendre pourquoi il en est ainsi.

Cette évaluation positive de la pertinence de la formation postsecondaire de la part des diplômé(e)s est partagée par la majorité des travailleurs rencontrés, laissant croire que leur passage dans le système d’enseignement les a bien préparés à œuvrer dans les milieux communautaires, contrairement à ce qu’on pouvait postuler au début de la recherche.

Ainsi, il semble que plusieurs diplômé(e)s se sentent outillés et en contrôle grâce à leur formation et sont capables de mobiliser les ressources nécessaires pour combler les lacunes. Ce sentiment de contrôle pourrait être attribuable à la maîtrise pratique de la pratique (Bourdieu, 1987), potentiellement développée par les acteurs à la suite de l’ajustement objectif de leur habitus au champ dans lequel ils se trouvent. Ce sens du jeu permet à l’acteur de développer un sens de sa place, c’est-à-dire :

« Une connaissance pratique, corporelle, de sa position dans l’espace social […], comme dit Goffman, un sens de sa place (actuelle et potentielle) convertie en un sens du placement, qui commande son expérience de la place occupée […]. La connaissance pratique que procure ce sens de la position prend la forme de l’émotion (malaise de celui qui se sent déplacé ou aisance associée au sentiment d’être à sa place) », (Bourdieu, 1997, p.220).

Ce sens de sa place, développé par l’incorporation d’un habitus, a été transmis par le biais d’une socialisation qui peut tirer son origine de plusieurs sources, soit l’environnement familial ou le système d’enseignement. En fait, bien que plusieurs aient parlé de l’implication bénévole de leurs parents ou même de l’emploi occupé par ces derniers dans les milieux communautaires, la plus forte socialisation est effectuée dans le système d’enseignement, contrairement à ce que postulait l’hypothèse de départ du programme de recherche qui prévoyait un choc entre la culture universitaire des diplômé(e)s et celle des milieux communautaires. Tout comme pour la préparation au milieu communautaire, qui semble s’avérer adéquate aux dires de la majorité des diplômé(e)s, il ne semble pas y avoir de dissonances au niveau des valeurs de ces travailleurs au regard du milieu dans lequel ils évoluent. Des travaux récents (Dionne, 2003) abondent effectivement dans ce sens.

En somme, les diplômé(e)s semblent avoir été bien préparés à œuvrer dans les milieux communautaires lors de leur passage dans le système d’enseignement. Mais cette pertinence de la préparation serait-elle le résultat d’une adaptation du système d’enseignement aux nouvelles réalités du marché de l’emploi ? De plus en plus de diplômé(e)s intégrant le marché de l’emploi par le biais des milieux communautaires forceraient ainsi le système d’enseignement à s’adapter. Ou est-ce la professionnalisation du milieu communautaire, qui, ayant changé ses pratiques et attitudes à l’égard des diplômé(e)s, leur conviendrait davantage ?

Les données dont nous disposons ne nous permettent pas de trancher clairement, mais ce qui est plus sûr, c’est que plusieurs diplômé(e)s ont abordé le fait que leur formation les avait préparés à intervenir auprès d’une clientèle en particulier, les rendant assez polyvalents pour bien s’acquitter de leurs tâches, peu importe le contexte où ils sont placés pour intervenir. Ils développeraient ainsi par leur passage dans le système d’enseignement une maîtrise symbolique de la pratique (Bourdieu, 1987) dans leur champ d’intervention, c’est-à-dire un certain nombre de règles, de codes, de procédures, mobilisables théoriquement lorsque placés dans une nouvelle situation relevant de leur champ de spécialisation. À la suite d’un ajustement de leur habitus, la maîtrise symbolique de la pratique se transformerait alors en maîtrise pratique de la pratique, permettant aux acteurs de se sentir à leur place, ayant incorporé l’habitus du champ dans lequel ils se trouvent et, du coup, développeraient le sens pratique ou le sens du jeu, propre et objectivement ajusté au champ.

C’est peut-être cette socialisation opérée par l’organisme dans lequel ils se trouvent qui expliquerait pourquoi ceux qui prétendent avoir choisi d’œuvrer dans les milieux communautaires sont plus enclins à faire plus d’heures non rémunérées (Deschenaux, 2003). L’organisme valorisant l’engagement, le bénévolat, le professionnalisme et l’adhésion à la cause (Favreau, 1989 ; Hamel, 1995 ; Parazelli, 1995), les diplômé(e)s s’y trouvant par choix, se sentant à leur place, incorporeraient l’habitus de l’organisme et, de ce fait, adopteraient les pratiques en vigueur dans ce dernier.   

L’incorporation d’un habitus et la propension au choix

À la suite des éléments précédemment présentés, nous avançons l’interprétation, à la lumière des outils théoriques, que l’incorporation de ce que Pierre Bourdieu (2000) a appelé « l’inconscient d’école » par les diplômé(e)s pourrait les mener à considérer leur insertion professionnelle dans les milieux communautaires comme un choix, alors qu’on pourrait plutôt y voir une réponse objectivement ajustée de leur habitus à une situation donnée.L’inconscient d’école est l’ensemble des structures cognitives inscrites dans, et tributaires de, l’inconscient culturel, mais attribuables aux expériences scolaires, impliquant qu’il est commun à tous les agents passant par le système d’enseignement.

L’inconscient d’école prend également une forme spécifique selon la discipline dans laquelle s’inscrivent les études des agents. Intériorisé, il définit les pratiques et les attitudes à l’égard de tel ou tel sujet, ce qui fait que les acteurs s’entendent sur ce qui est important, ce qui ne l’est pas ou autre attitude jugée normale, mais qui reste implicite. L’inconscient d’école échappe aux prises de conscience puisqu’il a été intériorisé, donc rendu naturel.

Le système de structure cognitive que compose l’inconscient d’école est le produit d’un « travail d’inculcation explicite qu’accomplit le système d’enseignement » (Bourdieu, 2000, p.3), c’est-à-dire que les connaissances à acquérir par le biais des activités de formation (cours, travaux ou stages) ont justement comme objectif de créer un système de connaissances qui amènera l’étudiant à maîtriser les savoirs et les pratiques nécessaires à l’exercice de la profession ou du métier pour lequel il étudie et des conditions dans lesquelles il l’exerce.

Cependant, ce qui est encore plus important, selon Bourdieu, c’est « l’inculcation structurale sans intention ni sujet qui s’opère au travers de l’immersion dans un environnement structuré » (Bourdieu, 2000, p.3-4), c’est-à-dire la socialisation qui est opérée par le système d’enseignement. En effet, la structure – dans ce cas-ci le système d’enseignement – socialise ses occupants à la doxa propre au champ dans lequel ils se trouvent, c’est-à-dire à ce qui va de soi, ce qui est naturel, de même qu’il les socialise à l’illusio du champ ; en d’autres termes, au fait d’accepter l’enjeu du champ comme un enjeu, contribuant ainsi à intégrer des nouveaux occupants dans le champ qui acceptent de jouer le jeu de l’enjeu. Cette socialisation n’est pas l’œuvre machiavélique de personnes mal attentionnées ou non, mais bien le résultat d’un rapport dialectique entre un champ et ses occupants, ces derniers, pour appartenir au champ dans lequel ils se trouvent, doivent en accepter – ne serait-ce que tacitement – les enjeux. Ce faisant, ils légitiment le champ et ce qui y est considéré normal et important. Donc, en incorporant l’inconscient d’école auquel ils ont été socialisés, les diplômé(e)s se sentent à leur place dans les milieux communautaires, ce qui les porterait, dans l’illusion de l’improvisation (Bourdieu, 1980 ; Perrenoud, 2000), à conclure que cette expérience réussie l’est car ils l’ont choisie.

Rappelant l’idée que rien n’est plus libre et contraint à la fois que l’action du bon joueur, il serait normal qu’ayant inconsciemment incorporé un habitus les disposant vers les milieux communautaires, ils s’y sentent à leur place.

Il ne faut pas cependant considérer que l’acteur n’est qu’un robot qui obéit mécaniquement aux diktats de son habitus. Cela serait en fait une grave erreur, car l’habitus est tout le contraire d’une structure mécanique, puisque c’est une notion qui évoque la génération de pratiques objectivement ajustées plutôt que la répétition automatique, dans le sens d’automate, de pratiques décidées à l’avance. C’est toute la part de l’inconscient qui rebute les opposants à cette théorie, car la notion d’inconscient évoque une perte de contrôle de l’individu sur sa destinée. Or, l’incorporation d’un habitus, fut-elle inconsciente, permet l’ajustement objectif des pratiques d’un individu au contexte dans lequel il est placé. Ultimement, un habitus ajusté permet la maîtrise pratique de la pratique, c’est-à-dire un sens pratique donnant à l’acteur une grande marge de manœuvre dans son contexte, lui permettant d’anticiper les actions des autres acteurs et, par le fait même, d’ajuster les siennes. C’est d’ailleurs pour cette raison que le terme habitus a été utilisé au détriment de l’habitude, spontanément considérée comme répétitive et mécanique.   

Conclusion : Quelques questions sur le rôle du système d’enseignement  

Partant du fait que les diplômé(e)s qui œuvrent en milieux communautaires se sentent bien outillés par leur formation, il serait possible de conclure que le système d’enseignement les a bien socialisés, au sens durkheimien, puisqu’il les aurait « assimilés » à un groupe social préexistant. Notre hypothèse d’un ajustement objectif de l’habitus s’inscrirait également au chapitre d’une socialisation réussie, telle que l’entend Bourdieu. Ainsi, le système d’enseignement se serait bien acquitté de sa tâche en préparant adéquatement ses occupants au marché de l’emploi et, dans le cas présent, aux conditions de travail y prévalant.

Or, le système d’enseignement se trouve dans une posture inconfortable. En effet, alors que certains affirment que le système d’enseignement devrait davantage répondre aux besoins du marché de l’emploi, d’autres préconisent au contraire qu’il devrait s’en éloigner pour conserver son indépendance et son autonomie. Les tenants de cette dernière position en ont contre la prégnance de l’idéologie néolibérale dans la sphère de l’éducation. En effet,

« […] depuis la critique initiée par Bourdieu et Passeron, l’idéal de l’égalité des chances a été remplacé par un modèle de l’efficacité [qui] se caractérise par la recherche du rendement, la prédominance des savoir-faire sur les savoir-être et les savoirs disciplinaires [et] la rationalisation de l’organisation scolaire » (Levasseur, 2000, p.197). 

En fait, le système d’enseignement cherche dorénavant à légitimer sa contribution à la société non plus par la production de nouveaux savoirs ou par la formation des étudiantes et étudiants, mais plutôt par la « rentabilité » et la valeur des savoirs dispensés dans l’économie (Levasseur, 2000).

Sous l’emprise d’une telle idéologie, qui nous présente la correspondance travail-études et la potentielle application pratique et concrète des savoirs acquis sous des auspices d’inévitabilité nécessaires à la prégnance d’une idéologie (Bourdieu, 1998), le fait que les diplômé(e)s estiment majoritairement avoir été formés pour œuvrer dans les milieux communautaires devrait être considéré comme une réussite. Or, devant les conditions de travail qui prévalent dans ces milieux, est-ce que l’adéquate préparation des diplômé(e)s reviendrait à une légitimation de ces conditions par le système d’enseignement ? Est-ce que les collèges et les universités doivent absolument faire accepter ces conditions de travail à leurs diplômé(e)s ?

La réponse à ces questions relève d’un débat philosophique – aussi essentiel que délicat – sur l’organisation sociale et les finalités du « vivre-ensemble » qu’une étude empirique comme la nôtre ne peut que contribuer à poser sans toutefois pouvoir prétendre trancher.    

Références bibliographiques  

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– Bourdieu P., 2002, « Si le monde social m'est tolérable, c'est parce que je peux m'indigner », Entretien avec Antoine Spire, Paris, Éditions de l'Aube. 

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– Bourdon S., Deschenaux F. et Coallier J.-C., 2000, Le travail et les conditions de travail dans les organismes communautaires. Faits saillants de l’enquête 2000, Sherbrooke, Université de Sherbrooke, Collectif de recherche sur les occupations. 

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– Levasseur L., 2000, « La dérive instrumentale de la formation générale dans les collèges du Québec », Sociologie et société, XXXII, p.197-211. 

– Ministère de l'Emploi et de la Solidarité sociale, 2001, Politique gouvernementale. L'action communautaire : une contribution essentielle à l'exercice de la citoyenneté et au développement social du Québec, Québec, Direction des communications, Ministère de l'Emploi et de la Solidarité sociale. 

– Parazelli M., 1995, « L'action communautaire autonome. Un projet collectif d'appropriation d'actes sociaux », Revue canadienne de service social, 12, p.211-235. 

– Perrenoud P., 2000, « De la pratique réflexive au travail sur l'habitus », Recherche et Formation, 36, p.131-162. 

– Rose J., 1999, « Peut-on parler de stratégie d'insertion des jeunes ? » dans M. Gauthier et J.-F. Guillaume (dir.), Définir la jeunesse ? D'un bout à l'autre du monde, Sainte-Foy, Les Presses de l'Université Laval, p.161-178. 

– Roulleau-Berger L., 2001, « Les jeunes et l'emploi dans les villes d'Europe et d'Amérique du Nord : entre affiliations, désaffiliations et résistances » dans M. Gauthier (dir.), Les jeunes et l'emploi dans les villes d'Europe et d'Amérique du Nord, Paris, Éditions de l'Aube, p.5-23.


[1] Les auteurs tiennent à remercier le Fonds québécois de recherche sur la société et la culture (FQRSC) et le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada (CRSH) pour leur appui financier sans lequel cette recherche n’aurait pas pu être menée à bien.

[2] Les «milieux communautaires » en contexte québécois, la pluralité des organisations non gouvernementales, à but non lucratif, qui se destinent à la défense des droits, à la militance ou à la prestation de services à la population. Ces milieux sont à mettre en parallèle avec les milieux associatifs en contexte européen.

[3] Des analyses mènent au constat qu’il est préférable de parler des milieux communautaires lorsqu’il est question d’insertion professionnelle, puisque de grandes disparités existent au plan des conditions de travail entre les différents secteurs d’activités et types d’organismes (Deschenaux, 2003).

[4] Cette catégorie amalgame tous les diplômes universitaires qui ne sont pas des programmes de baccalauréat, comme un certificat.

[5] http://www.statcan.ca/francais/Pgdb/People/Education/educ41b_f.htm

[6] Afin de préserver l’anonymat des personnes dont les propos sont rapportés dans ce texte, chacune des personnes citées s’est vue attribuer un pseudonyme.